« Comment bien s’informer » : un enjeu d’aujourd’hui, d’autant plus que l’information n’est pas une marchandise à consommer, mais un bien commun à défendre…
Il n’est pas simple d’informer, comme de s’informer. L’un et l’autre est exigeant, assorti d’une très grande responsabilité.
Qu’attendre d’un journaliste ? Tout d’abord-cela paraît tellement évident – qu’il nous informe. Et donc qu’il soit capable de restituer correctement une information.
Ensuite, expliquer, décrypter, donner à comprendre et engager à l’action…avec « l’ambition de faire réfléchir et non de dire ce qu’il faut penser » ou « Réveiller en nous, non pas nos bas instincts, mais plutôt une acuité perdue dans la banalité du quotidien. »
Une telle exigence est-elle facile à satisfaire ? Où la trouver ? Comment l’atteindre ?
Il existe pléthore de sites gratuits dits « d’information ». Du côté chrétien, le ton et le style varient d’un site à l’autre (du sérieux/mesuré au volontairement plus polémique, revendiquant un style d’« humour cool gras », cynique et vulgaire. Mais le modèle est généralement le même, rappelant les « breaking news » ou médias « d’info en continu » : parce que la société évangélique française serait assez consommatrice d’une info de qualité courte, qu’on peut lire le matin au petit déjeuner ou en allant au travail [ou même pendant le culte ou une réunion !], il est généralement proposé des choix de brèves/articles courts, revues de presse, et amorces d’articles (le plus souvent « rhabillés » par la rédaction qui change les titres) francophones/étrangers traduits qui renvoient aux contenus d’autres médias(l’important est la source de ces sites), ayant trait le plus souvent de la vie des Églises, des sujets de société, les chrétiens persécutés, la politique, parfois(mais plus rarement, à des degrés divers) la culture, la science/l’environnement et du socio-économique, et pas mal de « people et d’insolite » (avec la tentation du « buzz »). Les productions personnelles se traduisent pour l’essentiel par des chroniques/billets d’humeur – quand il ne s’agit pas « d’info commentée » – des membres de la rédaction et/ou d’auteurs « invités ». Mais vu que tous ces sites se trouvent dans un contexte d’hyper concurrence, je constate un phénomène de mimétisme dans le choix des sujets et des angles.
L’on pourrait croire que l’activité principale de ces sites consiste en un « recyclage de dépêches ». Mais il est plus exact de dire que qu’il consiste à condenser des dépêches. Un média composé de dépêches complètes, bien qu’effroyablement monotone, serait beaucoup plus complet que ce type de sites. De là le sentiment d’une absence totale de « ligne éditoriale » et donc que rien de ce qui est fait n’est pensé, réfléchi, argumenté ou qu’aucun sens n’est donné aux « infos brutes » présentées. Ce que l’on voit, c’est un conglomérat d’articles, où plein de choses (certaines pouvant être bonnes ou réellement édifiantes) qui se juxtaposent aléatoirement, ou selon l’humeur, ou selon les critères du rédacteur en chef. Ces sites, même les plus sérieux, n’échappent pas toujours à l’écueil de l’information sensationnelle ou émotionnelle, où il s’agit plus de « faire sentir ce qui se passe » que de mettre l’information en perspective(1).
Le danger serait alors de se contenter de « lire en diagonale »(le plus souvent les seuls titres et le paragraphe), de « râler » ou de s’indigner de façon stérile, avant d’oublier ce qu’on vient de lire(2).
Or, informer, c’est aussi donner du sens à l’information, en la contextualisant et en l’expliquant. S’informer, c’est se donner les moyens de comprendre la complexité du monde réel dans lequel on vit. Pour cela, « la fabrique de l’info » doit parcourir un trajet bien plus complexe que la simple transmission au public d’un « fait brut », aussi frappant soit-il.
Bref, vous en avez marre de l’info commentée ? Marre des patchworks d’éditos et de billets d’humeur, où le commentaire prend le pas sur l’information…. ? Marre de médias prétendant à la « réinformation », substituant sa propre propagande sous prétexte d’en chasser une autre (supposée), se voulant mordant mais confondant l’ironie avec la diatribe ? Autant d’ « invitations au voyage », où « le LSD du jour » dérive en mauvais trip…
Enfin, marre de sites qui « ne nous informent pas » mais qui « affirment » les choses, ou prétendent « confirmer ce que l’on sait (ou croit savoir) déjà ? Ou encore, marre de l’info konbinisée ? (3)
Moi aussi. Mais n’en restons pas là.
Brief me : un nouveau régime contre « l’infobésité » (Source image : public domain pictures)
Depuis plusieurs semaines, je teste Brief.me, une expérience de « slow media ». A l’opposé d’une certaine façon tonitruante de « faire de l’info », Brief me se veut plutôt simple, apaisé et apaisant, sans pollution sonore ou visuelle.
Le principe ? Un e-mail tous les soirs à 18h30 [et le samedi matin pour leur édition du week-end.] qui nous livre, de façon sobre, sans parti pris et sans pub, l’essentiel de l’actu triée, résumée et expliquée par une équipe de journalistes expérimentés.
Cette newsletter hiérarchise et condense l’actualité nationale et internationale la plus significative et la plus pertinente, ce qui exclue « le people », « l’insolite », les faits divers, les résultats sportifs, sauf s’ils ont une portée plus large, au-delà de l’événement lui-même, ou s’ils sont le reflet d’une tendance.
Le mardi, nous sommes invités à choisir entre trois sujets qui seront traités dans l’édition du samedi matin, laquelle « revient sur un sujet de la semaine avec une approche historique ». Par exemple, le Parquet national financier, le démantèlement des centrales nucléaires, ou le Venezuela. Finalement, c’est le sujet sur les centrales nucléaires qui a été choisi.
Brief me est donc un « slow média » que je trouve original sur plusieurs aspects :
A l’heure où l’on nous dit que « les e-mails, c’est fini », Brief me mise sur le format newsletter, lequel fait la force du média. On y retrouve la qualité éditoriale d’un vrai journal papier, avec la hiérarchisation (car « informer, c’est choisir » et choisir, « c’est faire un beau geste ») et la mise-en-page. Le mail – une lettre qui m’est personnellement destinée – a l’avantage de créer du lien avec le lecteur-abonné, favorisant l’échange et le contact direct.
Ensuite, Brief me se veut sans parti pris, revendiquant une ligne journalistique, mais pas de ligne politique – ce qui nous rappelle Albert Londres (« la seule ligne que je connaisse, c’est celle de chemin de fer »). Son objectif est d’apporter de l’information dite « neutre »(est-ce possible ? Le choix des sujets révèle forcément des préférences), permettant aux lecteurs de construire leurs propres opinions, et non d’exposer la sienne.
Autre originalité : Brief me n’est pas un service de « curation », ou un agrégateur de contenu, ou même une simple revue de presse, qui se contenterait de reprendre des articles déjà publiés sur d’autres sites.
L’équipe de journalistes expérimentés produit un contenu propre et réalise un véritable travail journalistique, en prenant le temps de sélectionner les informations qui leur semblent pertinentes, puis de les vérifier avant de les formuler de la manière la plus claire, précise et synthétique possible. Il arrive assez souvent qu’ils abandonnent un article en cours de route, faute de fiabilité. Des liens vers ces sources sont insérés dans la newsletter si le lecteur souhaite approfondir le sujet mais l’objectif n’est pas de faire cliquer.
Une démarche qui nous libère du temps pour la journée et nous libère de la peur de manquer « l’info à ne pas manquer ».
Car l’enjeu est bien savoir bien s’informer aujourd’hui. D’autant plus que l’information n’est pas une marchandise à consommer, mais un bien commun à défendre, au même titre que la santé ou l’éducation. Nous pouvons, à notre échelle, soutenir la presse/les médias indépendants (sans pub et financés avant tout par les lecteurs/les abonnés), en achetant ces journaux, en s’abonnant ou en faisant des dons de soutien. Il est aussi important d’apporter la question de l’indépendance des médias dans le débat public et de réfléchir ensemble sur ce qu’est une information véritable/en quoi consiste l’acte d’informer, comme à des solutions pour libérer la presse.
Dans son Farenheit 451, roman décrit une société totalitaire qui brûle les livres, dans un futur indéterminé, Ray Bradbury nous présente les trois éléments dont les hommes ont besoin, particulièrement à notre époque d’information(ou de surinformation) : la qualité de l’information, le loisir d’assimiler cette information, et la liberté d’accomplir des actions fondées sur ce que nous apprend l’interaction entre la qualité de l’information et le loisir de l’assimiler. Voilà ce qui est fondamental pour l’homme.
Il est possible de tester Brief me gratuitement et sans aucun engagement pendant 45 jours, avant de choisir (ou non) l’abonnement payant (4,90 € par mois pour un abonnement annuel). En effet, produire une information d’intérêt général de qualité, accessible à tous, a un coût.
Je serai très intéressé par votre avis sur ce « slow média » !
Notes :
(1) Voir notre article « existe-t-il une information chrétienne ? »
(2) Voir notre article « un bon journaliste ne lit pas et ne nous donne pas à lire en diagonale
(3) Sur l’information « konbinisée » et autres « pièges à clics », voir notre article