« Utilisez votre voix, ou d’autres décideront pour vous » : Élections européennes du 09 juin 2024

Parce que la démocratie est un héritage précieux des générations précédentes, un clip émouvant du Parlement européen incite les électeurs des quatre coins de l’Union Européenne à « utiliser sa voix » en juin prochain aux élections européennes.

Pour rappel, les élections européennes se tiendront du 6 au 9 juin 2024 dans les 27 Etats membres de l’Union européenne. Les électeurs français seront appelés aux urnes le dimanche 9 juin, et dès le samedi 8 juin pour ceux qui résident à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, en Polynésie française ou qui sont établis sur le continent américain.

Les électeurs nationaux se sentent généralement peu concernés (50,12 % de taux de participation aux élections européennes de 2019 contre 42,61% de taux de participation à celles de 2014). Pourtant, les politiques et les lois adoptées au niveau européen auront un effet direct sur les cadres légaux nationaux, notamment pour les politiques d’asile et de migration, l’emploi, l’environnement, le libre-échange, l’alimentation, la santé…Mais le scrutin peut aussi, sur fond de montée des extrêmes, avoir de grandes conséquences sur l’avenir de l’Europe et de ses valeurs.

Dans ce contexte, plus que jamais, “Le droit de vote ne devrait jamais être considéré comme acquis”.

Tel est le message du clip du Parlement européen pour sensibiliser les électeurs de l’Union sur l’importance d’utiliser son droit de vote. Quatre minutes durant, ce film met en scène des personnes âgées venant de toute l’Europe (France, Allemagne, Pologne, Roumanie…), qui ont vécu assez longtemps pour voir le monde changer radicalement, témoigner de la Seconde guerre mondiale ou de la chute du mur de Berlin. Des Européens qui ont fait l’expérience de l’impact de la démocratie sur leur vie et qui partagent ces témoignages de leur vécu avec de jeunes membres de leur famille.

Ces personnes sont probablement confrontées au dernier vote de leur vie et ont donc envie de transmettre un message au reste d’entre nous. Une envie de faire vivre la démocratie longtemps après leur départ”, explique le Parlement européen dans un communiqué. Le message général est simple : “le droit de vote ne devrait jamais être considéré comme acquis”.

(Source : touteleurope.eu )

Bonus : En 11 minutes, pour qui et pour quoi allons-nous voter lors des élections européennes ?

Explications de l’invité de la matinale 1er mai, sur RCF : Sébastien Maillard, ancien journaliste à La Croix, spécialiste des affaires européennes, qu’il a enseignées à Sciences Po (Paris) et pour Boston College, engagé dans diverses actions pour l’Europe. Il a été le directeur de l’Institut Jacques Delors de 2017 à 2023. Depuis septembre 2023, il est conseiller spécial au Centre Grande Europe sur l’élargissement.

Quand la famille Tolkien soutient l’aide aux réfugiés et l’écologie…au grand dam de l’extrême-droite

Source image : Christian Bourgeois éditeur

C’est une page de fan du Seigneur des anneaux comme il en existait beaucoup dans les années 1990. 

Sous la photo d’une jeune femme à la coupe au carré et au sourire timide, un texte blanc sur fond fuchsia formé de quelques mots par lesquels elle se présente. « Mes centres d’intérêt sont les livres de fantasy (forcément, Le Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien est mon livre préféré) », écrit, en italien, l’étudiante à l’origine de cette page. Elle s’appelle Giorgia, elle a à l’époque 21 ans, et elle habite à Rome.  

Quelques dizaines d’années plus tard, Giorgia est toujours aussi admirative du travail de J.R.R. Tolkien. Selon elle, la saga culte représente tout ce qu’elle défend, maintenant qu’elle est à la tête de l’Italie. Pendant sa campagne, elle a même invité l’acteur qui fait la voix italienne d’Aragorn pour lancer son meeting. 

Selon Giorgia Meloni [actuelle Première ministre d’Italie depuis 2022, et présidente d’un parti d’extrême-droite et « national-conservateur » depuis 2014] , tels les hobbits, il faut que les Italiens protègent leurs terres des « forces du mal » venues du Mordor… Mais pour elle, ces forces du mal, ce sont les étrangers. Dans ses discours, elle utilise des références au Seigneur des anneaux ou au Hobbit pour appuyer sa politique xénophobe.

Sauf que la récupération politique par l’extrême droite de J.R.R. Tolkien n’est pas au goût de tous. Et sûrement pas de ses descendants, qui financent avec les royalties la solidarité avec les migrants, les actions contre les ventes d’armes ou les pesticides.

Un article à lire sur le site de Basta!

« L’information a de la valeur : respectons-la »….en citant la source d’une information

« La charte sur la traçabilité de l’information » : une garantie d’hygiène informationnelle (source image : public domain pictures)

Le saviez-vous ? Il n’y a pas que la traçabilité des viandes, soit « l’ensemble des moyens utilisés pour suivre chaque étape de la production et de la commercialisation, afin de s’assurer du respect des bonnes conditions d’hygiène tout au long de ces étapes ».

En effet, « l’information a [aussi] de la valeur : respectons-la », s’engagent des médias français, nationaux, régionaux et locaux, signataires de la charte sur la traçabilité de l’information – une initiative de l’Alliance de la presse d’information générale, parce que d’autres sont bien peu scrupuleux en la matière.

En effet, les membres de l’Alliance ont constaté, qu’ « à de trop nombreuses reprises, les règles de base permettant la traçabilité de l’information, à savoir la citation de la source (nommer le média qui a révélé cette information) et le renvoi vers l’article d’origine via un lien externe sur le web, n’étaient pas respectées », peut-on lire sur le site dédié. « Et pourtant, la source d’une information, c’est essentiel », rappelle notamment cette tribune de la rédaction de La Croix, parue le 04/04/24 sur le site du quotidien, par ailleurs signataire de la charte.

« Identifier quels médias et journalistes sont à son origine, c’est s’assurer de sa fiabilité. Savoir qui s’est donné les moyens de constater de visu des faits, qui a investi dans de longues et coûteuses enquêtes, apporte au lecteur la capacité d’accorder sa confiance à l’information. Identifier la source médiatique, c’est également connaître les conditions de production de cette information (…).Au-delà de cette question essentielle de la confiance du public, les médias et les journalistes eux-mêmes ont besoin de savoir quels sont ceux qui reproduisent leurs informations, pour se protéger de tout abus de reproduction ou pillage de contenus dans un environnement médiatique très concurrentiel ».

De fait, les éditeurs de presse signataires s’engagent donc à respecter les engagements suivants » de la charte :

-Sourcer explicitement et assez haut dans l’article le média à l’origine de l’information exclusive (enquête, investigation) qui a été reprise. Quels que soient le mode de traitement et le support.

-Pour les versions numériques, à clairement renvoyer, par un lien hypertexte, vers l’article à l’origine de ce scoop ou de cette révélation.

-Mettre en place dans les rédactions une communication claire sur ces pratiques, les coordonner au sein des groupes de presse et accepter que l’Alliance fasse remonter les cas répétés de mauvaises pratiques.

Ces engagements ne sont pas limités à l’information originelle ; ils sont également appliqués à toute reprise et enrichissement d’information, qui ont un caractère exclusif.

D’autre part, sensibilise le quotidien régional L’Alsace, également signataire de la charte, « la reprise de contenus de tiers s’étend aujourd’hui à des pratiques dites de curation, entendues comme le fait de fonder un contenu d’information sur la production d’un autre média sans y apporter de traitement journalistique supplémentaire(….). Le cas particulier de la curation justifie des règles spécifiques, visant à reconnaître la valeur de l’information reprise et le droit pour le média d’origine de bénéficier de la primeur de son exploitation« . Ainsi, il n’est pas juste de dire « je l’ai lu sur » [tel site de curation/d’agrégation de contenu/ »recycleur » de dépêches d’agence, chrétien ou non chrétien], mais plus juste de dire « je l’ai lu sur » [le site-source, producteur original de l’information], d’autant plus que c’est le premier et non le second qui se retrouve souvent en tête sur le même sujet !

Les éditeurs de presse/médias signataires, outre le respect des points liés à la traçabilité, s’engagent donc à respecter les principes suivants :

-Ne pas reprendre un contenu publié par un autre média avant 24 heures à partir de la première publication.

Limiter la reprise à un volume de 25 % maximum du volume de l’article d’origine, avec un minimum accepté de 600 signes et un plafond maximum de 1 500 signes.

Ne pas reprendre plus de deux sujets par jour en moyenne, sur une semaine, issus du même média. Au-delà de cette limite, se pose la question d’une contractualisation prévoyant une contrepartie.

Si le média repreneur considère qu’il ne peut pas attendre 24 heures avant de reprendre une information publiée par un confrère (révélation, enquête ou interview exclusive…), il s’engage à :

-Mentionner le média à l’origine de l’information dans la titraille (titre, sous-titre ou chapeau) de l’article la reprenant.

-Positionner vers la fin de l’article de reprise un « bouton de renvoi », avec une mention « Lire l’information complète »,avec un lien vers l’article d’origine.

Autant de règles protectrices et respectueuses tout autant des journalistes et de leur travail que de leurs lecteurs. Et un message citoyen fort….car la liberté d’informer ne vaut que si la qualité est au rendez-vous.

La charte de la traçabilité de l’information à consulter sur le site de l’Alliance de la presse d’information générale.

En savoir plus sur l’Alliance de la presse d’information générale et ses missions.

« Des échecs à tous les niveaux » : comment des lanceurs d’alerte scientifiques ont révélé des violations massives de l’éthique dans un célèbre institut français

(Source image : revue Science)

Une histoire incroyable mais pourtant vraie…

Le 07 mars 2024, la prestigieuse revue américaine Science consacre un long article, décrivant comment la persévérance de scientifiques a permis de dénoncer toutes les libertés qu’avait prises un célèbre microbiologiste marseillais avec l’intégrité et l’éthique. Ironie du sort, c’est d’une revue scientifique que vient l’ultime coup de grâce, contribuant à « déboulonner » (voir plus haut, l’image illustrant l’article) celui qui s’était fait connaître par ses publications scientifiques !

Mais au-delà du phénomène, l’article pointe « l’échec à tous les niveaux » institutionnels, face à ses violations systémiques. Ce qui suit est la version française de l’article paru initialement en anglais dans Science, Vol 383, Numéro 6687 :

Avec six études publiées dans les années 2010, le microbiologiste français Didier Raoult a enrichi son palmarès déjà vaste de publications. Lui et ses collègues ont mené un large éventail d’enquêtes sur les maladies infectieuses et leurs traitements. Ils ont prélevé des échantillons de selles sur des patients sous traitement antibiotique à long terme, à la recherche d’altérations de leur microbiome intestinal. Ils ont écouvillonné la gorge des pèlerins quittant la France pour la Mecque, à la recherche de preuves de la présence d’une bactérie responsable des abcès cérébraux. Et ils ont étudié des échantillons de valvules cardiaques et de caillots sanguins provenant de patients souffrant d’inflammation cardiaque pour affiner les tests de recherche des bactéries à l’origine de la maladie.


Mais en janvier, les revues de l’American Society for Microbiology (ASM) qui ont publié ces articles ont annoncé qu’elles retiraient les six articles , ainsi qu’un septième rédigé par les collègues de Raoult. L’Université d’Aix-Marseille avait enquêté sur ces recherches, menées au sein de son Institut Hospitalier des Infections Méditerranéennes (IHU) affilié, un hôpital de recherche que Raoult a dirigé jusqu’à sa retraite en 2021. L’enquête a révélé que les travaux n’avaient pas été examinés par l’un des responsables français. comités d’éthique nationaux très réglementés. C’était donc en violation de la loi française et de la Déclaration d’Helsinki, un document éthique international qui guide la recherche clinique.
Dans une déclaration écrite envoyée à Science , Raoult affirme que l’ASM a rétracté les articles sans tenir compte des réfutations de son équipe aux critiques. Mais pour Lonni Besançon, ces rétractations justifient les inquiétudes que lui et d’autres ont exprimées depuis que Raoult et l’IHU ont fait irruption sous les projecteurs médiatiques au début de la pandémie de COVID-19, minimisant sa gravité et vantant les perspectives d’un traitement réussi.


L’informaticien de l’Université de Linköping et ses collègues critiques – un groupe d’individus obstinés, dont beaucoup étaient des universitaires étrangers – avaient initialement pour objectif de contester la mauvaise qualité des recherches menées par l’IHU, en particulier l’affirmation selon laquelle le COVID-19 pourrait être traité avec un antipaludique. le médicament hydroxychloroquine (HCQ). Mais ils se sont rapidement lancés dans une tentative dévorante de tirer la sonnette d’alarme sur les manquements éthiques dans la recherche de l’institut, remontant à au moins 15 ans.
Leurs efforts ont rencontré des réponses médiocres de la part des institutions scientifiques françaises
, dit Besançon, mais les rétractations en sont jusqu’à présent la conséquence la plus importante. Ils « confirment ce que nous soupçonnions », dit-il. « Mais j’espère que les choses iront plus loin. »
Raoult affirme que ses détracteurs sont des harceleurs et des cyberharceleurs qui ont mal compris le fonctionnement de la loi biomédicale française. Il dit qu’il a suivi les règles éthiques et qu’une grande partie des recherches critiquées ont porté sur les « déchets humains » – tels que les matières fécales – qui ne sont pas définis comme une recherche biomédicale selon la loi française.

Mais les manquements éthiques ne sont « pas contestés » au sein de la communauté scientifique, estime Philippe Amiel, avocat spécialisé dans l’expérimentation humaine. Les autorités sont au courant des problèmes de l’IHU depuis des années, ajoute Karine Lacombe, infectiologue à Sorbonne Université. S’ils avaient agi plus tôt, dit-elle, « le tableau de la pandémie en France aurait été totalement différent ».
Une enquête pénale contre l’institut Raoult est désormais en cours. Mais ses détracteurs se demandent pourquoi les institutions françaises ont mis autant de temps à s’attaquer aux violations systémiques à l’IHU, laissant à un groupe persistant d’étrangers le soin d’enquêter sur l’institut et de pousser à des mesures punitives. Et ils se demandent si Raoult et l’institut seront tenus responsables des nombreux manquements qu’ils ont allégués. «C’est un très gros gâchis», dit Lacombe.


Raoult est surtout connu pour ses travaux sur les rickettsies – bactéries transmises par les puces et les tiques – et sa découverte de virus géants. Il cumule les décorations nationales en France et dans son pays natal, le Sénégal, ainsi que les récompenses scientifiques prestigieuses, dont le Grand Prix 2010 de l’INSERM. Il a publié de nombreux articles, avec plus de 3 200 articles répertoriés sur PubMed, et est l’un des chercheurs les plus cités dans son domaine.
En 2011, Raoult a été choisi pour diriger le nouvel IHU de Marseille, l’un des six hôpitaux de recherche de pointe établis par le gouvernement du président Nicolas Sarkozy. L’IHU de Raoult, spécialisé dans la recherche sur les maladies infectieuses, a été lancé grâce à une subvention gouvernementale de 72 millions d’euros et a emménagé en 2018 dans un nouveau bâtiment imposant. Le pouvoir de l’institut est aussi bien politique que scientifique, estime Michel Dubois, sociologue des sciences au CNRS : « Quand vous ouvrez cet institut, quand vous créez un bâtiment, vous avez besoin d’un certain levier au niveau politique. »
Alors que l’Europe commençait à s’intéresser sérieusement à la pandémie de COVID-19 début 2020, les médias ont voulu savoir ce que Raoult et son institut pensaient de la situation. « Presque chaque jour, on pouvait voir une nouvelle interview de Raoult », raconte Antoine Bristielle, chercheur en sciences sociales à la Fondation Jean-Jaurès, un groupe de réflexion. « C’est devenu un phénomène qui s’est auto-renforcé… les médias s’intéressaient à ce qu’il disait, donc il est devenu très puissant auprès de la population française. Et puis, bien sûr, les médias le voulaient parce qu’il était capable d’attirer un large public.»
Dans les vidéos mises en ligne par l’IHU, Raoult est souvent assis dans un bureau, vêtu d’une blouse, de longs cheveux gris et une barbe légèrement hirsute. Il parle sobrement et doucement, fronçant légèrement les sourcils tout en prononçant des déclarations rassurantes : le nouveau coronavirus a un taux de mortalité qui n’est pas très différent des infections respiratoires généralisées ; un traitement sera bientôt disponible.


Les déclarations confiantes de Raoult ont attiré l’attention de Fabrice Frank, un ancien biologiste qui a quitté le monde universitaire et est devenu professeur de mathématiques et de physique au lycée. Au moment où la pandémie a frappé, Frank avait quitté la France pour le Maroc, où il a créé une entreprise informatique et a consacré son temps libre au surf. Il a été choqué d’entendre Raoult affirmer – avec peu de preuves, basées sur des recherches peu documentées en Chine – que l’HCQ, ou le médicament apparenté, le phosphate de chloroquine, serait un traitement efficace.
Victor Garcia, journaliste au magazine français L’Express , a vu des scientifiques exprimer leur scepticisme quant aux affirmations de Raoult sur les réseaux sociaux. Il a appelé l’IHU, supposant qu’il disposait de plus de détails susceptibles de contrer certaines des inquiétudes des critiques. Mais Garcia dit avoir reçu une réponse « étrange » de la part du chercheur de l’IHU, Jean-Marc Rolain. «Je suis un scientifique», a déclaré Rolain. « Si je te dis de prendre de la chloroquine, tu m’écouteras. » (Rolain n’a pas répondu aux multiples demandes de commentaires.) C’était «le début de ma démarche de questions», dit Garcia.


Le 11 mars 2020, le ministre français de la Santé Olivier Véran a invité Raoult à rejoindre le Conseil scientifique conseillant le gouvernement sur sa réponse à la pandémie. Quelques jours plus tard, Raoult et son équipe publiaient un article explosif dans l’ International Journal of Antimicrobien Agents , rapportant que l’IHU avait découvert que l’HCQ combinée à l’antibiotique azithromycine était un traitement efficace contre le COVID-19.
Bien que les résultats soient préliminaires et que d’autres chercheurs aient mis en doute les conclusions de Raoult, le battage médiatique sur le HCQ a augmenté, le président américain de l’époque, Donald Trump, vantant sa promesse et Raoult s’enthousiasmant sur YouTube. « Raoult disait : ‘Je comprends tout, j’ai une solution’, et les gens veulent ce genre d’informations en période de troubles », explique Bristielle.
Le soutien populaire à Raoult a engendré un soutien politique, ajoute Bristielle. « Si quelqu’un est aussi présent dans le paysage médiatique, les hommes politiques doivent l’écouter, sinon la population se méfiera vraiment de lui. » Le 26 mars, face à la forte résistance de certains autres membres du conseil scientifique, Véran a publié un décret autorisant la prescription d’HCQ aux patients hospitalisés atteints du COVID-19.

La consultante en intégrité scientifique Elisabeth Bik a décidé d’examiner de près l’article du HCQ. Microbiologiste de formation, Bik connaissait déjà Raoult et sa réputation de publication prolifique. Sur son blog, elle a souligné plusieurs problèmes qu’elle a constatés avec le journal : les patients n’avaient pas été répartis au hasard entre les groupes de traitement et de contrôle, ce qui aurait pu biaiser les résultats. Elle a également noté que six patients sur les 26 traités par HCQ ont été exclus des données, dont trois ont été transférés aux soins intensifs et un est décédé, ce qui a brossé un tableau plus favorable du traitement.
Besançon aussi était curieux. Il a examiné l’article, qui avait été soumis à la revue le 16 mars et accepté le lendemain, et a remarqué que l’un des auteurs était également rédacteur en chef de la revue. « Vous disposez donc d’un temps de révision très court et d’un conflit d’intérêts éditorial », dit-il. « Je trouve simplement que cela pourrait être un gros signal d’alarme. Mais je pensais que ce n’était qu’un seul journal. (Un éditorial de juillet 2020 dans la revue indiquait que la gestion de l’article avait été déléguée à un rédacteur adjoint afin de minimiser les biais potentiels, bien qu’il notait que « certaines des préoccupations concernant la méthodologie de l’article étaient fondées. »).


Au cours des semaines suivantes, deux autres études de l’IHU sont apparues, avec des délais d’évaluation par les pairs inhabituellement courts, toutes deux dans une revue dont l’un des auteurs était rédacteur associé. L’un de ces articles était une deuxième étude utilisant l’HCQ pour traiter 80 patients hospitalisés atteints du COVID-19 « légèrement infectés » ; presque tous se sont améliorés cliniquement. L’étude n’avait pas été examinée par l’un des 39 Comités de protection des personnes (CPP) français, les comités d’éthique indépendants hautement réglementés autorisés à approuver la recherche biomédicale. Au lieu de cela, il avait été approuvé par le comité d’éthique interne de l’IHU.
C’était suffisant, écrivent les auteurs, car il s’agissait d’une étude rétrospective sur des patients ayant reçu des soins médicaux normaux, les chercheurs examinant simplement leurs dossiers pour voir comment ils s’en sortaient. En France, ces études ne sont pas couvertes par la loi sur l’éthique de la recherche et ne nécessitent donc pas l’agrément d’un CPP. Au lieu de cela, les chercheurs demandent souvent l’approbation des comités d’éthique institutionnels – qui ne sont pas réglementés – pour fournir des détails sur l’approbation éthique aux revues. Mais si des échantillons sont collectés à la fois pour la recherche et pour des soins médicaux, l’étude doit alors être approuvée par un CPP, explique Amiel. « Dissimuler une étude prospective sous une étude rétrospective est une tentation bien connue », dit-il. La recherche non autorisée constitue une infraction pénale.
L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a déclaré avoir demandé à l’IHU la preuve que l’étude était bien rétrospective et, en mai 2020, l’agence a saisi l’Ordre des médecins français. Le parquet de Marseille, alerté de l’affaire par un informateur, annonce plus tard dans l’année que l’étude était rétrospective et abandonne l’affaire. Pourtant, ces premières inquiétudes ont incité Bik, Besançon et d’autres à examiner de près l’important dossier de publications de Raoult – et à accorder une attention particulière à l’approbation éthique.


Malgré le scepticisme croissant des scientifiques et autres, le soutien du public à Raoult a perduré. Un sondage de mai 2020 révèle que 30 % des Français lui font plus confiance qu’à Véran. En juin, selon les recherches de Bristielle, plus de 90 groupes Facebook le soutenaient, avec un total de près de 1,1 million de membres. D’ici Noël, les supporters pouvaient acheter un santon de Raoult – une petite figurine en terre cuite traditionnelle de Provence, où les crèches incorporent des personnages et des héros locaux.

Pendant ce temps, Frank, Garcia et d’autres critiques ont commencé à approfondir l’ensemble des recherches de Raoult. Bik dit qu’elle s’est d’abord concentrée sur les images contenues dans ses articles, car sa spécialité est de détecter la manipulation d’images. Mais, confrontée aux insultes de Raoult – et au harcèlement de ses collègues et partisans – elle a canalisé sa frustration en évaluant son vaste catalogue, trouvant d’autres études qui semblaient manquer d’approbation éthique appropriée.
Garcia avait également commencé à scruter les articles de l’IHU et a publié en juillet 2021 une enquête dans L’Express qui rapportait avoir trouvé 17 études entre 2011 et 2020, impliquant pour la plupart des sans-abri ou des réfugiés, qui avaient toutes utilisé le même numéro d’approbation éthique, même si le les études ont utilisé différentes méthodes pour répondre à différentes questions de recherche. L’un d’eux, par exemple, a effectué des prélèvements nasaux dans un refuge pour sans-abri pour tester la prévalence des microbes ; un autre a prélevé des échantillons d’expectorations et des radiographies pulmonaires des résidents du refuge pour tester la tuberculose. (Un représentant de l’IHU a déclaré à L’Express que l’utilisation répétée du code était le résultat d’« erreurs éditoriales ».) Encore une fois, le numéro d’approbation éthique provenait d’un comité d’éthique institutionnel et non d’un CPP, a rapporté Garcia.

Frank aussi avait commencé à creuser. Coincé chez lui au Maroc en quarantaine, il a parcouru Google Scholar pour trouver des études de l’IHU qui partageaient des codes d’approbation éthiques. Avec ses collaborateurs, dont Besançon, il a finalement découvert 248 études ayant utilisé le numéro d’agrément « 09-022 », représentant une seule demande au comité d’éthique de l’IHU.
Raoult était l’auteur de toutes ces 248 études, sauf 10. Il a déclaré à Science qu’il était « parfaitement vrai » que tous ces articles réutilisaient le numéro d’approbation éthique. Mais cela était permis, dit-il, car toutes impliquaient le même type de recherche : des analyses de bactéries présentes dans les excréments humains collectés lors de soins standards ou dans des déchets. Aucune de ces recherches ne relevait de la loi française sur la bioéthique, dit-il.
Mais Amiel affirme que les études décrivent des échantillons prélevés à des fins de recherche et pas seulement dans le cadre de soins standard, et que ce type d’étude devrait « sans aucun doute » être autorisé par un RPC. (Bien que beaucoup aient été menées avant l’entrée en vigueur de la loi française actuelle en 2016, cette recherche aurait quand même nécessité l’approbation du RPC en vertu de la loi précédente, dit Amiel.) Et bon nombre des 248 études ne reposaient pas sur les matières fécales, mais sur d’autres matériaux, notamment des échantillons vaginaux, de l’urine, du sang et même du lait maternel. Tout changement dans le protocole de recherche devrait donner lieu à une nouvelle demande d’approbation éthique, explique Amiel.
De nombreux articles impliquaient des enfants, et près de la moitié d’entre eux avaient été menés hors de France – en grande partie dans divers pays africains – sans aucun détail, voire flou, sur l’approbation des organismes éthiques locaux pour la recherche, selon Frank et ses collaborateurs. « Il y a eu tellement de violations de la loi sur l’éthique, depuis si longtemps », déclare Frank, qui a publié les conclusions du groupe dans Research Integrity and Peer Review en août 2023.


Une chute au ralenti
Les critiques ont pour la première fois soulevé des inquiétudes quant aux approbations éthiques des études de Didier Raoult début 2020, alors que la pandémie de COVID-19 a propulsé l’Institut hospitalier des infections méditerranéennes (IHU) de Marseille sur le devant de la scène. Ils estiment que les autorités et les journaux français ont mis beaucoup trop de temps à réagir.
Raoult affirme que les études reposant sur du matériel autre que des échantillons de selles ont bénéficié d’un « avis favorable supplémentaire » de la part du comité d’éthique local, mais que son équipe n’en a pas fait état dans ses articles. Le seul pays pour lequel son équipe n’avait pas d’approbation éthique était le Niger, ajoute-t-il, qui n’avait pas de processus d’approbation éthique avant 2016. Il dit que lui et ses collègues ont soumis une réponse à l’article de Frank et ont demandé à Springer Nature… l’éditeur de la revue – de le retirer. Un porte-parole de Springer Nature a déclaré : « Nous sommes conscients des préoccupations concernant ce document et étudions attentivement la question, conformément à nos processus établis. »
Le fait qu’autant d’études aient porté sur des populations vulnérables, comme celles vivant dans des refuges pour sans-abri, était « scandaleux », dit Bik. Les personnes vulnérables peuvent avoir l’impression qu’elles n’ont pas le choix de participer ou non à une étude de recherche, explique Lisa Rasmussen, éthicienne de recherche à l’Université de Caroline du Nord à Charlotte. « Ils ne sont pas en mesure de donner un consentement authentique. »


En réponse à l’attention des médias – mais plus de 18 mois après que Bik ait soulevé pour la première fois sur son blog des questions sur les approbations éthiques et les méthodes d’étude – les autorités françaises ont commencé des inspections à l’IHU. En octobre 2021, l’ANSM a indiqué avoir constaté des infractions et avoir saisi le procureur de la République, et qu’elle poursuivait son enquête. Le gouvernement français a également demandé à deux organismes de contrôle, l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, d’enquêter.
Raoult affirme que ces inspections sont le résultat d’un « petit complot visant à faire croire que nous menions un essai illégal de traitement contre la tuberculose ». (Selon un article des médias , les patients de l’IHU atteints de tuberculose avaient reçu des traitements non éprouvés.) Raoult affirme que les agences n’ont trouvé aucun essai illégal de ce type et seulement trois problèmes mineurs avec d’autres projets de recherche. Cependant, tant le rapport de l’ANSM, rendu public en avril 2022 , que celui des agences de contrôle, publié 5 mois plus tard , notent que des patients de l’IHU ont reçu un traitement antituberculeux non homologué, certains souffrant d’effets indésirables graves. Cela pourrait constituer une infraction pénale, selon les organismes de contrôle.

Mais les rapports allaient aussi beaucoup plus loin, décrivant des préoccupations éthiques similaires à celles soulevées par Frank, Garcia et d’autres. Les organes de contrôle de l’État ont constaté que l’IHU s’appuyait fortement sur son comité d’éthique interne, « dont la composition ne garantit pas suffisamment son indépendance et dont les méthodes de travail ne permettent pas de prendre une décision éclairée ». Et l’ANSM a décrit des projets de recherche lancés sans ou avant l’approbation éthique, des formulaires de consentement manquants et des chercheurs qui ne comprenaient pas les règles éthiques. Ils ont trouvé des preuves d’une signature falsifiée sur un document d’approbation éthique pour une étude qui demandait aux étudiants de fournir des échantillons, y compris des écouvillons vaginaux et rectaux, avant et après le voyage, pour voir s’ils avaient ramené avec eux des souches bactériennes résistantes aux antibiotiques.
Les inspecteurs du gouvernement ont également fait état de « pratiques médicales et scientifiques déviantes généralisées au sein de l’IHU », notamment celles qui brouillent la frontière entre soins aux patients et recherche. Par exemple, les cliniciens ont rassemblé une série d’échantillons de chaque patient qui seraient ensuite archivés, éventuellement pour être utilisés dans des recherches futures. Lors du traitement des patients atteints du COVID-19, les cliniciens ont effectué une série de tests, notamment des tests PCR quotidiens et d’autres tests qui « sont une question de recherche et non de soins », ont rapporté les enquêteurs. L’institut a précipité la recherche dans une « course à la publication », indique le rapport, accumulant des centaines de publications chaque année – avec plus d’articles dans des revues de niveau inférieur que d’autres institutions similaires – et mobilisant des financements substantiels destinés à encourager des taux de publication élevés.
Les inspecteurs ont indiqué que l’INSERM, qui avait contribué à la création et au fonctionnement de l’IHU, s’était retiré de l’institut en 2018. Un porte-parole de l’INSERM affirme avoir constaté que plusieurs projets de recherche ne répondaient pas à ses normes scientifiques. Le CNRS s’en est retiré en 2016 et n’a « aucun lien » avec l’IHU depuis 2019, selon un porte-parole. Les rapports ne blâment pas spécifiquement Raoult pour ces échecs. Mais ils ont affirmé qu’il tenait fermement les rênes du pouvoir au sein de l’institut, des témoignages d’employés rapportant que Raoult était « omniprésent » et « décideur final », et que les autres dirigeants étaient « en totale conformité » avec les vues de Raoult.
L’ANSM a placé l’IHU sous sa tutelle afin de s’assurer que tous les futurs projets de recherche soient menés avec les autorisations nécessaires. Et tant les agences gouvernementales que l’ANSM ont de nouveau transmis leurs conclusions au procureur de la République. L’état de cette enquête n’est pas clair et le procureur, Nicolas Bessone, n’a pas répondu aux multiples demandes de commentaires. Raoult dit avoir « bon espoir » que les dossiers actuellement sous enquête soient bientôt clos. Des dossiers sont parfois renvoyés devant d’autres juridictions en France lorsqu’il peut y avoir des conflits d’intérêts locaux, explique Mathieu Molimard, pharmacologue de l’Université de Bordeaux, qui critique depuis début 2020 les déclarations et les recherches de l’IHU : « Nous préférerions que cela se voie à Paris. »


Malgré l’examen désormais minutieux de leurs travaux, Raoult et ses collègues ont publié en avril 2023 un projet de document qui a provoqué une nouvelle onde de choc sur les réseaux sociaux. «Je suis tombé de ma chaise», raconte Molimard. « C’est la plus grande étude contraire à l’éthique réalisée depuis des années, en France, peut-être dans le monde. … C’est incroyable. » Plus d’une douzaine d’organismes scientifiques seront par la suite d’accord avec son évaluation.
Raoult et ses collègues avaient analysé les données de 30 202 patients COVID-19 traités à l’IHU entre mars 2020 et décembre 2021, dont 23 172 ayant reçu une association d’HCQ et d’azithromycine. Pourtant, la France avait retiré l’autorisation temporaire de traiter les patients hospitalisés atteints du COVID-19 avec l’HCQ en mai 2020, après qu’un article paru dans The Lancet ait rapporté que l’HCQ n’était pas un traitement efficace contre le COVID-19 . (Cet article a ensuite été rétracté après que les données ont été remises en question, mais un essai contrôlé randomisé ultérieur publié par la collaboration de masse RECOVERY n’a également trouvé aucun effet. )
La prépublication montre que l’IHU a continué à prescrire ce médicament à grande échelle longtemps après, explique Molimard.

Raoult dit que lui et ses collègues ont décidé en avril 2020 de traiter les patients atteints de COVID-19 avec de l’HCQ « hors AMM », après que leur étude initiale les ait convaincus de l’efficacité du médicament. En France, comme dans de nombreux autres pays, les médicaments peuvent être prescrits pour des raisons extérieures à leur autorisation normale, mais cette prescription hors AMM doit avoir une justification médicale et scientifique, explique Amiel – et « dans ce cas, des preuves médicales et scientifiques solides ont établi que la prescription d’HCQ pour traiter le COVID est injustifiable« .
L’étude n’a également révélé aucune approbation d’un RPC ; la section éthique répertorie uniquement un numéro de référence du comité d’éthique de l’IHU. Comme ils l’avaient fait dans des articles précédents, les chercheurs ont déclaré que l’étude était rétrospective et analysait les données des patients provenant du système d’information de l’hôpital. Mais Amiel affirme que l’équipe de l’IHU était « très déterminée à prouver l’efficacité de son traitement », en soulignant les preuves – révélées par l’inspection gouvernementale – selon lesquelles elle effectuait quotidiennement des tests PCR pour vérifier les niveaux viraux, par exemple. « Il est parfaitement clair que l’étude s’appuie sur des données collectées dans un contexte mixte de soins et de recherche. »


Molimard estime que l’ANSM et le ministère des Solidarités et de la Santé auraient dû réagir immédiatement à cette publication. Consterné par leur silence, il a contacté diverses sociétés françaises, les exhortant à signer une tribune dans le grand journal français Le Monde, qualifiant l’étude de « plus grand essai thérapeutique ‘sauvage’ connu à ce jour ». Quatorze organismes scientifiques, dont la coalition nationale des comités d’éthique et la Société française de pharmacologie et de thérapeutique, ont signé la lettre et, en juin 2023, l’ANSM a annoncé avoir de nouveau saisi le procureur. Le 30 octobre, l’article a néanmoins été publié dans la revue New Microbes and New Infections, propriété d’Elsevier .
L’ampleur du procès est sans précédent, dit Molimard. Il cite le cas récent de Jean-Bernard Fourtillan, un chercheur qui a testé des patchs de mélatonine sur des patients atteints d’Alzheimer et de Parkinson sans autorisation éthique. Son étude, dit Molimard, portait sur environ 300 patients : « Et il est allé en prison. »


Ces derniers mois, de nouveaux coups ont été portés sur l’IHU, à commencer par le retrait de deux rapports scientifiques en octobre 2023 pour manque de preuves de contrôle éthique au Niger et au Sénégal, où les études ont été menées. Raoult affirme que l’équipe a obtenu l’approbation éthique d’un comité d’examen institutionnel au Sénégal ; Comme le Niger ne disposait d’aucun processus d’approbation éthique au moment où l’étude a été menée, les collaborateurs locaux ont confirmé que la recherche était conforme aux lois locales, dit-il. Un porte-parole de Springer Nature, qui publie Scientific Reports , affirme que dans de tels cas, les chercheurs doivent toujours obtenir l’approbation éthique d’une autre source, comme une université. Les deux études font « partie d’une enquête plus large concernant des problèmes éthiques potentiels dans un certain nombre d’articles », selon le porte-parole.
Les revues PLOS ont signalé près de 50 autres articles de l’IHU exprimant des inquiétudes dans le cadre d’une enquête en cours, rapportée par Retraction Watch en décembre 2022. (Au moment où les études ont été soumises, les éditeurs de PLOS ne demandaient pas systématiquement de preuves d’approbation éthique, selon à David Knutson, responsable de la communication du PLOS.) En novembre 2023, le conseil d’administration de l’hôpital de Marseille a déclaré à l’agence de presse AFP qu’il « condamnait fermement » l’étude de masse sur l’HCQ ; l’IHU a déclaré qu’il « partageait » la réaction du conseil d’administration de l’hôpital. Et Elsevier a annoncé que New Microbes and New Infections avait ouvert une enquête sur les préoccupations éthiques concernant les articles de l’IHU publiés dans la revue. Un porte-parole d’Elsevier n’a pas confirmé si « l’essai clinique sauvage » faisait partie des articles faisant l’objet d’une enquête.
En décembre, les ministres français de la Santé et de la Recherche ont demandé à un organisme disciplinaire qui supervise les hôpitaux universitaires d’engager des poursuites contre les trois coauteurs de l’IHU de Raoult sur l’étude de masse sur le COVID-19, mais pas contre Raoult, qui a pris sa retraite à l’été 2021.


La lutte a fait des ravages parmi les critiques. Ils ont été confrontés non seulement à des abus de la part de ses partisans sur les réseaux sociaux et à des plaintes auprès de leurs employeurs, mais également à la menace de poursuites judiciaires de la part de Raoult, qui a fait l’objet de plusieurs plaintes juridiques financées par l’IHU. L’avocat de Raoult a déclaré que Raoult avait porté plainte contre Bik en avril 2021 pour harcèlement et chantage. Il a également déposé des plaintes juridiques contre d’autres critiques, notamment Lacombe ; Raoult a perdu son procès contre elle en novembre 2022. En science, dit Molimard, « on a l’habitude de débattre, d’argumenter… mais on n’a pas l’habitude de ça ! »
Malgré le harcèlement, Besançon se dit intrépide et entend continuer à critiquer le travail de Raoult. «J’ai grandi dans un quartier très pauvre», dit-il. « Vous savez, quand vous voyez des voitures brûler en France ? C’est là que j’étais… J’ai dû me défendre, apprendre à ne pas avoir peur des intimidateurs potentiels« . Bik non plus n’a pas l’intention de s’arrêter : « Je n’ai pas vraiment de carrière qu’il puisse ruiner », dit-elle. « Je ne vais pas le laisser me faire taire. »


Besançon et d’autres estiment que la réponse institutionnelle française a été d’une faiblesse inacceptable. Il y a eu « des échecs à tous les niveaux », dit Garcia : au ministère de la Santé ; dans le système judiciaire; au sein du conseil universitaire et hospitalier régional, qui assure la tutelle de l’IHU ; et à l’ANSM, qui n’a procédé à une inspection complète qu’après que des enquêtes médiatiques ont mis en lumière les problèmes. Les rédacteurs des journaux ont également été trop lents à réagir, dit Besançon. « Le plus souvent, il semble qu’ils ne se soucient pas de l’intégrité. »
L’IHU, le conseil régional des hôpitaux et l’ANSM n’ont pas répondu aux multiples demandes de commentaires. Le ministère de la Santé a indiqué dans une déclaration à Science que « plusieurs actions ont été prises par les pouvoirs publics en réponse aux manquements constatés à l’IHU ».
Une partie de l’échec réside dans la loi française sur l’éthique de la recherche, dit Amiel, qui est en décalage avec les normes internationales. «C’est provincial», dit-il. « Et c’est vraiment un problème. » Parce que la loi autorise certaines études sur l’homme sans approbation éthique, dit Amiel, des violations similaires se produisent ailleurs en France, mais pas à l’échelle de l’IHU. La meilleure solution serait de refondre la loi, dit-il, mais « je ne pense pas que ce soit une priorité pour le gouvernement pour le moment ».
Les relations étroites entre les pouvoirs politiques et les institutions scientifiques en France sont également responsables de la lenteur de la réponse institutionnelle, dit Lacombe. Sans les voix extérieures – comme Bik, Frank, Besançon, Molimard et Garcia – « je ne suis pas sûre que les choses auraient bougé », dit-elle.


Frank craint que la réponse médiocre envoie le message qu’il n’y a aucune conséquence pour de telles violations. « Peut-être que demain – j’espère que non – nous aurons le SRAS-3… et le message envoyé sera : « Ne vous inquiétez pas pour la santé publique. Montrez simplement votre visage, dites tout ce que vous voulez, et vous vendrez des livres, serez célèbre et aurez beaucoup de fans. C’est fou. »

Les lanceurs d’alerte (scientifiques et journaliste) cités dans l’article :

L’ancien biologiste Fabrice Frank , aujourd’hui consultant en informatique, a profité de son temps de quarantaine COVID-19 pour commencer à constituer une base de données de tous les documents de l’Institut Hospitalier des Infections Méditerranéennes (IHU) de Marseille qui semblaient réutiliser les numéros d’approbation éthiques. Lui et ses collaborateurs ont identifié 248 articles utilisant le même code, malgré des questions différentes, utilisant des échantillons différents, dans différentes populations de participants et dans différents pays.

Victor Garcia, journaliste au magazine français L’Express , a commencé à s’intéresser à Raoult lorsqu’il s’est enthousiasmé sur le potentiel de l’HCQ comme traitement contre le COVID-19. Garcia a couvert l’histoire émergente de l’IHU battement pour battement et y a publié deux enquêtes sur des abus éthiques. Peu après sa publication, l’Agence française de sécurité du médicament a commencé à inspecter l’IHU.

Elisabeth Bik, une détective de l’intégrité scientifique basée à San Francisco, a exprimé pour la première fois ses inquiétudes concernant les travaux de l’IHU sur l’hydroxychloroquine (HCQ) en mars 2020. Elle a ensuite identifié des problèmes éthiques et scientifiques majeurs dans des dizaines d’articles de l’IHU, sous l’impulsion, dit-elle : par les insultes de Didier Raoult et de ses partisans.

Lonni Besançon, informaticien à l’université de Linköping, est devenu curieux du travail de Raoult après avoir remarqué un article publié dans une revue dont un auteur était également rédacteur en chef. Il a co-écrit plusieurs articles sur les manquements éthiques et les problèmes méthodologiques dans la recherche à l’IHU, et a milité pour que les revues enquêtent et retirent les travaux problématiques.

Mathieu Molimard, pharmacologue à l’Université de Bordeaux, a commencé à contrer les affirmations de l’IHU concernant l’HCQ en avril 2020. Indigné par l’absence de réponse des autorités françaises à la publication par l’IHU d’un essai apparemment non autorisé sur l’HCQ, Molimard a rallié les représentants de 14 sociétés scientifiques françaises. signer une lettre ouverte dans Le Monde.

Découvrir l’article en anglais de Cathleen O’Grady, paru dans Science, Vol 383, Numéro 6687

« On ne combat pas le mensonge en discutant avec lui », mais « en prenant la parole, en rappelant les faits, en informant »

« On combat le mensonge en prenant la parole, pour rappeler les faits…… »

 « Pour discuter, il faut une base commune qui repose sur la factualité de ce dont on parle », souligne le théologien Antoine Nouis dans un édito pour l’hebdo Réforme daté du 06/03/24(1). En effet, il ne saurait y avoir de « fait alternatif », et « on a reproché à Emmanuel Macron d’avoir continué à parler avec Vladimir Poutine[Le Président russe réélu pour la cinquième dimanche 17/03 à plus de 87 % des voix, malgré la répression, la mort de l’opposant Alexeï Navalny et l’assaut contre l’Ukraine(2)], jusqu’au moment où il a renoncé devant les mensonges continuels du président russe ».

Et le théologien de rappeler qu' »en hébreu, le verbe mentir a la même racine que les mots figer, geler et lier, enchaîner. Le mensonge enferme son auteur dans une logique qui l’empêche de parler selon son cœur et de bouger. Quand la vérité n’est plus une valeur, plus rien ne circule, comme si, dans un corps vivant, tout se coagulait ». D’autre part, ajoute Antoine Nouis, » le mensonge a tendance à se multiplier car il entraîne d’autres mensonges qui enferment progressivement dans leurs filets », citant Alexandre Soljenitsyne, lequel a dit, dans son discours de réception du prix Nobel : « La violence ne trouve son refuge que dans le mensonge et le mensonge ne trouve son appui que dans la violence. Tout homme qui a opté pour la violence doit inexorablement choisir le mensonge comme son principe. » 

Comme le mensonge finit toujours en impasse, le menteur ne peut s’en sortir que par la violence. Les régimes totalitaires qui utilisent la violence pour se maintenir en place, utilisent toujours le mensonge pour justifier, ou camoufler, leurs méfaits. En théologie, le prince du mensonge est un des noms du diable, (….)une force spirituelle qui cherche à prendre autorité sur une personne pour l’enfermer dans une logique maléfique. Vladimir Poutine est dans une impasse où il se trouve de plus en plus isolé et prisonnier de ses mensonges, sa politique répressive face à toute parole de contestation en est le signe. Comme on le constate tous les jours, le diabolique est une œuvre de mort ». 

Au final, prévient Antoine Nouis, « on ne combat pas le mensonge en discutant avec lui, selon l’aphorisme du Talmud qui dit à propos d’un menteur : « Non seulement ce qu’il dit n’est pas vrai, mais le contraire de ce qu’il dit aussi. », mais « on combat le mensonge en prenant la parole, en rappelant les faits, en informant« , ce que font « les dissidents en Russie avec un courage qui force notre admiration »(1).

Pour aller plus loin, voir aussi cette analyse d’Erri de Luca : « Le retour des guerres d’invasion en Europe nous replonge dans le 20e siècle, et ne représente aucunement une anticipation de l’avenir. Je pense, par ailleurs, que ce sont les dictatures qui, par nature, sont fragiles, pas les démocraties. En général, lorsqu’un régime dictatorial se lance dans une aventure militaire de cette envergure, il finit, en effet, par être renversé ».

Notes :

(1) Cf https://www.reforme.net/editoriaux/2024/03/06/poutine-le-mensonge-et-la-mort

Par ailleurs, si Jésus-Christ, Notre Seigneur, «est la vérité », quelle conséquence pratique pour nous, qui prétendons le suivre, aujourd’hui ? « Tu t’abstiendras de toute parole mensongère », nous commande Exode 23v7 [TOB : « de toute cause mensongère »]. Mot à mot : « tiens-toi loin »Il ne s’agit pas seulement de ne pas mentir, mais de se tenir éloigné du mensongede prendre ses distances pour ne pas laisser le moindre espace au mensonge. Une méditation détaillée sur ce thème à lire sur Pep’s café!

(2) Voir, notamment https://www.lefigaro.fr/international/russie-vladimir-poutine-reelu-pour-un-sixieme-mandat-avec-87-des-voix-20240317 et https://www.ladepeche.fr/2024/03/19/entretien-vladimir-poutine-reelu-sa-priorite-est-lukraine-et-le-regime-va-continuer-a-serrer-la-vis-analyse-un-specialiste-11833410.php

Pluralisme des médias : pourquoi la décision du Conseil d’Etat n’est pas contraire à la liberté d’expression mais fidèle à l’esprit des lois

« En France comme ailleurs, le pluralisme ne résulte pas du jeu du marché ; il se construit« 

Souvenez-vous : dans une affaire relative à CNews, le 13 février, le Conseil d’Etat a enjoint au régulateur de l’audiovisuel, l’Arcom (ex-CSA), de se montrer plus exigeant à l’égard du pluralisme de l’information.  Très vite, les critiques fusent : « atteinte à la liberté d’expression » pour les uns, « coup de force des juges », ou encore « premier signe d’un régime autoritaire » pour les autres. 

« C’est pourtant tout l’inverse », explique Camille Broyelle, professeure de droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas et spécialiste des médias. « Il faut le comprendre et ne pas se laisser impressionner par l’argument de la liberté d’expression, si souvent brandie par ses plus grands fossoyeurs ». 

Dans une tribune au « Monde » (27/02/24), elle explique que la décision du Conseil d’Etat du 13 février sur la diversité des points de vue à la télévision n’est pas contraire à la liberté d’expression, mais fidèle à l’esprit de nos lois :

En effet, poursuit-elle, « rappelons tout d’abord le droit en vigueur : « L’Arcom assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale », comme l’énonce la loi du 30 septembre 1986 (article 13). 

Le législateur a ainsi imposé aux chaînes un pluralisme interne, c’est-à-dire l’expression de points de vue différents au sein même de leur programmation. Jusqu’à présent, le régulateur se contentait d’en déduire une obligation de répartition équitable des temps de parole des « personnalités politiques » dont il dressait la liste. Certaines chaînes ont cependant entrepris de confier aux présentateurs et aux chroniqueurs le soin d’exprimer des opinions partisanes.  
Le seul calcul des temps de parole des personnalités politiques est ainsi devenu obsolète. Désormais, pour assurer l’effectivité du pluralisme, il faudra, selon le Conseil d’Etat, prendre en compte, « dans l’ensemble de la programmation, la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés ». L’Arcom est ainsi appelée à créer un nouvel outil capable de mesurer si une chaîne, dans sa globalité, représente ou non différents points de vue.  

Aujourd’hui comme hier, le pluralisme interne restreint nécessairement la liberté éditoriale des chaînes de la TNT. Il faut pourtant comprendre que la liberté des médias n’est pas la liberté d’expression de l’individu appliquée aux médias. Chercheur à la London School of Economics, Damian Tambini l’a très bien montré dans un ouvrage marquant (Media Freedom, « liberté des médias », Polity, 2021, non traduit). En France, comme dans la plupart des démocraties libérales − les Etats-Unis font exception −, cette liberté est tout entière tournée vers l’utilité sociale des médias et le rôle fondamental qu’ils exercent dans la vie démocratique [RQ perso : un principe par ailleurs biblique, que les chrétiens peuvent comprendre, vu qu’ils sont censés viser « l’utilité commune » dans le libre exercice des dons spirituels cf 1 Corinthiens 12v7]

Le Conseil constitutionnel l’a parfaitement exprimé lorsque, expliquant les exigences du pluralisme, il conclut : « En définitive, l’objectif à réaliser est que les téléspectateurs, qui sont au nombre des destinataires essentiels de [la liberté de communication], soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché. » 

La doctrine du libre marché des idées promue aux Etats-Unis est aux antipodes de nos valeursPrécisément, les opinions ne doivent pas constituer la proie des intérêts économiques.  

En France comme ailleurs, le pluralisme ne résulte pas du jeu du marché ; il se construit. Dans le secteur de la presse, il est soutenu par un dispositif d’aides publiques qui permet d’assurer la diversité des titres. On parle alors de pluralisme externe. Lorsqu’il ne peut être réalisé, l’exigence de pluralisme interne prend le relais. C’est le cas s’agissant de la TNT.  

Les chaînes sont en effet diffusées par des fréquences hertziennes dont le nombre est limité. Sans doute peuvent-elles désormais s’en dispenser et être exclusivement distribuées sur d’autres réseaux, en particulier sur Internet. Ce sont pourtant les chaînes de la TNT qui rassemblent la plus large audience, ce qui explique l’importance pour un éditeur de télévision de disposer d’un canal hertzien plutôt que de migrer en ligne.  

En dépit des évolutions considérables, actuelles et à venir, des modes de consommation des contenus audiovisuels, les chaînes de la TNT exercent toujours un rôle majeur sur l’opinion. C’est pourquoi l’espace d’expression sur la TNT doit par lui-même, indépendamment des autres lieux de communication publique, garantir le pluralisme. Or, sur la TNT, ce pluralisme ne peut être réalisé par la diversité des acteurs. Il faut en effet être riche pour exploiter une chaîne de télévision − un financement public est inenvisageable tant son coût serait exorbitant. Affranchir la TNT de l’obligation de pluralisme interne reviendrait ainsi à confier à la puissance de l’argent le soin de choisir les opinions autorisées à s’exprimer sur les ondes.  

Alors qu’en 2025 l’Arcom remettra en jeu quinze autorisations pour quinze chaînes de télévision, le Conseil d’Etat a donc raison de réaffirmer les exigences du pluralisme, afin que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics n’accaparent le téléspectateur pour lui dicter ses choix« .  

Constitutionnalisation de l’IVG : « Dès qu’une liberté est « garantie », ça crée de facto un droit »

Le 28 février 2024, le Sénat a largement adopté en première lecture, sans modification, le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, dans le cadre d’un processus engagé fin 2023 par le Président de la République, par 267 voix pour, 50 voix contre et 22 abstentions. 

L’article unique du projet de loi modifie l’article 34 de la Constitution pour y inscrire que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Le texte ayant été voté dans des termes identiques par les deux chambres (les députés ayant adopté le projet de loi sans modification le 30 janvier 2024), le Parlement est convoqué en Congrès à Versailles le 4 mars 2024. Pour que la révision de la Constitution soit définitivement adoptée, les députés et les sénateurs devront encore l’approuver – mais sans l’amender – à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés [MAJ 04/03/24 : Au final : 780 voix pour, 72 voix contre, 50 abstentions, dont celle du Président du Sénat. Le projet de loi constitutionnel est donc adopté. Pour savoir « qui a voté quoi », voir sur le site de l’Assemblée nationale]

Plusieurs sénateurs de droite, parmi la centaine hostiles au départ, expliquent avoir changé d’avis. Certains évoquent notamment des discussions familiales et des arguments invoqués par les femmes de leur entourage. Tel Thierry Meignen qui a expliqué avoir « évolué » à leur contact pour « être du bon côté de l’histoire ». Et de toute façon, comme le déclarait au Monde en novembre François-Xavier Bellamy, tête de liste LR pour les élections européennes de juin, « on a trop de sujets décisifs à traiter pour notre pays et l’Europe pour entrer dans ces querelles byzantines, comme la constitutionnalisation de l’IVG ».

Un accord politique a pu donc être trouvé en faveur de la constitutionnalisation de l’IVG autour de la notion de « liberté garantie« .

Mais il s’agit là d’« un ovni juridique« , puisque « l’on ne connaît pas de modèle de liberté garantie dans la Constitution« , relèvent Guillaume Baticle, doctorant en droit public  et Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay, dans une contribution (relue par Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public, Université Savoie Mont Blanc, et Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, Université de Poitier) pour les Surligneurs. « Dans ces conditions », soulignent les juristes, « deux lectures sont possibles : Première lecture, la liberté garantie n’est jamais qu’une liberté. Toutes les libertés sont garanties, en particulier par la Constitution et les juges, qui peuvent être saisis contre l’État s’il entrave trop une liberté. Seconde lecture, la liberté garantie se rapproche du droit ».

C’est dans cette optique que Diane Roman, professeure de droit public à l’école de droit de la Sorbonne, juge que le nœud du débat n’est pas dans l’opposition entre « droit » et « liberté », mais plutôt dans le verbe « garantir ». En effet, souligne la juriste, « dès qu’une liberté est « garantie », ça crée de facto un droit. La liberté d’expression est garantie donc ça vous donne le droit de vous exprimer librement… »(1)

En conséquence, expliquent « les Surligneurs » cités plus haut, « non seulement l’État ne peut empêcher l’IVG sauf raison d’ordre public, mais il doit s’appliquer à faire en sorte que toute femme souhaitant recourir à l’IVG puisse le faire. Cela suppose donc la mise en place de dispositifs d’accompagnement. C’est précisément ce que certains sénateurs reprochent à la liberté garantie : elle engage trop l’État et l’idée que l’État puisse faciliter l’acte d’IVG leur déplaît. C’est le Parlement, compétent pour mettre en œuvre cette liberté garantie au titre de l’article 34 de la Constitution, qui tranchera, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. 

En tout état de cause, il n’y a pas de recul : la loi ne pourra pas empêcher le recours à l’IVG de façon trop significative. Ainsi, même avec une liberté garantie et non un droit, la loi française ne pourrait, comme en Pologne depuis 2020, restreindre l’IVG à deux cas seulement (si la grossesse met en péril la vie de la mère et si cette grossesse est issue d’un viol ou d’un inceste). 

Mais est-ce que, avec cette liberté garantie, la loi devra faire en sorte que les femmes aient un meilleur accès à l’IVG quand elles le souhaitent ? Est-ce que cette liberté garantie pourrait empêcher un déremboursement de l’IVG par la loi (par exemple à propos des IVG dites “de confort”) ? Ce sera au Conseil constitutionnel d’en décider », concluent « les Surligneurs ».

En France, l’IVG est autorisée jusqu’à 14 semaines de grossesse, le délit d’entrave est pénalisé et une clause de conscience permet aux médecins de refuser de la pratiquer.

Note :

(1) Avis partagé dans le cadre d’un échange du 23/02/24 disponible sur le site du gouvernement, avec Violaine de Filippis-Abate, avocate et porte-parole d’Osez le féminisme. Apportant leur double éclairage pour comprendre les enjeux de l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution, les deux juristes expliquent pourquoi inscrire la notion d’IVG dans la constitution française, quelle protection l’inscription de l’IVG dans la constitution apporterait-elle, et quels sont les enjeux de son inscription dans la constitution, sans oublier les implications du choix du mot « liberté » plutôt que « droit », qui a été retenu dans le projet de loi.

Une notion que nous avions abordé ici le 08 février 2023.

« L’armée du crime » : celle des jeunes immigrés résistants « morts pour la France »

« L’Affiche rouge » : une campagne de propagande lancée du 18 au 24 février 1944, sous l’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale, visait à prouver la responsabilité des Juifs dans la délinquance et le terrorisme, pour valoriser la condamnation à mort le 17 février 1944 de 23 résistants, en majorité juifs, fusillés par les Allemands quatre jours après et appelés « Groupe Manouchian-Boczov-Rayman ». Source : Wikipédia.

80 ans jour pour jour après son assassinat, fusillé par les nazis avec 22 de ses compagnons juifs et apatrides, le résistant Missak Manouchian et son épouse, Mélinée », résistante elle aussi, sont finalement « entrés ici », au panthéon de Paris, mercredi 21 février 2024 à 18h30. Les noms de 23 de leurs camarades ont été inscrits sur une plaque, sans que leurs corps entrent dans la nécropole nationale. 

D’aucun ont pu faire le parallèle entre cette décision du Président Macron de faire entrer au panthéon un résistant communiste et étranger – rappelant ainsi que « la France, c’est l’universalisme, c’est l’ouverture, c’est l’accueil » – et la loi immigration adoptée par le parlement le 19 décembre 2023 et promulguée le 26 janvier 2024. Une loi dont le Conseil constitutionnel a censuré plus du tiers de ces articles, introduits au cours de l’examen du texte au Sénat.

Or, « les 23 » appartenaient tous aux FTP-MOI [Francs-tireurs et partisans-Main d’œuvre immigrée], une unité de la Résistance communiste composée en grande partie d’étrangers, de réfugiés et d’immigrés. Né en 1906, Missak Manouchian a fui laTurquie après avoir survécu au génocide des Arméniens. Devenu ouvrier, il rejoint les FTP – MOI en région parisienne en février 1943, avant d’en devenir chef militaire en août. Tous furent arrêtés en novembre 1943 au terme d’une filature qui dura trois mois, conduite par la deuxième brigade spéciale des Renseignements généraux français.

L’histoire de Manouchian et celle de ses camarades ont été commémorées dans un poème de Louis Aragon [« strophe pour se souvenir » IN « le Roman inachevé »], repris sous le titre « L’Affiche rouge » par le chanteur Léo Ferré, en référence à la fameuse affiche de propagande antisémite allemande (voir plus haut) associant « étrangers », « immigrés », « Juifs » à  « l’armée du crime ».

Un devoir de mémoire utile pour vivre en cohérence aujourd’hui, tant l’histoire de Manouchian et de ses amis éveille des échos très actuels dans notre monde obsédé par le spectre du terrorisme, par la peur de l’immigré – instrumentalisé en bouc émissaire – via le fantasme du « grand remplacement » et par les questions de l’engagement individuel et collectif.

Tract de propagande reprenant au recto l’affiche et dénonçant au verso le « sadisme juif »(sic) et « le complot de lʼAnti-France »(sic), février 1944. coll. Musée de la Résistance nationale, Champigny. Source : Wikipédia.

« L’armée du crime » est aussi un film de Robert Guédiguian, réalisé en 2009, qui nous invite à suivre toute la formation du groupe mené par Missak Manouchian (joué par Simon Abkarian) – du recrutement à l’organisation, puis aux premières actions clandestines dirigées à l’encontre des nazis – avant son écrasement après un jeu du chat et de la souris avec la police française collaborationniste.

L’Arcom sommée par le Conseil d’Etat de faire enfin son travail de contrôle du respect du pluralisme des opinions et de l’indépendance de l’information sur les chaînes de télévision

Le Jugement de Salomon, par Nicolas Poussin (1649). Musée du Louvre. Richelieu, 2ème étage, salle 14.

« Comment une chaîne devient-elle de gauche ou de droite ? »

Dit autrement : D’où viennent les biais politiques des chaînes de télévision ou des stations de radio ? Est-ce qu’ils s’expliquent par l’influence des journalistes ou bien celle des propriétaires des médias ? Une thèse menée par Moritz Hengel, encadrée par Julia Cagé (Sciences Po Paris et le Center for Economic Policy Research) et Nicolas Hervé (responsable du service de la Recherche INA), à laquelle a également participé Camille Urvoy (université de Mannheim), a été présentée en septembre 2023, peut-on dans cet article paru dans la Revue des médias.

Leur sujet : l’étude des inclinations politiques des chaînes de télévision et de radio en France entre 2002 et 2020. Soit 14 chaînes de télévision et huit stations de radio (généralistes et d’information), six millions d’émissions et environ 25 000 journalistes ou présentateurs passés à la loupe. En croisant la liste des plus de 260 000 invités recensés dans les notices des programmes de l’INA et leurs éventuels engagements politiques (candidatures électorales, appartenances à un groupe politique, prises de position publiques, participations à des groupes de réflexion…), une moyenne de la présence de chaque camp politique dans les médias a pu être établie.

À travers ces travaux, les chercheurs plaident pour une mesure du temps de parole plus intelligente. Il est possible d’après eux de quantifier ces éléments, sans passer par des déclarations des chaînes elles-mêmes. Comme dans ce travail de recherche, ils conseilleraient de s’intéresser à la fois aux prises de paroles des hommes et femmes politiques, mais aussi aux personnes comme les éditorialistes : pas politiques au sens du régulateur (l’Arcom, ex-CSA) mais dont le discours est politisé. Exemple : avant l’annonce de sa candidature à la présidentielle de 2022, Éric Zemmour, en tant qu’éditorialiste, n’était pas comptabilisé dans le temps de parole par l’Arcom.

« Les chaînes détournent la réglementation sur le temps de parole politique, en faisant beaucoup moins de programmes où elles invitent des politiques, mais plus de programmes où elles invitent des éditorialistes, expliquait Julia Cagé dans un séminaire Ina le lab où elle présentait ces travaux. Cela leur permet de respecter la lettre mais pas l’esprit des règles de pluralisme de l’Arcom ». La chercheuse reconnaît par ailleurs que cette alternative (inclure les invités aux universités d’été, les membres de think tanks, les soutiens aux candidats du premier tour des présidentielles…)ne serait pas « faciles à mettre en œuvre ». Moritz Hengel souligne : « Nos résultats auraient permis de répondre à Vincent Bolloré, lors de son audition au Sénat en janvier 2022 [par la commission d’enquête sur la concentration des médias], que oui, il avait bien changé la ligne éditoriale de ses chaînes. » L’homme d’affaires avait alors soutenu que sa « capacité personnelle à aller imposer des choses [n’était] pas très importante ».

Le 13 février 2024, ces chercheurs semblent indirectement entendus, du fait d’une récente décision du Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative, jugée  » historique » par le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire, invitée sur France info.

Et pour cause, saisi par RSF, le Conseil d’État a enjoint à l’Arcom, l’autorité publique française de régulation de l’audiovisuel, de réexaminer sous six mois le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme. Plus précisément, le Conseil d’État juge que, « pour apprécier le respect par une chaîne de télévision, quelle qu’elle soit, du pluralisme de l’information, l’Arcom doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques« .

Le Conseil d’État juge également « que l’Arcom doit s’assurer de l’indépendance de l’information au sein de la chaîne en tenant compte de l’ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation, et pas seulement à partir de la séquence d’un extrait d’un programme particulier ».

En clair, le conseil d’Etat somme l’Arcom de faire sérieusement son boulot, vu que la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication impose aux chaînes de télévision d’assurer l’honnêteté, le pluralisme et l’indépendance de l’information et fait de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) la garante du respect par les chaînes de ces obligations !

Par cette décision, le Conseil d’État déclare « ne pas se prononcer sur le respect par les programmes de la chaîne CNews des exigences de pluralisme et d’indépendance de l’information. Il précise les principes applicables au contrôle que l’Arcom doit exercer sur le respect de leurs obligations légales par l’ensemble des chaînes et rappelle que, dans le respect de ces principes, le régulateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’exercice des prérogatives qui lui sont conférées par la loi ».

Prérogatives et pouvoir (son travail, donc) que l’Arcom semble découvrir, lorsqu’elle déclare sur son site avoir pris connaissance de la décision du Conseil d’Etat du 13 février 2024 relative au pluralisme et à l’indépendance de l’information dans les médias audiovisuels : « Avec cette interprétation renouvelée de la loi de 1986, le Conseil d’Etat renforce(sic) la capacité de contrôle par le régulateur des obligations de ces médias en matière d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information, dans le respect de leur liberté éditoriale. Désormais », découvre l’Arcom dans sa déclaration, « outre le décompte des temps de parole des personnalités politiques, le régulateur pourra, pour apprécier le respect par un éditeur du pluralisme des courants de pensées et d’opinions, prendre en compte les interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités. De même, pour s’assurer de l’indépendance de l’information, l’Arcom pourra à présent, tenir compte de l’ensemble des conditions de fonctionnement et des caractéristiques de la programmation des chaînes ».

S’agirait-il d’une «décision orwellienne» ou d’un «coup de force des juges» ? A moins que la liberté d’expression ne soit « en voie de disparition», comme on peut le lire ici ou là de la part de certains éditorialistes, notamment sur CNews ou le JDD, du même propriétaire ?

En vérité, estime le journaliste Jonathan Bouchet-Petersen dans un billet paru sur Libération (14/02/24), cette décision ouvre la possibilité de clarifier la nature de CNews comme média d’opinion.

« Alors que CNews, propriété du milliardaire ultraconservateur Vincent Bolloré, n’en finit plus d’affirmer contre l’évidence qu’elle est une chaîne d’information – ce qui a d’incontestables avantages financiers, mais induit une obligation de pluralisme sur son antenne –, et non un média d’opinion, où l’extrême droite dans sa diversité est comme à la maison, la décision rendue mardi par le Conseil d’État fera date. […] Non pour mettre CNews au pas, mais pour clarifier la nature de cette chaîne. Vincent Bolloré a largement les moyens de financer un organe d’opinion, libre à lui de le faire sans affirmer éhontément qu’il s’agit d’une chaîne d’information – ce qui lui a permis d’obtenir une fréquence TNT gratuite en échange d’un certain nombre d’obligations.»

Ce ne serait que justice !

Comme le diraient aujourd’hui le prophète Elie ou Josué : « Quand cesserez-vous de sautiller tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre ? (1 Rois 18v21) Décidez qui vous voulez servir ! » (Josué 24v14-15) L’opinion ou l’information !

Bienvenue au « monastère » : l’émission de télé-réalité au parfum de scandale, involontairement pédagogique

A quoi rends-tu ton cerveau « disponible » ?

« Il est impossible qu’il n’arrive pas des scandales; mais malheur à celui par qui ils arrivent » (Luc 17v1) ; « Malheur au monde à cause des scandales! Car il est nécessaire qu’il arrive des scandales; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive! », dit Jésus à ses disciples (Matthieu 18v7).

Tournée, non pas dans « un monastère », mais dans le couvent corse de Corbara, chez les Frères de Saint-Jean, l’émission de téléréalité mal nommée « Bienvenue au monastère », diffusée sur C8 du 12 janvier 2024 au 09 février 2024, délivre, non pas « la bonne odeur de Christ » (Eph.5v1-2), mais plutôt un parfum de scandale avant même de commencer.

Six personnalités “people” – L’ancienne actrice de films X Clara Morgane,  l’ancienne miss France et aujourd’hui chroniqueuse C8 Delphine Wespiser, l’actrice Fabienne Carat de Plus belle la vie, le jeune champion de jeux télévisés Paul El Kharrat, le danseur Jean-Marc Généreux ou encore Simon Castaldi, fils de l’animateur Benjamin Castaldi – doivent vivre « une retraite spirituelle », fondée notamment sur la règle du silence, durant une semaine. Ils sont  coachés par frère Baudoin et sœur Catherine, respectivement issus de la communauté Saint-Jean et des Béatitudes. Priés de délaisser leur image publique et leur téléphone portable à l’entrée du couvent, pour « explorer leur intériorité », voire même chercher « des traces de Dieu » dans leur existence, les candidats ont perçu une rémunération de 10 000 euros pour leur participation selon La Croix. Ce concept rappelle celui de The Monastery, diffusée en 2005 sur la BBC (mais sans « people » et se déroulant dans l’abbaye bénédictine de Worth dans le Sussex), mais selon Le Monde et La Croix, il s’agirait de la reprise d’une série néerlandaise de télé-réalité In Search of God – à la recherche de Dieu (2014) importée en France par la fondation chrétienne Zewatchers, qui finance des programmes destinés à l’évangélisation. Le groupe a été fondé par Chantal Barry, connue dans le monde évangélique et proche du milliardaire Vincent Bolloré. C’est d’ailleurs une chaîne du groupe Canal+, C8, propriété du groupe Bolloré, qui a acheté les droits de diffusion de l’émission. 

Certains ont dû se dire « pourquoi pas ? » Mais faut-il se réjouir de ce que l’on puisse trouver de telles « émissions religieuses » à la tv ?

Pour ma part, je ne suis pas très fan de ce type d’émissions télé, même estampillée « évangélique », sachant que tout est construction et mise en scène, à mille lieux de la réalité. Plus encore quand le spi est mêlé avec le people. C’est pourquoi je ne l’ai pas regardée, même « pour voir ». Néanmoins, on peut se demander, à l’instar de l’écrivain Michel Cool dans un article pour le site catholique Aleteia, « si le caractère intrusif et spectaculaire d’une émission de télé-réalité est compatible avec une aventure intérieure authentique. À moins bien sûr, de considérer que la spiritualité est une marchandise comme les autres. C’est une idée de plus en plus banale. Même au motif de faire de l’évangélisation, on peut faire étalage et du commerce. Le syndrome des marchands du Temple ne s’est jamais aussi bien porté. Et pas seulement à la télé ! »..

Marie-Lucile Kubacki, quant à elle, en retient, dans l’hebdo La Vie [je poursuis avec des sources catholiques, n’ayant rien lu à ce sujet du côté protestant évangélique], ce que cela « dit du rapport de notre société à la religion. La persistance de questions existentielles, comme celles du champion de danse Jean-Marc Généreux, qui partage avec une franchise bouleversante son vertige au moment d’accueillir un enfant handicapé. L’expression de quêtes de « sens » à tâtons et à la carte, hors des chemins institutionnels, en plein boom dans nos sociétés : ne pas « aller à la messe » mais croire « en quelque chose », « aux belles âmes », « aux anges » et chercher à être en harmonie avec « les énergies ». Au fond, ces personnalités sont aux prises avec des problèmes largement partagés : la peur du vide, le sentiment que quelque chose ne tourne plus rond, une soif intérieure que le voyeurisme des réseaux sociaux et la culture de la consommation ne font qu’aggraver. Mais quand bien même la téléréalité appelle ses « parloirs » des « confessionnaux », peut-on soigner des blessures narcissiques, grand mal de notre époque, sous l’œil d’une caméra ? C’est le risque d’un tel programme : bâtir sur le sable… qui plus est mouvant ».

Mais le problème est moins que des personnalités aussi sulfureuses que Clara Morgane ou Simon Castaldi, « fils de » et roi du scandale, aient accepté de « partager le quotidien strict d’une communauté religieuse » en Corse, mais plutôt qu’ils soient « coachés » par une religieuse de la communauté des Béatitudes – sœur Catherine Thiercelin, amie de Gad Elmaleh, que l’on peut apercevoir dans son dernier film « Reste un peu » – et frère Baudouin Ardillier, un religieux des Frères de Saint-Jean. Or, le choix de ces deux communautés par la production a de quoi interroger, puisqu’elles comptent parmi les plus marquées par le scandale des violences sexuelles et abus spirituels de ces dernières années(1), « détail » occulté par l’émission, comme l’explique Libération dans un article paru le 11 janvier, soit la veille de la diffusion du premier numéro. De quoi faire s’étrangler les victimes, et pas seulement elles.

Ces révélations de Libération ont aussitôt été relayées et complétées par le Monde, le ParisienTélérama, la Croix et la Vie.

A quelques jours de la fin de la diffusion de l’émission, « un détournement inattendu de « Bienvenue au monastère » est apparu sur le réseau social X (ex-Twitter) », comme nous l’apprend l’hebdo La Vie (09/02/24), Un collectif de victimes de la communauté Saint-Jean, nommé Réparez, a publié sur le réseau social plusieurs posts décortiquant ce qu’il analyse comme étant des mécanismes de l’emprise spirituelle qui apparaît ouvertement dans l’émission scénarisée. Ce collectif a expliqué sa démarche à « La Vie » :

(Extraits) « Pour chaque épisode diffusé, les membres du collectif Réparez ont sélectionné de courts extraits vidéos dans lesquels ils pointent une attitude problématique de l’accompagnateur spirituel, en l’occurrence frère Baudouin, qui, à première vue, peut sembler anodine mais qui révèle, selon eux, un mode de fonctionnement vicié. Ils montrent par exemple comment la règle du silence « devient le prétexte d’un contrôle total de ceux qui s’y soumettent » [et ce, comme le souligne le collectif, d’autant plus que « le couvent de Saint-Dominique de Corbara n’est pas un monastère. Les frères de Saint-Jean ne sont pas des moines. Ce sont des religieux apostoliques, c’est-à-dire dans le monde, et le silence joue en vrai dans leur vie un rôle bien moins grand »], ou comment l’alternance entre relation d’autorité et relation affective établie par l’accompagnateur peut se révéler néfaste. « Vous avez là le “chaud et froid” typique qui crée l’aliénation et qui fait qu’à la fin vous vous excusez presque de vous être senti culpabilisé », écrit le collectif.

[Celui-ci] a pris forme en septembre dernier. Il est composé d’une vingtaine d’anciens frères de Saint-Jean et d’anciennes sœurs apostoliques de Saint-Jean, sortis de leur communauté ou en voie de sortie. Cette situation de dépendance de certains membres à l’égard de leur ancienne communauté est la raison pour laquelle ils ont demandé l’anonymat. Leur objectif est d’abord de « se soutenir les uns les autres et toutes les personnes lésées d’une manière ou d’une autre par la famille Saint-Jean », confient à La Vie des représentantes du collectif, puis « la prévention ou l’alerte ». « Il est triste que des gens entrent encore dans cette communauté sans avoir pris la mesure du système qui a été mis en place à Saint-Jean », indiquent-elles.

« Plusieurs d’entre nous ont été très choqués quand nous avons appris que cette émission allait sortir, poursuivent les représentantes du collectif. Nous avons été heurtés par l’idée que la télévision puisse faire de la publicité pour deux communautés déviantes. » « Certains membres ont commencé à regarder les premiers épisodes et ont écrit des commentaires spontanément, racontent-elles. Cette émission qui se voulait publicitaire révélait en fait des mécanismes que nous avions vécus à l’intérieur de la communauté. Cela nous a écœurés. » Un petit groupe de cinq personnes s’est alors constitué avec le soutien technique d’une personne habituée à manier les réseaux sociaux. (…..)»

Souvent réputée insaisissable, la mécanique des abus de pouvoir est décortiquée avec précision dans les posts du collectif. « Nous avons été surpris que le système apparaisse aussi clairement dans une émission scénarisée, confient les membres du collectif. Nous y avons retrouvé une certaine manière de fonctionner propre à Saint-Jean », même si, nuancent-elles, on retrouve ces mêmes mécanismes dans toutes les relations d’abus de pouvoir : « une asymétrie des relations, une personne sachante et les autres qui ont tout à apprendre et à se taire », « un surplomb constant au fil des épisodes et une infantilisation, un non-respect de la liberté et de la singularité de la personne. »

Rien de très choquant pour une émission de téléréalité, rétorquent les défenseurs du programme. Sauf que ces mécanismes sont l’une des causes des abus et violences qui ont été commis au sein de la famille Saint-Jean et ont été largement documentés et reconnus par la communauté elle-même(1). « Les personnes qui ont réussi à sortir d’une situation d’emprise ont des alarmes intérieures qui se déclenchent rapidement, témoigne un membre du collectif. Elles ont été obligées de mettre au jour ces mécanismes pour s’en sortir. » 

Voir enfin la tribune de la dominicaine Anne Lécu, parue dans La Croix (07/02/24) : Estimant que l’émission de téléréalité « Bienvenue au monastère », diffusée par C8, représente un véritable danger, elle s’inquiète notamment de l’attitude des « accompagnateurs » de l’émission. Elle tente une analyse autour de quatre axes : fiction, scandale, emprise, profanation.

Une fiction : « ….le tout est très scénarisé. La réalité filmée est donc davantage une fiction qu’une « réalité ». Les personnalités sont venues participer à une émission et non suivre une retraite, preuve en est leur (légitime) rémunération (10 000 €). Les arrangements avec la réalité sont nombreux », puisque « le monastère n’en est pas un, c’est un couvent, où vivent des frères apostoliques et non des moines, non soumis au silence qui semble pourtant l’idée fixe de la série ».

Un vrai scandale. Le choix des « accompagnateurs », issus de deux communautés parmi les plus problématiques, est un scandale en soi, sans doute volontaire, puisqu’il s’agit de faire du buzz et de cliver. (….)Une telle émission est une claque pour les personnes qui ont souffert dans ces groupes, et on cherche en vain ce qu’une telle publicité a à voir avec l’Évangile. Le simple fait de blesser un peu plus ceux qui sont déjà durablement abîmés invalide en soi l’émission ».

« Finalement l’émission pourrait servir de support pour démonter la mécanique de l’emprise. (….)Ici, la pseudo-règle du silence est un prétexte pour remettre en question le juste jugement personnel ».

Une profanation. « Le simple propos « Bienvenue au monastère » : exposer au voyeurisme l’intime y compris spirituel, aurait dû suffire à ce que les responsables des communautés concernées refusent que des membres y participent. La vie spirituelle d’un homme, d’une femme, se tient dans le creuset le plus intime de son être, le fond de sa conscience, et ne mérite à aucun prix d’être scénarisée. Le faire, c’est la profaner. Y compris quand les personnalités sont consentantes et rémunérées. La vie spirituelle ne peut être le lieu d’un marchandage.

(…..) La simple possibilité qu’une telle série existe sans que personne ne s’en offusque officiellement parmi les autorités ecclésiales montre que la question des abus dans notre Église est loin d’être résolue. Il n’est cependant peut-être pas trop tard pour bien faire, et éviter qu’il y ait une saison 2.

Voir aussi : cette vidéo « en quelques mots : l’abus », de la chaîne youtube du ministère Libérer!

L’abus peut être de multiples natures (sexuel, moral ou/et spirituel), mais il a pour point commun « un détournement » de ce qui n’était pas mauvais au départ, soit un rapport de domination qui s’est mis en place et qui ne saurait correspondre aux relations telles que Dieu les a imaginées pour nous.

Une vidéo Libérer! pour découvrir  ce qui se passe quand personne n’est à sa juste place ou quand quelqu’un a pris « la place de… ».

Libérer ! propose une excellente formation à l’accompagnement spirituel, qui inclue la relation d’aide, la prière de guérison et la délivrance. Avec les Eglises protestante unies du Marais et de Belleville, à Paris.

Plus d’info sur Libérer ! et les prochaines formations.

Plus de vidéos Libérer !

Notes :

(1) La production ignorait-elle la publication d’un rapport de 800 pages par la communauté religieuse des frères de Saint-Jean en juin 2023, après trois ans de travaux basés sur des archives et des témoignages, faisant état d’au moins 167 victimes de violences sexuelles en son sein, victimes de 72 agresseurs membres de la confrérie ? Selon Libération, le lieu du tournage, le couvent de Corbara, affilié à Saint-Jean, héberge lui-même un religieux condamné en janvier 2023 par le tribunal ecclésiastique de Paris pour des agressions sexuelles, mais qui n’apparaît pas dans l’émission. Les Béatitudes, pour leur part, sont régulièrement citées dans des rapports de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) pour des soupçons d’emprise. Source : https://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2024/01/12/bienvenue-au-monastere-quand-c8-fait-se-rencontrer-des-stars-et-des-moines_6210514_1655027.html