Watch it (again) : conférences « Luttons contre le racisme dans la société et dans l’Eglise »

Face à la vague du racisme : résister, surfer complaisamment ou se laisser emporter ?

Formatrice(1) et prédicatrice protestante (Temple du Marais, Paris) – et aussi contributrice occasionnelle pour Pep’s café!(2), Josiane Ngongang a été invitée en juin 2023 par l’Eglise La Bonne Nouvelle de La Roche sur Yon, pour délivrer un enseignement interactif sur l’enjeu du racisme.  Avec notamment ce constat : « dans le monde des Eglises », il n’y a « pas trop de paroles autour de ça ». Et pourtant, les enjeux de racisme se posent aussi au sein du christianisme contemporain, et dans les Eglises de France.

Plusieurs vidéos sont disponibles à la suite de ces interventions :

Session 1 : « la justice au coeur du plan de Dieu »

Session 2 : « qu’est-ce que le racisme ? »

Session 3 : « le racisme et l’Eglise »

Session 4 : « l »art perdu de se lamenter »

Session 5 : « Faire un pas de plus, m’engager dans la justice raciale »

Conclusion

Et une prédication du dimanche 18/06/23

En introduction aux vidéos, cinq articles sur le thème « Eglises et Racisme » sont également à découvrir sur le site Regards Protestants.

Notes :

(1) Elle est enseignante d’un module de formation théologique sur les «injustices raciales et la libération des systèmes d’oppression»

(2) Découvrir notamment sa contribution à notre série biblique « quand Jésus prêche l’Evangile de Dieu »  ou son article « lutter contre le racisme le genou à terre ».

« Est-ce bien raisonnable » ? Une mesure clé de la réforme judiciaire en Israël invalidée

« Un peuple libre est un peuple qui honore la justice et dont les institutions reposent sur une claire séparation (et distinction) des pouvoirs » (Source image : public domain pictures).

Une mesure d’importance qui a pu être perçue (ou non) comme « un cadeau de Nouvel An » : La Cour suprême d’Israël, la plus haute juridiction du pays, a invalidé dans une décision à 8 voix contre 7, rendue lundi 1er janvier, une mesure clé de la réforme judiciaire très controversée du gouvernement Netanyahou. Cette mesure, contenue dans un amendement à la Loi fondamentale (qui tient lieu de Constitution) voté en juillet par la Knesset, le Parlement israélien, retirait à la Cour suprême le droit de se prononcer sur le « caractère raisonnable » des décisions administratives du gouvernement et d’annuler celles qu’elle considère comme « déraisonnables ».

La Cour suprême a justifié sa décision, estimant que cette mesure « portait une atteinte grave et sans précédent aux caractéristiques fondamentales d’Israël en tant qu’État démocratique ». Elle a également affirmé avoir l’autorité pour invalider une Loi fondamentale votée par la Knesset « dans les cas rares et exceptionnels dans lesquels le Parlement outrepasse son autorité ». En réaction, le ministre de la Justice, Yariv Levin, a accusé la Cour suprême de s’arroger « tous les pouvoirs » et a critiqué la publication de cette décision « en pleine guerre » dans la bande de Gaza.

L’amendement sur la doctrine du « caractère raisonnable » était la première mesure votée du projet de réforme du système judiciaire présenté en janvier 2023 par le gouvernement Netanyahou de coalition de droite, extrême-droite et ultra-orthodoxe. D’autres mesures envisagées prévoyaient également de réduire les pouvoirs de l’autorité judiciaire. Le Premier ministre a eu beau assurer en juillet qu’il s’agissait de rétablir un « équilibre » entre les différents pouvoirs, face à un pouvoir judiciaire qui se serait « arrogé des pouvoirs » exécutif et législatif, son projet de réforme a déclenché un mouvement de protestation massif dans le pays. Des manifestations organisées pendant plusieurs mois ont en effet rassemblé des dizaines de milliers de personnes en Israël qui compte 9 millions d’habitants. Les opposants au projet craignent en effet qu’il porte atteinte au système démocratique du pays. Cette mobilisation a entraîné une crise politique, Benjamin Netanyahou ayant limogé, temporairement, son ministre de la Défense et suspendu un temps l’examen législatif de la réforme.

Pour comprendre l’enjeu de cette réforme, il convient de savoir que l’organisation de la séparation des pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire – en Israël est définie dans un ensemble de Lois fondamentales. Celles-ci sont votées par la Knesset, le parlement israélien à chambre unique, qui accorde sa confiance au gouvernement. « Dans le système parlementaire israélien, les partis qui forment la coalition gouvernementale détiennent également la majorité des sièges à la Knesset, ce qui fait de la Cour suprême le principal organe de contrôle institutionnel des pouvoirs exécutif et législatif », analyse le chercheur Eyal Lurie-Pardes dans un billet publié en octobre par le centre de réflexion américain Middle East Institute. « La clause du caractère raisonnable est devenue un mécanisme central du contrôle juridictionnel des actes administratifs », ajoute-t-il. Ce principe exige que les responsables politiques aient assuré un équilibre de tous les intérêts en jeu pour prendre une décision administrative.

L’enjeu est de taille, car un peuple libre est un peuple qui honore la justice et dont les institutions reposent sur une claire séparation (et distinction) des pouvoirs.

Pour Montesquieu « le bon régime » n’est pas nécessairement républicain ni monarchique, il est nécessairement modéré, c’est-à-dire qu’il est partagé, à la différence du tyran qui concentre tous les pouvoirs entre ses mains. Ce n’est pas un hasard si la démocratie au sens moderne du terme s’est d’abord développée dans les pays de tradition judéo-chrétienne.

Dans la Bible, une première séparation des pouvoirs entre le judiciaire, le religieux, et le politique, se discerne à travers la nomination des juges (Deutéronome 1v9-18 et Exode 18v13-27), ainsi que des prêtres (Exode 29 et Lévitique 8) et des anciens (Nombres 11v16). Puisque le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou est capable de citer Esaïe dans un discours télévisé du 25/10/23, il aurait pu faire référence au premier chapitre du livre du Deutéronome. Celui-ci nous révèle en effet que la première instruction, de ce qui peut être considéré comme le testament de Moïse concerne l’instauration d’un système judiciaire.  La condition la plus importante d’une vie en société est que les différends puissent être réglés, non pas selon « la loi du plus fort », mais selon les critères de la justice.

Pour rendre une justice équitable, prévoit Moïse, ces juges doivent être « sages, intelligents et éprouvés (ou « connus ») cf le v15.

« Etre sage », c’est savoir que l’on ne sait pas et reconnaître lorsqu’une affaire est hors de sa compétence (à l’instar de Moïse lui-même en Nombres 27v5); c’est aussi ne pas se laisser guider par la passion et toujours rechercher l’intérêt général.

« Etre intelligent », c’est être capable de lire entre les lignes (d’un discours ou d’un événement) et donc de discerner ce qui est « raisonnable » ou « déraisonnable » dans une décision d’un gouvernement.

 « Etre éprouvé » (ou « connu »), c’est avoir bonne réputation auprès de ses proches et de ses voisins, témoigner de son intégrité et de sa fiabilité.

Autre exigence : Les juges ne doivent pas faire preuve « de partialité dans le jugement » (à l’instar de Dieu lui-même en Deutéronome 10v17. Comp. avec Jacques 2), entendant « le petit comme le grand » (cf Lévitique 19v15) et sans avoir « peur de personne, car le jugement appartient à Dieu ». Au moment de juger et à mille lieux du « juge inique » de la parabole des Evangiles, le juge doit avoir conscience qu’il se tient devant le Dieu de la justice. Et qui craint Dieu ne peut craindre autre chose.

D’après La Bible. Le Pentateuque/1. Commentaire intégral verset par verset, par Antoine Nouis. Olivétan/Salvator, 2021, pp 527, 618-620.

Jésus : « simplement ordinaire et radical » dans la pratique de la justice (Matthieu 5v17-48)

Quand Jésus définit ce qu’est la justice pour ceux qui veulent se mettre à sa suite. Source image : Editions Bibli’O.

Le Sermon sur la montagne est le premier des cinq grands discours de Jésus, rapporté dans l’Evangile selon Matthieu, aux chapitres 5 à 7. Ce discours s’ouvre avec les fameuses béatitudes (du latin : « beatus » = « heureux », qui peut être aussi traduit par « ils ont la faveur de Dieu ceux qui…. »).

La quatrième béatitude évoque la justice. Ce mot a plusieurs sens dans la Bible, comme c’est encore le cas aujourd’hui : elle peut être légale, sociale, morale ou spirituelle. Etre juste devant Dieu, avoir une vie juste selon les principes bibliques n’est pas suffisant. Pour Jésus, la justice va au-delà de la dimension personnelle. Elle a des implications sociales : libérer les opprimés, défendre les droits de tous, protéger les personnes vulnérables et faibles, rester intègre et vrai dans les affaires, établir des relations ajustées avec tous ceux qui nous entourent (cf Matth.23v8-11). C’est ce que dit par exemple le prophète Esaïe quand il rappelle que « le jeûne tel que (Dieu) l’aime » est de « libérer ceux qui sont injustement enchaînés », « les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux », « rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, c’est supprimer tout ce qui les tient esclaves »….. (Es.58v6-7).

Jésus déclare heureux ses disciples alors qu’ils sont appelés des « affamés » et des « assoiffés », c’est à dire des personnes qui sont animés d’un désir qui est toujours à combler. Celles qui ont de la place « en elles-mêmes » pour Dieu et pour les autres, qui ne se satisfont pas de réponses trop faciles.

(…..)

Jésus accomplit la Loi (Matt.5v17-20)

Jésus évoque la justice dans les Béatitudes, en proclamant « heureux ceux qui ont faim et soif d’un monde juste… ». La justice (être juste devant Dieu), c’est le fait de respecter la volonté de Dieu, la Loi de Dieu. Il l’évoque à nouveau au verset 20 [du chapitre 5 de l’Evangile selon Matthieu] en la comparant à celle des scribes et des pharisiens qui étaient les observants les plus stricts des 613 commandements relatifs aux interdits alimentaires, au sabbat, à la distinction entre le pur et l’impur.

Dans ce court passage, Jésus va définir ce qu’est la justice pour ceux qui veulent se mettre à sa suite. Il va aussi indiquer de quelle façon il relit, actualise et même « radicalise » la loi de l’Ancien Testament et lui donner tout son sens (v17). Pourtant, Jésus respecte les commandements et les cite à ses interlocuteurs, comme nous le lisons en Marc 10v17-22 et Matthieu 22v35-40.

Jésus est celui qui accomplit pleinement la Loi de Dieu, il est en communion avec son Père. Dieu ne se déjuge pas : sa révélation se poursuit et s’accomplit dans l’Evangile. Le lieu de l’accomplissement de la Loi est la croix. Paul, en Romains 10v4, explique que « le but de la loi de Moïse, c’est de mener au Christ pour que tous ceux qui mettent leur foi en lui soient reconnus justes ».

Les disciples auraient pu penser qu’avec Jésus, tout est nouveau, tout ce qui est ancien (la Loi de Moïse et ses commandements) est passé, inutile, caduc et qu’ils n’ont plus besoin de s’en soucier. Ce que les disciples découvrent, c’est que la Loi ne doit pas prendre la place de Dieu, ni être une méthode pour accéder à Dieu. Mais elle est accomplie quand elle est nourrie par la foi et la communion avec Dieu

Les antithèses (Matt.5v21-48)

Dans ce passage, Jésus rappelle l’enseignement de la Loi, puis il commente en indiquant comment il comprend ce commandement. A chaque fois, Jésus distingue l’application « extérieure » et la mise en oeuvre « intérieure », intériorisée, approfondie, l’intention de la loi. Loin de contester chacun des commandements, Jésus reconnaît et souligne l’autorité de la Loi. En insistant ainsi, il se place à la suite des prophètes Jérémie et Ezékiel. Déjà, à travers eux, Dieu annonçait une Loi plus intériorisée, cf Jérémie 31v33 et Ezékiel 36v27.

C’est par la nouvelle naissance que nous recevons l’Esprit saint et c’est par l’action de l’Esprit saint en nous que nous pouvons marcher selon de la volonté (ou Loi) de Dieu.

Quand Jésus dit « il a été dit », il utilise un verbe différent de celui employé pour citer habituellement l’Ecriture (il est écrit). Cette nuance importante indique que Jésus ne remet pas en cause la Loi comme Parole de Dieu, mais plutôt l’interprétation qui en était donnée, en particulier par les pharisiens.

La colère et l’adultère

Pour Jésus, la colère dirigée contre un frère est l’expression d’un désir de nier l’autre, de lui refuser la vie, de le tuer symboliquement.

Poursuivant son commentaire de la Loi et des 10 commandements, Jésus conteste le commandement contre l’adultère en le radicalisant encore. Pour lui, le désir sexuel pour une personne autre que son conjoint est déjà un adultère symbolique. C’est un sujet qui s’est banalisé dans les pratiques de notre société et dont certaines églises ne parlent plus guère de crainte d’être considérées comme « moralisatrices », voire « réactionnaires ». Pour Jésus, ce n’est pas la personne convoitée qui est en cause mais bien celle qui convoite : « il n’y a rien de ce qui est extérieur à une personne qui puisse la rendre impure en entrant en elle. Mais ce qui sort d’une personne, voilà ce qui la rend impure. » (Marc 7v15).

Face à la radicalité impossible de la parole de Jésus, « il nous est impossible d’y échapper, de quelque côté que ce soit », constate Dietrich Bonhoeffer, dans « Vivre en disciple : Le Prix de la grâce » (Labor et Fides). « Nous voici placés là, il nous faut obéir ». La seule issue, c’est la grâce et l’action du Saint-Esprit en nous.

Le divorce

Cette fois, Jésus n’évoque pas un des 10 commandements mais un verset du Deutéronome (24v1) concernant les modalités du divorce. Cette antithèse prolonge les deux premières et révèle qu’il s’agissait d’une question importante et courante à l’époque, comme elle l’est encore aujourd’hui. Pour Jésus, il existe un divorce possible (en cas d’infidélité, d’inconduite sexuelle) et un divorce abusif (pour convenances personnelles). Ce faisant, il rappelle l’importance de la fidélité dans le mariage. Ici, on peut entendre dans l’interpellation de Jésus une insistance sur la responsabilité de chacun dans le mariage, et sur l’importance de la profondeur du lien et de l’engagement qui unissent les deux époux.

Cette question est bien délicate aujourd’hui et il ne s’agit surtout pas de se juger les uns les autres ou de se juger soi-même, selon l’avertissement de Jésus rapporté en Luc 6v37.

Sur ce point, nous pouvons contempler l’amour de Dieu qui vient nous relever de nos échecs, comme il le fait, par exemple, dans l’épisode dit de la femme adultère en Jean 8v3-11.

Le serment

Ici, Jésus fait allusion à une parole qui n’est pas un commandement biblique en tant que tel, mais plutôt un résumé de plusieurs préceptes de l’Ancien Testament cf Exode 20v7, Lévitique 19v12, Nombres 30v3.

Jésus pointe ainsi un raisonnement trompeur qui s’était propagé parmi les commentateurs rabbiniques : « si je jure, je le fais par le nom de l’Eternel pour que mon serment soit sûr. Si je le romps, je prends le nom de Dieu en vain. Du coup, je ne jure, ni ne promets ». Jésus rejette aussi les manoeuvres des rabbins qui avaient élaboré des formules particulières pour éviter, soit le faux serment, soit le parjure : pour lui, tout serment est inutile, car toute parole a son poids et sa force en elle-même, cf Jacques 5v12.

La vengeance

Il est enfin question ici de la loi dit « du Talion » ou principe d’une rétribution équivalente à l’offense subie, laquelle n’est pas dans les 10 commandements mais un peu plus loin dans les chapitres 21 à 23 du livre de l’Exode. On retrouve les mêmes expressions en Lévitique 24v19-20.

Selon les spécialistes bibliques, cette disposition permettait d’être un fondement de la justice pour Israël, tout en posant une limite à la compensation et une restriction à tout désir de vengeance et de vendetta. Il est presque certain qu’à l’époque de Jésus, cette loi du Talion n’était plus appliquée de manière littérale mais remplacée par un système d’amendes.

A cette loi bien connue, Jésus répond ici par une des phrases les plus connues de l’Evangile : « tends l’autre joue ! » Il évoque quatre situations de la vie quotidienne (la gifle, le procès, le fardeau imposé, la demande) pour mettre en lumière ce qu’il comprend lorsqu’il invite ses disciples « à ne pas résister au méchant », ce qui est différent de ne pas résister au mal ! Le Nouveau Testament fait en effet la distinction entre « une personne méchante » et « le mal » en soi, cf Ephésiens 6v12.

La réponse proposée par Jésus n’est pas seulement passive mais elle invite à une action : tendre l’autre joue, donner une chose en plus, marcher plus loin, donner. Jésus semble inviter ses disciples à déjouer le désir de faire mal à l’autre par une forme de consentement à une certaine souffrance volontaire, pour briser l’engrenage de la violence.

Notons que chaque situation se présente comme un face à face entre deux personnes. On peut se poser la question de la transposition de ces paroles à un groupe. Devant les situations de violence (oppressions, guerres, injustices, violences sociales), les chrétiens ont eu des positionnements différents : du pacifisme le plus radical (l’église mennonite) à la justification d’une violence maîtrisée, considérée comme nécessaire (la peine de mort).

D’après « 40 jours avec Jésus sur la montagne : programme pour groupe de maison » (livret de l’animateur). Editions Bibli’O, 2023, pp 26-27, 40-44.

Quand « Dieu est woke ! Il ne dort pas. Il est le seul vrai éveillé: il voit toutes les injustices et définit ce qu’est la vraie justice »

« Le mouvement woke fait partie de ce jugement où les choses cachées sont mises en lumière.» (Source image : public domain pictures)

« Mais le Seigneur est pour moi un héros puissant. Ce sont mes persécuteurs qui trébucheront. Ils n’auront pas le dernier mot. Humiliés d’avoir échoué, ils seront déshonorés pour toujours, et personne ne l’oubliera » (Jérémie 20v11).

« Mon Dieu, lève-toi pour me rendre justice ; Seigneur, réveille-toi pour défendre ma cause » (Psaume 35v23).

« Alors, comme quelqu’un qui a dormi, comme un vaillant guerrier qui n’est plus ivre, le Seigneur s’éveilla. Il frappa ses adversaires en fuite et les humilia de manière définitive » (Psaume 78v65-66).

Le « wokisme » : un mouvement « qui monte », et dont la supposée « infiltration dans le monde évangélique » en inquiètent plusieurs, « avec raison », estime Pascal Denault, pasteur et co-animateur de Coram Deo, « une émission qui porte un regard chrétien sur le monde »(1). Si le mot « wokisme » semble faire repoussoir, qu’y a-t-il derrière cette revendication d’un monde plus juste et fraternel ? Entre prophétisme biblique et risque d’une nouvelle religion, pasteurs et théologiens se positionnent pour la défense des marginalisés dans « Dieu est-il woke ? », un article paru sur le site Reformes.ch, le 04 avril 2022(2).

Extraits :

Effectivement, « le terme « wokisme » est devenu un mot repoussoir car tous les « ismes » appellent une idéologie», constate Josiane Ngongang, conseillère presbytérale d’une église réformée à Paris, et enseignante d’un module de formation théologique – en anglais – sur les «injustices raciales et la libération des systèmes d’oppression» [Racial injustice and freedom from systems of oppression. The people’s Seminary, Burlington, Washington, USA. Formation à distance (3). Bref: elle enseigne un contenu que d’aucuns qualifieraient de «wokisme», même si elle n’emploie pas le terme.

D’origine camerounaise et ingénieure, on lui demande parfois si elle est la femme de ménage, juste à cause de la couleur de sa peau. Pour elle, être «woke», selon cette expression d’argot afro-américaine des années 1930, consiste à être «éveillé au fait qu’il y ait des injustices raciales»(4). Repris lors des mobilisations pour les droits civiques, le terme a par la suite intégré les luttes anti-sexistes et anti-homophobes.

Pour Josiane Ngongang, il s’agit de «débusquer et dénoncer des inégalités installées dans les systèmes plutôt que dans les individus». Car il faut bien un système pour mettre en place «un lavage de cerveau sur plusieurs siècles qui vous retire toute notion de fierté de qui vous êtes, et toute humanité. Vous finissez par croire: « Je n’ai pas de valeur, je n’ai pas d’histoire. Mon corps, mes cheveux ne sont pas beaux, ma destinée est d’être asservi ».» Puis un jour, on se réveille, on devient «woke», raconte-t-elle. Mais on met du temps à «déconstruire et dénoncer les croyances dévalorisantes que l’on avait intériorisées».

Le cri des esclaves

Josiane Ngongang est soutenue dans sa démarche par le pasteur américain presbytérien Bob Ekblad, longtemps installé en Amérique latine où il s’est confronté aux théologies de la libération avant d’obtenir un doctorat de l’Institut protestant de théologie à Montpellier en France. Il est aujourd’hui pasteur d’une communauté composée de migrants et d’Amérindiens, baptisée Tierra Nueva, et aumônier de prison aux États-Unis(5).

Spécialiste du livre d’Esaïe(6), Bob Ekblad compare volontiers le wokisme au prophétisme biblique. «En Exode [2v23-25], Dieu entend le cri des esclaves et envoie Moïse comme agent de libération. Tous les prophètes, dont Esaïe, exposent les injustices de façon détaillée. Si elles ne sont pas mises en lumière, les opprimés peuvent penser qu’ils le sont par la volonté de Dieu. Le mouvement woke fait partie de ce jugement où les choses cachées sont mises en lumière.» Néanmoins, Bob Ekblad reconnaît que le wokisme «provoque de la honte» et que nombre de chrétiens préfèrent l’ignorer ou le discréditer plutôt que d’entrer dans un processus de repentance.

Pourtant, pour Bob Ekblad, «Dieu est woke! Il ne dort pas. Il est le seul vrai éveillé: il voit toutes les injustices et définit ce qu’est la vraie justice. Il y a beaucoup de choses dont je ne suis pas encore conscient. Mais nous avons besoin d’être éveillés à l’injustice profonde qui affecte les gens marginalisés proches de nous.»

(…..)

En même temps, Josiane  Ngongang et Bob Ekblad reconnaissent des limites au wokisme. «Certaines tendances peuvent tomber dans une sorte de pharisianisme, devenir un nouveau légalisme, une religion», mais tout comme les mouvements anti-woke(7), estiment-ils. Pour Josiane Ngongang, «le camp du wokisme n’est pas le camp du Bien. (……) Certaines personnes woke voudraient renverser le système, tout détruire, y compris les oppresseurs. Alors que le Christ nous dit, à tous, de baisser nos armes. Aux victimes, il dit : « J’ai été victime, lynché sur la croix, et je peux te faire ressusciter ». Aux oppresseurs, il dit: « Je t’invite à la repentance pour vivre une fraternité avec tous ». » Pour la jeune femme, le risque d’une sur-polarisation du débat est grand : A force de chercher la justice, on finit par chercher la vengeance.» Alors, dans ses cours, elle tente de proposer une troisième voie, celle du Christ, un Évangile qui ne soit ni culpabilisant, ni condamnant, mais plutôt un «Évangile responsabilisant».

Lire l’article dans son intégralité.

Notes :

(1) Au point où, toujours selon Pascal Denault, certains chrétiens « optent pour une réponse radicale pour contrer cette mouvance », telle celle du théologien Doug Wilson – par ailleurs présent sur le site « Revenir à l’Evangile »- et de ses partisans de Moscow (Idaho, USA – cela ne s’invente pas !). Dans l’épisode #304 de Coram Deo, il est question du « wokisme de droite » [le terme est-il approprié ?], avec le pasteur Alexandre Sarran qui nous présente cette communauté, son influence et ses dangers. Un angle pertinent et courageux, quoique parfois tempéré par ce qui se veut un souci « de rééquilibrage » de la part du co-animateur, avec un intervenant sympathique maîtrisant son sujet et se voulant clair pour le non initié. L’entretien reste toutefois assez théologique et il faut s’accrocher pour ne pas être perdu et saisir les différents enjeux. 

(2) Cf https://www.reformes.ch/societe/2022/04/dieu-est-il-woke-societe-discrimination-racisme-wokisme

(3) Consulter le site de son église, le temple du Marais, ici. Son module de formation est disponible sur le site www.peoplesseminary.org. Voir également ses articles publiés sur Pep’s café : https://pepscafeleblogue.wordpress.com/2022/12/02/quand-jesus-preche-levangile-de-dieu-episode-5-dapres-marc-2v1-12/ ; https://pepscafeleblogue.wordpress.com/2022/04/29/lutter-contre-le-racisme-le-genou-a-terre/ ; https://pepscafeleblogue.wordpress.com/2022/05/20/trois-questions-fondamentales-que-dieu-te-pose-aujourdhui-episode-1/ ; https://pepscafeleblogue.wordpress.com/2022/04/13/quand-changer-de-regime-devient-une-necessite-face-a-linfobesite/

(4) Voir cette définition de « woke » et « wokisme »  sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Woke

(5) Voir son site https://bobekblad.com

(6) Et notamment auteur de « l’Evangile renversant : pour une lecture libératrice de la Bible ». Edition Scriptura, 2022.

(7) Tel celui du théologien Doug Wilson et de ses partisans de Moscow (Idaho, USA), cité en note 1).

4 prières à faire pendant le carême

Prier femme par Petr Kratochvil

L’Eglise Protestante Unie de France propose 4 prières à faire pendant le carême :

 1️⃣ Prière de repentance 2️⃣ Prière pour la justice 3️⃣ Prière pour la paix 4️⃣ Prière pour la guérison  

« Le père des orphelins, le défenseur des veuves, C’est Dieu dans sa demeure sainte » : études de 2 Rois 4v1-7 et 2 Rois 8v1-6

Lucky Luke. Jesse James, par Morris http://www.bangbangluckyluke.com/les_dossiers/analyse_une_bd_lucky_luke.php Lucky Luke, « le défenseur de la veuve et de l’orphelin ». Un pâle reflet de ce qu’est Dieu, le « vrai justicier ». Planche de l’album « Jesse James », par Morris

 

« Une femme d’entre les femmes des fils des prophètes cria à Elisée, en disant: Ton serviteur mon mari est mort, et tu sais que ton serviteur craignait l’Eternel; or le créancier est venu pour prendre mes deux enfants et en faire ses esclaves ». (2 Rois 4v1)

Une femme s’approche d’Elisée et « crie » au prophète. Il s’agit d’une veuve, d’un des « fils des prophètes » décédé. Un homme « craignant Dieu », témoigne la femme…mais endetté. Elle est aussi une mère, mais le créancier s’apprête[« il est route pour »] à prendre tout ce qui reste à la femme, soit ses deux enfants, pour en faire ses esclaves.

Le créancier n’avait sans doute pas lu Lévitique 25v35-42, qui précise que « si ton frère devient pauvre et qu’il manque de ressources près de toi, tu le soutiendras, même s’il s’agit d’un étranger ou d’un immigré, afin qu’il vive avec toi. Tu ne tireras de lui ni intérêt ni profit, tu craindras ton Dieu et ton frère vivra avec toi. Tu ne lui prêteras pas ton argent à intérêt et tu ne lui prêteras pas ta nourriture pour en tirer un profit. Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui vous ai fait sortir d’Egypte pour vous donner le pays de Canaan, pour être votre Dieu(…) En effet, ils sont mes serviteurs, ceux que j’ai fait sortir d’Egypte; on ne les vendra pas comme on vend des esclaves ». On ne vendra pas son prochain israélite adulte comme esclave, et encore moins si c’est un enfant.

Le cri de la veuve est une prière. Que répondra le prophète ? Quelle sera la réponse la plus appropriée à une situation de détresse, et, surtout, la plus libératrice ?

  1. Ton mari n’aurait pas dû s’endetter ! Ne connaissait-il pas « les principes de bonne gestion » et ce que signifie « être responsable » ?
  2. Je te propose un prêt, mais avec un tutorat en échange
  3. Que puis-je pour toi ? Qu’as-tu chez toi ?

Bien entendu, la bonne réponse est la réponse 3. qui correspond au v2 de 2 Rois 4. C’est une parole de vie, et non culpabilisante ou infantilisante, qui encourage à considérer les ressources à disposition, même si cela peut paraître « rien du tout »(v2).

Et le « rien du tout » de la veuve « n’est qu’un vase d’huile »(v2). Mais c’est suffisant pour Dieu, comme les cinq pains et les deux poissons d’un petit garçon étaient suffisants pour Jésus, pour nourrir 5000 personnes. Et Elisée dit: « Va demander au dehors des vases chez tous tes voisins, des vases vides, et n’en demande pas un petit nombre. Quand tu seras rentrée, tu fermeras la porte sur toi et sur tes enfants; tu verseras dans tous ces vases, et tu mettras de côté ceux qui seront pleins »(vv3-4). La suite nous dit que la femme obéit en tous points à ce que lui dit Elisée. On remarquera une richesse particulière de la femme, outre sa foi en Dieu : ses bonnes relations avec son voisinage, ce qui lui a permis d’obtenir des vases en grand nombre. « Elle ferma la porte sur elle et sur ses enfants »(v5). Elisée n’est pas présent, mais un véritable « travail d’équipe » s’opère dans cette famille, avec une interaction entre la mère et les enfants. Ces derniers, qui ne sont plus vus « comme un problème », « lui présentaient les vases, et elle versait. Lorsque les vases furent pleins, elle dit à son fils: Présente-moi encore un vase. Mais il lui répondit: Il n’y a plus de vase. Et l’huile s’arrêta.  Elle alla le rapporter à l’homme de Dieu, et il dit: Va vendre l’huile, et paie ta dette; et tu vivras, toi et tes fils, de ce qui restera »(vv6-7).

A la fin, la dette est comblée grâce à l’huile et il y a un surplus (Comparer avec Luc 9v16-17). Le « tu vivras, toi et tes fils », qui contraste avec le terrible v1 (« mon mari est mort » et « mes enfants vont être pris comme esclaves »), rappelle le « Mais en ce jour je te délivrerai, dit l’Eternel, et tu ne seras pas livré entre les mains des hommes que tu crains. Je te sauverai, et tu ne tomberas pas sous l’épée; ta vie sera ton butin, parce que tu as eu confiance en moi, dit l’Eternel », adressé par Jérémie à l’éthiopien Ebed-Melek, l’éthiopien, qui l’avait sorti de la fosse (Jer.39v17-18).

La veuve a donc eu cette « audace de la foi » pour « crier » au « père des orphelins, le défenseur des veuves », qui est « Dieu dans sa demeure sainte » (Psaume 68v5)

D’autant plus que Dieu commande de ne pas « affliger la veuve, ni l’orphelin. Si tu les affliges, et qu’ils viennent à moi, j’entendrai leurs cris; ma colère s’enflammera, et je vous détruirai par l’épée », dit l’Eternel (Ex.22v22-24), le justicier par excellence.

« Car l’Eternel, votre Dieu, est le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, fort et terrible, qui ne fait point acception des personnes et qui ne reçoit point de présent, qui fait droit à l’orphelin et à la veuve… » (Deut.10v17-18).

Dans un autre passage(2 Rois 8v1-6), on retrouve la sunamite de 2 Rois 4v8-9 et ss, devenue veuve avec un enfant, qui, au retour d’une absence de sept ans pour cause de famine, se retrouve dépossédée  de sa maison et de son champ. Plutôt que de faire sienne cette idéologie comme quoi « l’Etat ne (serait) pas la solution, mais le problème », elle va « implorer le roi »(v2), comme la première veuve avait « crié » au prophète. Et elle a raison, puisque le roi est censé « ouvrir sa bouche pour le muet, pour la cause de tous les délaissés », « juger avec justice, et défendre le malheureux et l’indigent » (Prov.31v8-9). Mais aussi écrire pour lui une copie de la loi(cf Deut.17v18), laquelle enseigne sur Dieu ce qui précède plus haut !

Et le roi n’a pas besoin « de revoir sa copie », puisqu’à la fin du récit, il fait justice à la femme, ordonnant qu’on lui restitue tout ce qui lui appartient, « avec tous les revenus du champ », soit sept ans de revenus !(2 Rois 8v6)

Initialement paru le 10 juin 2016

Un peuple libre est un peuple qui honore la justice (Deutéronome 1v9-18)

Le Jugement de Salomon, par Nicolas Poussin (1649). Musée du Louvre. Richelieu, 2ème étage, salle 14.

 « Je ne peux pas vous porter à moi tout seul [rappelle Moïse au peuple] : le SEIGNEUR votre Dieu vous a rendus nombreux, et voici que vous êtes aujourd’hui aussi nombreux que les étoiles du ciel. Que le SEIGNEUR, le Dieu de vos pères, vous multiplie encore mille fois plus, et qu’il vous bénisse comme il vous l’a promis : comment, à moi tout seul, porterais-je vos rancœurs, vos réclamations et vos contestations ? Amenez ici, pour vos tribus, des hommes sages, intelligents et éprouvés ; je les mettrai à votre tête. » Et vous m’avez répondu : « Cette chose que tu nous dis de faire est bonne. » J’ai donc pris vos chefs de tribu, des hommes sages et éprouvés, et j’en ai fait vos chefs : des chefs de millier, de centaine, de cinquantaine, de dizaine, et des scribes, pour vos tribus. Alors j’ai donné des ordres à vos juges : « Vous entendrez les causes de vos frères, et vous trancherez avec justice les affaires de chacun avec son frère, ou avec l’émigré qu’il a chez lui. Vous n’aurez pas de partialité dans le jugement : entendez donc le petit comme le grand, n’ayez peur de personne, car le jugement appartient à Dieu. Si une affaire vous paraît trop difficile, soumettez-la-moi, et je l’entendrai. » Et alors, je vous ai donné des ordres sur tout ce que vous aviez à faire. (Deut.1v9-18)

« Un pays où les juges sortent dans la rue pour manifester est un pays où toutes les lignes ont été franchies ».

Ce pays est Israël au XXIe siècle et la personne qui tient ces propos connaît bien la question puisqu’il s’agit d’Ayala Procaccia, ancien juge de la cour suprême.

Ce dernier était présent parmi les 80 000 personnes rassemblées sur la place Habima, à Tel Aviv, samedi soir dernier, pour manifester contre le controversé projet de réforme de la justice voulu par le gouvernement de Benyamin Netanyahou.

Un événement que vous avez peut-être « vu passer », à moins qu’il ne vous ait complètement échappé.

En effet, depuis son investiture il y a deux semaines, le gouvernement de coalition très marqué à (l’extrême-)droite de Netanyahou (il rassemble son parti, le Likoud, et ses alliés suprémacistes juifs et ultraorthodoxes) “s’est embarqué dans une série d’initiatives législatives”, note le Washington Post cité dans Courrier international(1). « Le camp au pouvoir parle de corriger des déséquilibres dans les trois branches du gouvernement »(sic). Mais, précise le quotidien américain, « les critiques disent que ces mesures s’apparentent à un coup d’État qui détruira le système de séparation des pouvoirs, sauvera Netanyahou de l’inculpation dans trois cas de corruption et encouragera ses partenaires extrémistes religieux à mettre en avant des législations soutenant l’expansion de colonies juives en Cisjordanie ».

La réforme comprend entre autres, indique le quotidien israélien Haaretz, autre source de Courrier international(1), l’introduction d’une clause « dérogatoire » permettant au Parlement, de passer outre une décision de la Cour suprême avec un vote à la majorité simple, et la modification du processus de nomination des juges, qui devront entre autres être désignés par des responsables politiques. D’où les manifestations pour dénoncer ce projet, car, en l’absence de Constitution, la Cour suprême, plus haute juridiction israélienne, fait office de garde-fou du pouvoir politique et se pose en garant des libertés individuelles. Son rôle est d’autant plus important lorsqu’un bloc politique détient une majorité nette au Parlement, comme c’est le cas à la suite des dernières élections(1).

A ce sujet, qu’en dit la Bible ?

Le premier chapitre du livre du Deutéronome, cité en en-tête de cet article, nous révèle que la première instruction, de ce qui peut être considéré comme le testament de Moïse, concerne l’instauration d’un système judiciaire.  La condition la plus importante d’une vie en société est que les différends puissent être réglés, non pas selon « la loi du plus fort », mais selon les critères de la justice.

Pour rendre une justice équitable, prévoit Moïse, ces juges doivent être « sages, intelligents et éprouvés (ou « connus ») cf le v15.

« Etre sage », c’est savoir que l’on ne sait pas et reconnaître lorsqu’une affaire est hors de sa compétence (à l’instar de Moïse lui-même en Nombres 27v5); c’est aussi ne pas se laisser guider par la passion et toujours rechercher l’intérêt général.

« Etre intelligent », c’est être capable de lire entre les lignes (d’un discours ou d’un événement).

« Etre éprouvé » (ou « connu »), c’est avoir bonne réputation auprès de ses proches et de ses voisins, témoigner de son intégrité et de sa fiabilité.

Autre exigence : Les juges ne doivent pas faire preuve « de partialité dans le jugement » (à l’instar de Dieu lui-même en Deutéronome 10v17. Comp. avec Jacques 2), entendant « le petit comme le grand » (cf Lévitique 19v15) et sans avoir « peur de personne, car le jugement appartient à Dieu ». Au moment de juger et à mille lieux du « juge inique » de la parabole des Evangiles, le juge doit avoir conscience qu’il se tient devant le Dieu de la justice. Et qui craint Dieu ne peut craindre autre chose.

Au final, nommer de tels juges est tout « ce qui reste à faire » au peuple (Deut.1v18).

La nomination des juges (voir aussi Exode 18v13-27), ainsi que des prêtres (Exode 29 et Lévitique 8) et des anciens (Nombres 11v16), correspond à une première séparation des pouvoirs entre le judiciaire, le religieux, et le politique. 

C’est ainsi qu’un peuple libre est un peuple qui honore la justice et dont les institutions reposent sur cette claire séparation (et distinction) des pouvoirs.

Pour Montesquieu « le bon régime » n’est pas nécessairement républicain ni monarchique, il est nécessairement modéré, c’est-à-dire qu’il est partagé, à la différence du tyran qui concentre tous les pouvoirs entre ses mains. Ce n’est pas un hasard si la démocratie au sens moderne du terme s’est d’abord développée dans les pays de tradition judéo-chrétienne(2).

Mis à jour le 28/03/23

Notes :

(1) Voir https://www.courrierinternational.com/article/israel-80-000-personnes-contre-la-reforme-de-la-justice-en-israel-un-pays-ou-meme-les-juges-manifestent et Israël: une réforme de la justice à venir qui bouscule l’équilibre des pouvoirs.

Après trois mois de contestation, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a finalement annoncé, lundi 27 mars dans la soirée, la suspension de son projet de réforme de la justice. Cette déclaration intervient au terme de manifestations records et de nombreuses prises de parole dénonçant la volonté de refonte du système judiciaire du premier ministre.

(2) D’après La Bible. Le Pentateuque/1. Commentaire intégral verset par verset, par Antoine Nouis. Olivétan/Salvator, 2021, pp 527, 618-620.

Voir aussi :

Prise de dette ou bris de dette : choisis ta juridiction ! (Matt. 18v21-35)

« Si je ne brise pas la dette(….) j’échappe à la législation du Ciel, à sa jurisprudence et à ses codes », mais non sans conséquences…. (Source image : Plaque par Anna Langova)

Une histoire pour des banquiers et des juristes, mais pas seulement !

Les chrétiens aiment à dire qu’ils sont « dans le monde, mais pas du monde », pour reprendre la formule du Christ à ce sujet, soit qu’ils sont citoyens du Royaume de Dieu. Mais comme nous sommes également bien « dans le monde », les chrétiens ont en réalité la double citoyenneté, puisque, pour prendre un exemple français, ils sont citoyens de la République et citoyens du Royaume. Ce qui signifie que, pour les affaires matérielles et humaines, nous sommes sous la compétence des lois du monde, tandis que pour les affaires spirituelles, nous nous plaçons sous l’autorité d’une loi bien plus exigeante qui est celle que le Christ est venue révéler. Si nous désirons avoir cette deuxième citoyenneté, celle du Ciel, l’obéissance à la loi de pardon n’est pas une option, elle est une condition

Ce qui va suivre nous parle d’une question de compétence judiciaire. Si vous êtes citoyens du Royaume de Dieu, vous savez que la loi du Royaume est une loi du pardon. Si vous ne vivez pas cette loi du pardon, vous quittez la compétence du Royaume, et on vous remet sous la loi du monde. Et vous aurez à en tirer les conséquences. Car le monde ne pardonne pas, le monde punit et sa justice est basée sur la rétribution, fort heureusement, puisque c’est là normalement la base même de l’équité. En témoigne la récente (01/03/21) condamnation de Nicolas Sarkozy [ex-président de la république française de 2007 à 2012, normalement censé être le garant des institutions et « de l’indépendance de l’autorité judiciaire » cf art. 64 de la constitution de la Ve république française], à 3 ans de prison, dont un ferme, par le tribunal correctionnel de Paris, pour corruption et trafic d’influence, lui reprochant d’avoir tenté d’obtenir en 2014 des informations confidentielles sur une procédure judiciaire le concernant(1).

Cette décision nous rappelle que personne n’est au-dessus des lois. Nicolas Sarkozy est le premier président de la Ve République à être condamné à de la prison ferme. Avant lui, l’ancien président Jacques Chirac (1995-2007) avait été condamné en décembre 2011 par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans de prison avec sursis pour détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d’intérêts dans une affaire d’emplois fictifs quand il était maire de Paris au début des années 1990.

Mais Nicolas Sarkozy, qui déclarait sur son compte twitter (27 mars 2012) qu' »Il faut que les peines soient exécutées. La non-exécution des peines, c’est l’impunité », souhaitant (3 nov. 2015) « qu’il n’y ait pas de mesures d’aménagement de peine pour les peines supérieures à 6 mois »; a fait appel de cette décision. Le 05 mars, le parquet national financier annonce son intention de faire appel de la décision du tribunal de Paris. Un appel du ministère public permet à une cour d’appel de prononcer des peines plus lourdes qu’en première instance(2).

Christian Delporte, professeur d’histoire contemporaine (université de Versailles), estime, dans une interview à Libération, que cette condamnation résulte d’une plus grande exigence de probité de la part de l’opinion, à mille lieux d’une certaine vision de la justice à deux vitesses : « Il y avait toute cette idée avec Balladur ou Pasqua, que les politiques s’en tirent toujours, que lorsqu’on est corrompu, la justice ne vous rattrapera pas. Même Pasqua n’a jamais fait de prison, il est mort avant d’avoir à en faire. Ce fait a nourri la défiance de l’opinion publique. Là, coup sur coup, Balkany et Sarkozy sont condamnés. La justice prend une certaine revanche. […] L’idée qu’on peut tout faire quand on est au pouvoir est en train de dépérir. On en voit les limites pour la première fois. Je pense que c’est une façon de revaloriser la politique et de remettre un certain nombre de principes au jour. […] Il y a une exigence de transparence aujourd’hui. » (3).

Ceci dit, après avoir vu comment « marche la justice des hommes », écoutons maintenant le texte de l’Evangile selon Matthieu, chapitre 18v21-35.

Il s’agit d’un texte bien connu, qui, contrairement à ce que l’on pense, n’est ni une illustration imagée du fait qu’il faille pardonner « 70 fois 7 fois », ni une explication des causes théologiques de ce pardon total voulu par Dieu. Il s’agit plutôt d’un récit des conséquences concrètes de l’exigence divine (qui nous semble) démesurée du pardon dans nos vies, nous expliquant « comment ça marche » dans le Royaume de Dieu, dans ce plan d’existence où nous vivons, plan qui s’ajoute au seul plan terrestre de notre vie matérielle, affective, humaine.  Ce récit va même très loin puisqu’à notre grande surprise, au lieu de parler des conséquences du pardon, ce récit imagé va nous décrire les conséquences du non-pardon. « Si jamais vous refusez d’entrer dans ce projet de pardon total, voilà ce qui se passera pour vous. » Ouvrez vos oreilles ! Et comme dans tous les textes du nouveau testament, celui-ci déploie à la fois une promesse d’une grâce réjouissante et d’une exigence incontournable. Retenons les deux facettes de l’enseignement de Jésus, et pas seulement celle qui nous ferait plaisir (celle de dire que Dieu trouve que tout est beau et que tout le monde est gentil), mais bien la totalité du tableau que Jésus dessine sous nos yeux, avec ses lumières et ses ombres, l’un n’ayant pas de sens sans l’autre.

La première chose que me rappelle ce texte de l’Evangile, c’est que le pardon, outre qu’il n’est pas une option, est toujours une histoire de remise de dette. C’est comme si nous avions un compte en banque non pas en euros mais en joie et en paix (…..). Et à chaque fois que nous traverse un ressentiment, c’est comme si nous devions payer un impôt très lourd à la haine. A chaque fois que nous viennent des regrets amers, nous devons faire un chèque en blanc à l’adversaire du Christ, cet adversaire qui se paye de nos joies abîmées et de nos tranquillités troublées. Autant dire que sur le compte de la paix et de la joie, si nous n’acceptons pas de vivre avec le mode de vie spirituelle de Jésus, nous sommes toujours dans le rouge, et parfois proche de l’interdiction de chéquier, et peut-être pour certains qui ont accumulé les traites au Ministère de la Colère, vous êtes franchement interdits bancaire. Cette situation consiste donc en l’absence totale de paix et l’inexistence concrète du bonheur.

Mais voici que le projet de Dieu est tout à fait étonnant. C’est un projet de remise de dette qui va jusqu’au bout. Dieu a eu une grande idée, c’est d’inciter tous les propriétaires de comptes en banque en paix et en joie à administrer différemment leurs porte-monnaie.
La première incitation consiste à ne pas laisser à droite et à gauche des chèques en blanc de haine ou d’inquiétude, car ils nous mettent dans une situation permanente de surendettement (….).
La deuxième incitation du Seigneur est remarquable, puisque Dieu a décidé que tous ceux qui veulent bien lâcher prise et lui faire confiance, reçoivent une option dans leurs services bancaires, qui est bien mieux que toutes les offres — scandaleuses, soit dit en passant — de découvert. Dieu prend à sa charge (pour vous qui voulez bien vous confier en lui) tous vos découverts sur vos comptes en banque en paix et en joie. C’est formidable, non ? En réalité, ce n’est pas un puits sans fond, car normalement, dès la première fois où Dieu règle la différence et nous remet dans le positif, nous héritons en même temps d’une soudaine lucidité de gestion qui nous permet de ne plus administrer bêtement nos ressources, et nous mettons fin définitivement aux pratiques dispendieuses que sont la rancune, l’animosité, la malveillance, et la colère.

Ce qui est grave, donc, d’après la parabole de Jésus, ce n’est pas le fait que Dieu ait à dépenser des mille et des cents pour nous désendetter, au début de tout ce processus, mais c’est notre inconséquence par rapport à ce désendettement massif et soudain. Car aussitôt que Dieu nous libère d’un passif dont nous n’aurions jamais pu nous tirer sans sa clémence et sa douceur, nous nous sentons tout légers et nous retournons à des modes de fonctionnement qui sont ceux du monde et non ceux du Royaume. Nous oppressons les autres pour fêter la fin de notre propre sentiment d’oppression… La loi du Royaume de Dieu consiste à briser la dette, quoi qu’il en coûte, quoi qu’il en coûte à Dieu, et pour mes affaires à moi, quoi qu’il m’en coûte. Si je ne brise pas la dette, si je ne déchire pas les chèques en blanc que les autres me font en m’agressant, j’échappe à la législation du Ciel, à sa jurisprudence et à ses codes. 

La conséquence est simple : comme déjà signifié en introduction, si vous êtes citoyens du Royaume, vous savez que la loi du Royaume est une loi du pardon. Si vous ne vivez pas cette loi du pardon, vous quittez la compétence du Royaume, et on vous remet sous la loi du monde. Et vous aurez à en tirer les conséquences.   « Voilà ce qui vous arrivera si vous ne pardonnez pas de tout votre cœur ». Ce qui vous arrivera, c’est que vous serez remis, tout simplement, à la seule compétence du monde, y compris pour les affaires spirituelles. Et le monde est régi par la compensation et la rétribution, je l’ai déjà dit : pour toutes vos haines et vos ressentiments, vous serez accablés, sans espérance et déçus. Pour toutes vos amertumes vous serez dans l’atermoiement, le sentiment d’une culpabilité qui n’en finit jamais. En somme pour tous vos non-pardons et parce que c’est vous qui refusez de briser la logique de la dette, parce que c’est vous qui refusez que se déploie la compétence du Royaume dans votre vie, vous serez endettés, débiteurs, sans cesse redevables des agios exponentiels de la rancœur qui s’installe au fond du cœur comme un horizon inéluctable.

Considérez le projet de Dieu. Vous avez envie de continuer à vous culpabiliser sans fin ? Vous êtes très attirés par la bile qui marine dans votre cœur et y laisse des ulcères acides ? Vous avez un goût certain pour les regrets et le sentiment de ne jamais y arriver ? Vous aspirez à une vie terne et repliée sur elle-même ? Vous sentez un désir qui pointe de vous complaire dans la morgue et les sentiments funestes ? Eh bien, désormais, vous savez quoi faire.  Surtout, ne pardonnez pas. Vous ne serez pas déçus…(4)

Pour reprendre l’exemple cité plus haut avec Nicolas Sarkozy, certes, « nous ne sommes pas dans sa tête » et « c’est Dieu qui sait » (le concernant), mais vu sa présence en tant qu' »invité exceptionnel » au JT de TF1 (03/03) pour se justifier, deux jours après sa condamnation, continuant à manifester un « esprit de victime » et vu sa volonté passée d' »en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi » et « une mode exécrable »(5), alors que l’Evangile nous exhorte à manifester « des fruits de la repentance » (Matt.3v8, Luc 3v8, cf Actes 26v20 et Eph.5v8-9…), l’intéressé témoigne-t-il d’être réellement dans « le projet de Dieu » ? Dans le cas contraire, y entrer vraiment est ce que nous pouvons lui souhaiter de mieux, après s’être mis en règle avec la justice des hommes !

Notes : 

(1) En comparaison, un trafiquant de drogue est condamné à 10 ans de prison ferme  https://www.20minutes.fr/justice/2956647-20210119-grenoble-dix-ans-prison-encontre-trafiquant-drogue-lyonnais

(2) Les détails de l’affaire sur https://www.dalloz-actualite.fr/flash/affaire-bismuth-ecoutes-au-coeur-de-condamnation#.YD91DWhKgdU ; Voir aussi https://www.liberation.fr/checknews/2017/11/27/parmi-les-anciens-chefs-d-etats-de-la-ve-republique-lesquels-n-ont-jamais-eu-affaire-a-la-justice-me_1652791/

(MAJ 24/05/23 : Condamné le 17 mai 2023 en appel à trois ans de prison, dont un ferme à domicile sous bracelet électronique, pour corruption et trafic d’influence, Nicolas Sarkozy a annoncé se pourvoir en Cassation).

(3) Cf https://www.liberation.fr/politique/sarkozy-condamne-la-justice-nest-pas-moins-laxiste-ce-sont-les-lois-qui-ont-evolue-20210301_TAGOOZLGUZFLLHFJMFYQ2FF3WM/ ; Voir aussi https://theconversation.com/le-proces-sarkozy-montre-aussi-comment-letat-se-preserve-des-affaires-nefastes-a-son-economie-156423 ; et sur la question d’une « justice à deux vitesses », qui serait « clémente envers les puissants » : https://www.franceculture.fr/droit-justice/la-justice-est-elle-moins-severe-pour-les-puissants

Voir aussi, ces commentaires de l’étranger :

Dans un éditorial, El Pais salue la “condamnation exemplaire” rendue contre l’ancien chef d’État. Elle illustre la vigueur de la séparation des pouvoirs dans la démocratie française, selon le quotidien espagnol. https://www.courrierinternational.com/article/vu-despagne-nicolas-sarkozy-condamne-la-democratie-renforcee

Nicolas Sarkozy condamné à trois ans de prison, c’est une information qui a fortement interpellé outre-Rhin. Un éditorialiste de la Süddeutsche Zeitung lui trouve même quelque chose de “révolutionnaire” quand on connaît le système politique hexagonal : un système présidentiel “qui conserve des caractéristiques fondamentalement monarchiques définissant le tempérament politique national : dirigiste, centralisé et, à certains égards, absolutiste”.

Ici, affirme la SZ, la politique “repose sur la personnalité du président de la République, qui doit être à la fois une figure lumineuse et un père attentionné pour ses concitoyens. L’idée que cette conception invite à toutes sortes d’abus, qu’elle repose sur la force de caractère individuelle qui peut donc être corruptible, appartient au contrat implicite que les électeurs passent tous les cinq ans avec leur président-monarque.”

Tous les présidents font l’objet de soupçons, explique le journaliste. Mais dans le cas de Nicolas Sarkozy, “qui aimait à peu près autant les magouilles qu’il redoutait la lumière [sur ces mêmes magouilles]”, ce pacte a franchement raté.

Et c’est ici que l’importance du verdict prend tout son sens. Le fait que l’ancien président soit traité aujourd’hui comme un citoyen ordinaire devant la justice est la preuve, pour le quotidien, que “l’enquête a enfin été menée à l’abri des influences politiques”. Car si la France est un État de droit, elle est aussi marquée par “une forme de justice parallèle où les juges sont davantage soumis aux injonctions politiques que leurs confrères allemands, ce qui a plus d’une fois fait douter de leur impartialité”.

Et la Süddeutsche Zeitung de conclure : Cette condamnation donne non seulement des sueurs froides à l’ensemble de la classe politique française, mais elle ébranle aussi l’élitisme et l’absolutisme qui caractérisent l’appareil politique et les rapports de force dans la société en général. Deux ans après l’apparition des ‘gilets jaunes’ et un an avant la prochaine élection présidentielle, la pression monte dans la République.” Vu d’Allemagne. La condamnation de Sarkozy, une révolution dans une France “monarchique” et élitiste

(4) D’après une prédication de Gilles Boucomont, le 30/07/06 http://1001questions.fr/aunomdejesus/pardonner-3-le-non-pardon/

(5) Déclaration faite dans un certain contexte : Dans son tout premier discours de président élu, au soir de l’élection, le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy déclarait vouloir « en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi », dénonçant lors de sa campagne « la repentance, mode exécrable à laquelle (il demandait) de tourner le dos », fustigeant la « concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres ». https://www.vie-publique.fr/discours/166432-declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-lump-et-candidat-lelhttps://www.challenges.fr/monde/memoire-repentance-quatre-presidents-quatre-postures_255175

De là ce commentaire de l’époque d’un lecteur de La Croix : « comment peut-on être à la fois sarkozyste et adepte du Christ dès lors que, selon Marc (1-15), « Jésus proclamait en Galilée en ces termes la Bonne Nouvelle venue de Dieu : (…) Repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » ? Le Catéchisme de l’Église catholique, quant à lui, utilise expressément le terme de repentance. Il précise que « par le baptême, le chrétien est sacramentellement assimilé à Jésus. (…) Il doit entrer dans ce mystère d’abaissement humble et de repentance. » Enfin, Jean-Paul II, l’un des principaux adeptes de cette « mode exécrable » de la repentance, proclamait en 1994 que « reconnaître les fléchissements d’hier est un acte de loyauté et de courage qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d’aujourd’hui et nous prépare à les affronter. »https://www.la-croix.com/Archives/2007-06-07/Au-soir-des-elections-dans-son-tout-premier-discours-de-president-elu-Nicolas-Sarkozy-a-ete-tres-clair-Je-veux-en-finir-avec-la-repentance-qui-est-une-forme-de-haine-de-soi.-Deja-au-cours-de-la-campagne-il-avait-denonce-la-repentance-mode-execrable-a-laquelle-je-vous-demande-de-tourner-le-dos.-_NP_-2007-06-07-293230

Read it (again) : Michael Kohlhaas, d’Heinrich Von Kleist

Michael Kohlhaas, un homme (du) droit. Source image : première de couverture de l’édition Mille et une nuits, 2016. En photo : Mads Mikkelsen, dans le film éponyme d’Arnaud des Pallières.

Un homme (du) droit

De passage dans une librairie d’un petit village ardéchois, cet été, je suis attiré, au moment d’en sortir, par une édition « Mille et une nuits » d’un classique allemand lu une première fois il y a 30 ans environ en « GF Flammarion » : « Michael Kohlhaas », d’Heinrich Von Kleist (1777 – 1811), court roman (ou nouvelle) « d’après une chronique ». Outre le titre, qui m’est familier, et le format du livre, il y a la photo de Mads Mikkelsen en couverture – un acteur danois que je ne connaissais pas – qui interprète « Michael Kohlhaas » dans l’adaptation cinématographique éponyme d’Arnaud des Pallières (2013). Je me sens conduit à l’acquérir pour le relire. Avec raison.

De quoi s’agit-il ?

Pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit d’un récit historique et politique inspiré de l’histoire vraie(1) de Michael Kohlhaas, prospère et honnête marchand de chevaux, mari aimant et père attentif, victime de l’injustice d’un seigneur. Demandant en vain réparation, confronté à une justice malmenée par les privilèges et les conflits d’intérêts des puissants (ceux-là mêmes censés être les garants des lois), il « se radicalise » et, à la tête d’une armée de gens du peuple et d’aventuriers, met une province d’Allemagne à feu et à sang pour obtenir justice. Un drame fort et puissant par son style et sa construction, très moderne, relatant l’histoire d’un homme seul contre les institutions de son temps. Un homme qui demande obstinément que justice soit faite, quand bien même le monde irait à sa perte ! Se déroulant à l’époque de la Réforme, l’affaire doit une part de son retentissement à l’intervention de Martin Luther lui-même(2).

Pour l’anecdote, il s’agit du livre préféré de Franz Kafka parmi toute la littérature allemande, et dont la lecture a été pour lui à l’origine de son désir d’écrire.

Le récit s’inscrit dans un contexte historique bien précis, témoignant d’une société en transformation et en plein bouleversement – la Réforme du XVIe siècle, le Saint Empire romain germanique avec les princes des Etats et leurs lois féodales….

C’est aussi « un voyage philosophique au cœur de l’homme » [pour reprendre une expression de Mads Mikkelsen(3)] d’une troublante actualité, reflétant l’essentiel des inquiétudes politiques de notre temps : ou comment demander la chose la plus simple au monde – la justice, l’égalité des droits – peut déclencher l’extrême autour de soi.

Mais plus qu’un « terroriste » ou un « fanatique » porteur d’une idée fixe, Kohlhaas est en réalité « un héros du droit », précurseur dans la lutte pour le droit, car qui lutte pour son propre droit lutte pour le droit des autres. Et ce, d’autant plus que le même Kohlhaas est aussi « un homme droit », renonçant à prendre le pouvoir (alors qu’il en avait le pouvoir !), une fois obtenu le droit de voir sa plainte examinée par un tribunal.

Un classique complexe, qui me marque encore après cette relecture, laquelle m’a permis de mieux en mesurer la portée.

L’édition « Mille et une nuits » ne manque pas d’intérêt, puisqu’elle comprend un dossier sur le film d’Arnaud des Pallières (2013), dont un texte du réalisateur à propos de sa libre adaptation cinématographique (notamment son choix de dépayser l’action dans les Cevennes et de tourner en extérieur), suivi d’un entretien avec Mads Mikkelsen, l’acteur danois interprétant Michael Kohlhaas, ainsi que d’une postface de l’éditeur sur l’écriture de ce récit et Heinrich Von Kleist, considéré comme « le plus moderne des auteurs romantiques ».

En bonus, la bande annonce du film, découvert également cet été pour l’occasion, qui vaut aussi le détour :

 

 

Notes :

(1) Heinrich Von Kleist s’inspire de l’histoire – d’après « une chronique ancienne » – de Hans Kohlhase, marchand installé à Cölln, île au bord de la Spree, dans les faubourgs de Berlin, dans le Brandebourg, au début du XVIe siècle (1532-1540). Du moins reprend-t-il tous les événements liés à ce personnage qui sont connus. Ultérieurement seront retrouvés des actes et des pièces dont l’auteur n’avait pu avoir  connaissance (Voir la postface de l’éditeur « Quand bien même le monde devrait périr » IN Michael Kohlhaas, Mille et une nuits, pp 191-192).

(2) Voir cette scène dans le roman (Michael Kohlhaas, Mille et une nuits, pp.64-78)

(3) Voir « entretien avec Mads Mikkelsen » (Michael Kohlhaas. Mille et une nuits, p 187)

Au-delà du procès Fillon, l’autre scandale…

« Tu auras un poids juste », et non pas « deux poids deux mesures… », dit l’Eternel.

Depuis mercredi 26/02, François Fillon, son épouse Pénélope, ainsi que son ancien suppléant parlementaire Marc Joulaud, sont jugés jusqu’au 11 mars, à des degrés divers, pour détournement de fonds publics [un million d’euros] par personne chargée d’une mission de service public, complicité et recel de ce même délit, complicité et recel d’abus de bien sociaux et déclaration mensongère aux obligations déclaratives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).  Des faits révélés par Le Canard enchaîné le 25 janvier 2017.

François Fillon est accusé d’avoir rémunéré son épouse comme collaboratrice parlementaire alors qu’elle n’exerçait pas de réelles fonctions, selon l’accusation. Voilà pour ce premier scandale.

Mais en marge du procès Fillon, « l’autre scandale [ce qui est une occasion de chute], celui qui est avéré ». selon Patrice de Plunkett, est le « soutien de (dizaines de) milliers d’électeurs catholiques (1) – et en tant que catholiques ! – à la candidature Fillon….». Un tel soutien dénote d’une « pathologie intellectuelle et morale qu’il serait urgent de soigner », tacle sévèrement le journaliste catholique.

Et du côté protestant-évangélique ?

A l’époque, « il n’y a pas eu de rejet massif de Fillon chez les protestants (20 % des votes), qui ont voté dans la même proportion que le vote national….» mais dans une proportion moindre que le vote catholique, comme l’analyse l’historien Sébastien Fath sur son blogue. Comme tente de m’en persuader un mail très orienté de la part d’une connaissance, reçu le 21 avril 2017, Fillon est même LE candidat censé « se rapprocher le plus de ce que recommande la Parole de Dieu », soit disant parce qu’il ne faut pas « lui jeter la première pierre » et parce que « les choses compliquées finissent par être simplifiées par la Parole de Dieu et le désir de s’y conformer ».

Mais en quoi ce vote était-il aberrant de la part de chrétiens, qu’ils soient catholiques ou protestants, me demanderez-vous, en écho à la question que pose Patrice de Plunkett ?

Le vote Fillon est déjà en soi aberrant pour les chrétiens protestants et catholiques, du fait premièrement des positions et votes du candidat Fillon sur le plan de « l’éthique privée ». Nous en avions alors parlé le 10 mars 2017 sur pep’s café. Si François Fillon s’est déclaré personnellement hostile à l’IVG, il a assuré ne pas vouloir remettre en cause ce droit ; et s’il a toujours assumé son opposition au mariage pour tous et à l’adoption par les couples de même sexe, il ne souhaite pas non plus remettre en cause la légalisation du « mariage pour tous »(2).

Sur le plan économique et social, le programme du candidat Fillon – par ailleurs qualifié par Sébastien Fath de « robuste et très travaillé »,  placé sous la « bannière réformiste du courage politique »– est d’inspiration « Thatchérienne », comme me l’a expliqué un abonné à notre blogue : « Fillon est un libéral qui veut mener une politique axée sur l’offre qui dégonfle le poids de l’État dans l’économie, diminue la pression fiscale sur le patronat et les grandes entreprises qu’il compense avec la taxation indirecte (TVA) et la flexibilité du travail, lesquelles n’améliorent pas le pouvoir d’achat des ménages, consacrent la précarisation de l’emploi (en visant moins de chômeurs mais plus de travailleurs pauvres) ni ne protègent assez les travailleurs des catégories populaires contre les licenciements abusifs. Sa base électorale est restreinte puisqu’il a visé durant les primaires de la droite et du centre les seniors de la bourgeoisie d’affaire et les CSP+ ». D’autre part, le même internaute précise que, « en rupture avec le gaullisme social », Fillon est aussi « un européiste qui prend opportunément une posture gaullienne et défend des idées chrétiennes conservatrices (“la manif pour tous”) ». Sauf qu’ « il a négligé pour l’instant le volet social, pourtant décisif pour espérer l’emporter en 2017, et qu’une partie de son électorat catholique, en théorie attaché aux valeurs de partage et de justice, a, semble-t-il, curieusement – et l’on peut espérer momentanément – perdu de vue ». Signalons enfin que le candidat Fillon souhaitait « supprimer de notre Constitution » le principe de précaution (pourtant intégré en 2005, par Jacques Chirac alors que la droite était majoritaire au Parlement) estimé « dévoyé et arbitraire », pour mieux, selon lui « emprunter les voies de l’innovation et du progrès scientifique, ne pas renoncer aux projets d’avenir au nom du principe de précaution, qui sert aujourd’hui de prétexte à l’inaction ».

Il est en effet curieux de voir « perdu de vue » ces valeurs bibliques de partage et de justice, du côté des chrétiens, au moment du vote.  Etonnement partagé dans cet article du 12 février 2017 signé d’Eve Charrin, et paru dans un journal non chrétien : Programme du « chrétien » Fillon : Jésus était-il ultralibéral ? « Posons une question candide, une question de fond qui survivra aux soubresauts de la campagne présidentielle : comment le catholicisme bon teint d’une bonne part de l’élite française peut-il s’accommoder de tant d’enthousiasme pour une réforme libérale “radicale” ? Comment croire avec une égale ferveur au Christ et au marché ? Par quelles voies impénétrables concilier les valeurs de l’Evangile avec celles du Medef, la doctrine sociale de l’Eglise et le catéchisme néo-thatchérien de la dérégulation ? La contradiction reste solidement enracinée (….) en vérité, le programme de Fillon ne paraît pas très catholique ! [et même plus généralement bien peu chrétien] Car, face à la détérioration de l’environnement, face au creusement des inégalités, « il faut éviter une conception magique du marché qui fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par l’accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus ». Les lignes qui précèdent n’ont pas été écrites par Jean-Luc Mélenchon, mais bien par le pape François dans sa dernière encyclique Laudato Si’ publiée en juin 2015. De fait, «le principe de la maximalisation du gain, qui tend à s’isoler de toute autre considération, est une distorsion conceptuelle de l’économie», insiste le souverain pontife, qui dénonce à l’envi « l’argent idole », ce « fumier du diable », et fustige «l’emprise absolue des finances». Des propos révolutionnaires de la part du jésuite argentin… », dont « les propos développaient une position magistérielle (constante et croissante) de l’Eglise catholique depuis Léon XIII », souligne Patrice de Plunkett : « position actualisée, et exprimée de façon plus percutante, par le “jésuite argentin”.(….) Alors la question est : pourquoi cette position reste-t-elle théorique ? Autrement dit : de quel droit les catholiques de la droite libérale (nombreux parmi les catholiques français) se permettent-ils de tourner le dos à la position socio-économique du Magistère ? » (3)

Du côté protestant-évangélique, le décalage sera avec la pensée biblique, pour ne pas parler de la doctrine sociale de l’Eglise (catholique), sachant que plus de 2000 versets traitent des questions d’équité et de justice.

A ce scandale de la contradiction avec la pensée biblique, s’ajoute le scandale du « deux poids deux mesures » (en horreur à l’Eternel) et de la justice à deux vitesses, tout aussi contradictoire avec la pensée biblique : en témoignent Prov.11v1, 20v10, 23 ; Lévit.19v35-36 et Deut.25v13-16.

En guise d’illustration, ce fait éloquent : en mars 2017, une connaissance me transmet par mail ce qui m’est présenté comme étant « une analyse claire, pragmatique et…spirituelle ». Si « je suis d’accord », je suis « encouragé » à faire ce que l’auteur « préconise » et, bien sûr….. « à partager cet article à (tous) mes contacts ».  Mais en lieu et place d’une « analyse claire et spirituelle » [on y cherche en vain une seule citation/référence biblique pour justifier si ladite action est « spirituelle » ou non], ce texte stupéfiant aux accents de panique du blogueur évangélique Nicolas Ciarapica, publié le 3 mars 2017 sur le site « Infochrétienne », se voulant « un appel solennel aux chrétiens de France, ainsi qu’aux amis de la France », tente de justifier « pourquoi (il) estime qu’il est URGENT de prier »…..non pas pour que la justice et la vérité éclatent, mais « pour que le candidat François Fillon [alors en pleine tourmente judiciaire] reste en lice [coûte que coûte] – quelles que soient nos opinions politiques – et pour qu’il puisse poursuivre sa campagne en vue du premier tour de l’élection présidentielle du 23 avril prochain ». Pour l’auteur de ce manifeste, il serait donc légitime de faire pression sur la justice et de remettre en question son indépendance, en faisant entrave au bon déroulement d’une enquête, au nom de considérations partisanes. Il est stupéfiant de lire un tel appel à la compromission avec la vérité et la justice.

Au final, les « prêtres de l’Eternel » que sont les chrétiens seront donc bien inspirés de se souvenir constamment que « la justice et la droit » constituent « la base du trône » de l’Eternel et que « marchent devant Lui l’amour/la fidélité et la vérité » (Ps.89v15).

En toute logique, le chrétien « biblique » laissera tomber toutes les postures identitaires et partisanes pour suivre ce commandement divin : « Tu ne commettras point d’iniquité dans tes jugements : tu n’auras point égard à la personne du pauvre, et tu ne favoriseras point la personne du grand, mais tu jugeras ton prochain selon la justice » (Lévit.19v15) ; « Vous ne commettrez point d’iniquité ni dans les jugements, ni dans les mesures de dimension, ni dans les poids, ni dans les mesures de capacité. Vous aurez des balances justes, des poids justes, des épha justes et des hin justes. Je suis l’Éternel, votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d’Égypte. »(v35-36) « L’Eternel est juste dans toutes ses voies et bienveillants dans toutes ses oeuvres »(Ps.145v17) ; Il « fait droit aux opprimés »(Ps.146v7)-c’est à dire qu’Il entend leurs cris et considère que leurs plaintes « pèsent » suffisamment pour être intervenir en leur faveur. De là cette exhortation – adressée à un roi – dans Proverbes 31v8-9 : « ouvre ta bouche pour le muet, pour la cause de tous les délaissés. Ouvre ta bouche, juge avec justice et défends le malheureux et l’indigent. »

Sans oublier que la « culture de vie » ne se limite pas à condamner l’avortement et l’euthanasie. Etre « pro-vie » n’est pas insister davantage et seulement sur les deux extrémités de l’existence terrestre au point d’occulter tout ce qu’il y a entre deux, c’est-à-dire, en l’occurrence, des millions de citoyens vivants, comme le souligne Philippe Malidor, journaliste à Réforme, auteur et traducteur (4) : « Quid de la justice, de l’équité, de l’honnêteté en affaires, de la santé, de l’emploi, de l’éducation, de la morale publique, du droit d’opinion et de religion ? »

 

 

 

Notes : 

(1) Plus de la moitié des catholiques pratiquants réguliers (55%) ont voté pour le candidat Les Républicains au premier tour de l’élection présidentielle, dimanche 23 avril.

(2) François Fillon, qui se dit catholique bien qu’« à la pratique irrégulière », déclare croire au « caractère sacré de la vie » (Faire, Albin Michel, 2015, p. 269) tout en défendant la légalisation de l’avortement : « J’ai voté tous les textes qui voulaient améliorer l’accès pour les femmes à l’IVG, y compris le dernier qui était proposé par la gauche. » (Europe 1, 23/11/16) Plus exactement, il a voté contre le remboursement par l’Assurance maladie (1982), la création du délit d’entrave (1993), l’allongement du délai à douze semaines de grossesse (2001), la suppression du délai de réflexion (2016), mais s’est abstenu sur la suppression de la notion de détresse (2014) et a voté pour la résolution réaffirmant le droit fondamental à l’IVG en France et en Europe (26 novembre 2014) alors que la majorité des députés n’a pas pris part au vote (151 votants sur 577 députés). Et il ne s’est par ailleurs pas opposé au projet de loi « pour l’égalité entre les hommes et les femmes » (28 janvier 2014), qui a renforcé le droit à l’avortement, en créant notamment un déli d’entrave tant « matérielle » que «psychologique». M. Fillon n’en est pas excommunié pour autant, mais ses positions le placent dans une situation problématique.

(3) Voir aussi https://pepscafeleblogue.wordpress.com/2016/11/23/pourquoi-la-question-des-valeurs-comme-critere-de-vote-est-une-notion-piegee/

(4) Paru dans « Si j’étais président…  – Le sel du scrutin présidentiel », Publié le 16/02/2012. Voir aussi ces pistes pour étudier l’économie sous un angle chrétien.