« Si je ne brise pas la dette(….) j’échappe à la législation du Ciel, à sa jurisprudence et à ses codes », mais non sans conséquences…. (Source image : Plaque par Anna Langova)
Une histoire pour des banquiers et des juristes, mais pas seulement !
Les chrétiens aiment à dire qu’ils sont « dans le monde, mais pas du monde », pour reprendre la formule du Christ à ce sujet, soit qu’ils sont citoyens du Royaume de Dieu. Mais comme nous sommes également bien « dans le monde », les chrétiens ont en réalité la double citoyenneté, puisque, pour prendre un exemple français, ils sont citoyens de la République et citoyens du Royaume. Ce qui signifie que, pour les affaires matérielles et humaines, nous sommes sous la compétence des lois du monde, tandis que pour les affaires spirituelles, nous nous plaçons sous l’autorité d’une loi bien plus exigeante qui est celle que le Christ est venue révéler. Si nous désirons avoir cette deuxième citoyenneté, celle du Ciel, l’obéissance à la loi de pardon n’est pas une option, elle est une condition
Ce qui va suivre nous parle d’une question de compétence judiciaire. Si vous êtes citoyens du Royaume de Dieu, vous savez que la loi du Royaume est une loi du pardon. Si vous ne vivez pas cette loi du pardon, vous quittez la compétence du Royaume, et on vous remet sous la loi du monde. Et vous aurez à en tirer les conséquences. Car le monde ne pardonne pas, le monde punit et sa justice est basée sur la rétribution, fort heureusement, puisque c’est là normalement la base même de l’équité. En témoigne la récente (01/03/21) condamnation de Nicolas Sarkozy [ex-président de la république française de 2007 à 2012, normalement censé être le garant des institutions et « de l’indépendance de l’autorité judiciaire » cf art. 64 de la constitution de la Ve république française], à 3 ans de prison, dont un ferme, par le tribunal correctionnel de Paris, pour corruption et trafic d’influence, lui reprochant d’avoir tenté d’obtenir en 2014 des informations confidentielles sur une procédure judiciaire le concernant(1).
Cette décision nous rappelle que personne n’est au-dessus des lois. Nicolas Sarkozy est le premier président de la Ve République à être condamné à de la prison ferme. Avant lui, l’ancien président Jacques Chirac (1995-2007) avait été condamné en décembre 2011 par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans de prison avec sursis pour détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d’intérêts dans une affaire d’emplois fictifs quand il était maire de Paris au début des années 1990.
Mais Nicolas Sarkozy, qui déclarait sur son compte twitter (27 mars 2012) qu' »Il faut que les peines soient exécutées. La non-exécution des peines, c’est l’impunité », souhaitant (3 nov. 2015) « qu’il n’y ait pas de mesures d’aménagement de peine pour les peines supérieures à 6 mois »; a fait appel de cette décision. Le 05 mars, le parquet national financier annonce son intention de faire appel de la décision du tribunal de Paris. Un appel du ministère public permet à une cour d’appel de prononcer des peines plus lourdes qu’en première instance(2).
Christian Delporte, professeur d’histoire contemporaine (université de Versailles), estime, dans une interview à Libération, que cette condamnation résulte d’une plus grande exigence de probité de la part de l’opinion, à mille lieux d’une certaine vision de la justice à deux vitesses : « Il y avait toute cette idée avec Balladur ou Pasqua, que les politiques s’en tirent toujours, que lorsqu’on est corrompu, la justice ne vous rattrapera pas. Même Pasqua n’a jamais fait de prison, il est mort avant d’avoir à en faire. Ce fait a nourri la défiance de l’opinion publique. Là, coup sur coup, Balkany et Sarkozy sont condamnés. La justice prend une certaine revanche. […] L’idée qu’on peut tout faire quand on est au pouvoir est en train de dépérir. On en voit les limites pour la première fois. Je pense que c’est une façon de revaloriser la politique et de remettre un certain nombre de principes au jour. […] Il y a une exigence de transparence aujourd’hui. » (3).
Ceci dit, après avoir vu comment « marche la justice des hommes », écoutons maintenant le texte de l’Evangile selon Matthieu, chapitre 18v21-35.
Il s’agit d’un texte bien connu, qui, contrairement à ce que l’on pense, n’est ni une illustration imagée du fait qu’il faille pardonner « 70 fois 7 fois », ni une explication des causes théologiques de ce pardon total voulu par Dieu. Il s’agit plutôt d’un récit des conséquences concrètes de l’exigence divine (qui nous semble) démesurée du pardon dans nos vies, nous expliquant « comment ça marche » dans le Royaume de Dieu, dans ce plan d’existence où nous vivons, plan qui s’ajoute au seul plan terrestre de notre vie matérielle, affective, humaine. Ce récit va même très loin puisqu’à notre grande surprise, au lieu de parler des conséquences du pardon, ce récit imagé va nous décrire les conséquences du non-pardon. « Si jamais vous refusez d’entrer dans ce projet de pardon total, voilà ce qui se passera pour vous. » Ouvrez vos oreilles ! Et comme dans tous les textes du nouveau testament, celui-ci déploie à la fois une promesse d’une grâce réjouissante et d’une exigence incontournable. Retenons les deux facettes de l’enseignement de Jésus, et pas seulement celle qui nous ferait plaisir (celle de dire que Dieu trouve que tout est beau et que tout le monde est gentil), mais bien la totalité du tableau que Jésus dessine sous nos yeux, avec ses lumières et ses ombres, l’un n’ayant pas de sens sans l’autre.
La première chose que me rappelle ce texte de l’Evangile, c’est que le pardon, outre qu’il n’est pas une option, est toujours une histoire de remise de dette. C’est comme si nous avions un compte en banque non pas en euros mais en joie et en paix (…..). Et à chaque fois que nous traverse un ressentiment, c’est comme si nous devions payer un impôt très lourd à la haine. A chaque fois que nous viennent des regrets amers, nous devons faire un chèque en blanc à l’adversaire du Christ, cet adversaire qui se paye de nos joies abîmées et de nos tranquillités troublées. Autant dire que sur le compte de la paix et de la joie, si nous n’acceptons pas de vivre avec le mode de vie spirituelle de Jésus, nous sommes toujours dans le rouge, et parfois proche de l’interdiction de chéquier, et peut-être pour certains qui ont accumulé les traites au Ministère de la Colère, vous êtes franchement interdits bancaire. Cette situation consiste donc en l’absence totale de paix et l’inexistence concrète du bonheur.
Mais voici que le projet de Dieu est tout à fait étonnant. C’est un projet de remise de dette qui va jusqu’au bout. Dieu a eu une grande idée, c’est d’inciter tous les propriétaires de comptes en banque en paix et en joie à administrer différemment leurs porte-monnaie.
La première incitation consiste à ne pas laisser à droite et à gauche des chèques en blanc de haine ou d’inquiétude, car ils nous mettent dans une situation permanente de surendettement (….).
La deuxième incitation du Seigneur est remarquable, puisque Dieu a décidé que tous ceux qui veulent bien lâcher prise et lui faire confiance, reçoivent une option dans leurs services bancaires, qui est bien mieux que toutes les offres — scandaleuses, soit dit en passant — de découvert. Dieu prend à sa charge (pour vous qui voulez bien vous confier en lui) tous vos découverts sur vos comptes en banque en paix et en joie. C’est formidable, non ? En réalité, ce n’est pas un puits sans fond, car normalement, dès la première fois où Dieu règle la différence et nous remet dans le positif, nous héritons en même temps d’une soudaine lucidité de gestion qui nous permet de ne plus administrer bêtement nos ressources, et nous mettons fin définitivement aux pratiques dispendieuses que sont la rancune, l’animosité, la malveillance, et la colère.
Ce qui est grave, donc, d’après la parabole de Jésus, ce n’est pas le fait que Dieu ait à dépenser des mille et des cents pour nous désendetter, au début de tout ce processus, mais c’est notre inconséquence par rapport à ce désendettement massif et soudain. Car aussitôt que Dieu nous libère d’un passif dont nous n’aurions jamais pu nous tirer sans sa clémence et sa douceur, nous nous sentons tout légers et nous retournons à des modes de fonctionnement qui sont ceux du monde et non ceux du Royaume. Nous oppressons les autres pour fêter la fin de notre propre sentiment d’oppression… La loi du Royaume de Dieu consiste à briser la dette, quoi qu’il en coûte, quoi qu’il en coûte à Dieu, et pour mes affaires à moi, quoi qu’il m’en coûte. Si je ne brise pas la dette, si je ne déchire pas les chèques en blanc que les autres me font en m’agressant, j’échappe à la législation du Ciel, à sa jurisprudence et à ses codes.
La conséquence est simple : comme déjà signifié en introduction, si vous êtes citoyens du Royaume, vous savez que la loi du Royaume est une loi du pardon. Si vous ne vivez pas cette loi du pardon, vous quittez la compétence du Royaume, et on vous remet sous la loi du monde. Et vous aurez à en tirer les conséquences. « Voilà ce qui vous arrivera si vous ne pardonnez pas de tout votre cœur ». Ce qui vous arrivera, c’est que vous serez remis, tout simplement, à la seule compétence du monde, y compris pour les affaires spirituelles. Et le monde est régi par la compensation et la rétribution, je l’ai déjà dit : pour toutes vos haines et vos ressentiments, vous serez accablés, sans espérance et déçus. Pour toutes vos amertumes vous serez dans l’atermoiement, le sentiment d’une culpabilité qui n’en finit jamais. En somme pour tous vos non-pardons et parce que c’est vous qui refusez de briser la logique de la dette, parce que c’est vous qui refusez que se déploie la compétence du Royaume dans votre vie, vous serez endettés, débiteurs, sans cesse redevables des agios exponentiels de la rancœur qui s’installe au fond du cœur comme un horizon inéluctable.
Considérez le projet de Dieu. Vous avez envie de continuer à vous culpabiliser sans fin ? Vous êtes très attirés par la bile qui marine dans votre cœur et y laisse des ulcères acides ? Vous avez un goût certain pour les regrets et le sentiment de ne jamais y arriver ? Vous aspirez à une vie terne et repliée sur elle-même ? Vous sentez un désir qui pointe de vous complaire dans la morgue et les sentiments funestes ? Eh bien, désormais, vous savez quoi faire. Surtout, ne pardonnez pas. Vous ne serez pas déçus…(4)
Pour reprendre l’exemple cité plus haut avec Nicolas Sarkozy, certes, « nous ne sommes pas dans sa tête » et « c’est Dieu qui sait » (le concernant), mais vu sa présence en tant qu' »invité exceptionnel » au JT de TF1 (03/03) pour se justifier, deux jours après sa condamnation, continuant à manifester un « esprit de victime » et vu sa volonté passée d' »en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi » et « une mode exécrable »(5), alors que l’Evangile nous exhorte à manifester « des fruits de la repentance » (Matt.3v8, Luc 3v8, cf Actes 26v20 et Eph.5v8-9…), l’intéressé témoigne-t-il d’être réellement dans « le projet de Dieu » ? Dans le cas contraire, y entrer vraiment est ce que nous pouvons lui souhaiter de mieux, après s’être mis en règle avec la justice des hommes !
Notes :
(1) En comparaison, un trafiquant de drogue est condamné à 10 ans de prison ferme https://www.20minutes.fr/justice/2956647-20210119-grenoble-dix-ans-prison-encontre-trafiquant-drogue-lyonnais
(2) Les détails de l’affaire sur https://www.dalloz-actualite.fr/flash/affaire-bismuth-ecoutes-au-coeur-de-condamnation#.YD91DWhKgdU ; Voir aussi https://www.liberation.fr/checknews/2017/11/27/parmi-les-anciens-chefs-d-etats-de-la-ve-republique-lesquels-n-ont-jamais-eu-affaire-a-la-justice-me_1652791/
(MAJ 24/05/23 : Condamné le 17 mai 2023 en appel à trois ans de prison, dont un ferme à domicile sous bracelet électronique, pour corruption et trafic d’influence, Nicolas Sarkozy a annoncé se pourvoir en Cassation).
(3) Cf https://www.liberation.fr/politique/sarkozy-condamne-la-justice-nest-pas-moins-laxiste-ce-sont-les-lois-qui-ont-evolue-20210301_TAGOOZLGUZFLLHFJMFYQ2FF3WM/ ; Voir aussi https://theconversation.com/le-proces-sarkozy-montre-aussi-comment-letat-se-preserve-des-affaires-nefastes-a-son-economie-156423 ; et sur la question d’une « justice à deux vitesses », qui serait « clémente envers les puissants » : https://www.franceculture.fr/droit-justice/la-justice-est-elle-moins-severe-pour-les-puissants
Voir aussi, ces commentaires de l’étranger :
Dans un éditorial, El Pais salue la “condamnation exemplaire” rendue contre l’ancien chef d’État. Elle illustre la vigueur de la séparation des pouvoirs dans la démocratie française, selon le quotidien espagnol. https://www.courrierinternational.com/article/vu-despagne-nicolas-sarkozy-condamne-la-democratie-renforcee
Nicolas Sarkozy condamné à trois ans de prison, c’est une information qui a fortement interpellé outre-Rhin. Un éditorialiste de la Süddeutsche Zeitung lui trouve même quelque chose de “révolutionnaire” quand on connaît le système politique hexagonal : un système présidentiel “qui conserve des caractéristiques fondamentalement monarchiques définissant le tempérament politique national : dirigiste, centralisé et, à certains égards, absolutiste”.
Ici, affirme la SZ, la politique “repose sur la personnalité du président de la République, qui doit être à la fois une figure lumineuse et un père attentionné pour ses concitoyens. L’idée que cette conception invite à toutes sortes d’abus, qu’elle repose sur la force de caractère individuelle qui peut donc être corruptible, appartient au contrat implicite que les électeurs passent tous les cinq ans avec leur président-monarque.”
Tous les présidents font l’objet de soupçons, explique le journaliste. Mais dans le cas de Nicolas Sarkozy, “qui aimait à peu près autant les magouilles qu’il redoutait la lumière [sur ces mêmes magouilles]”, ce pacte a franchement raté.
Et c’est ici que l’importance du verdict prend tout son sens. Le fait que l’ancien président soit traité aujourd’hui comme un citoyen ordinaire devant la justice est la preuve, pour le quotidien, que “l’enquête a enfin été menée à l’abri des influences politiques”. Car si la France est un État de droit, elle est aussi marquée par “une forme de justice parallèle où les juges sont davantage soumis aux injonctions politiques que leurs confrères allemands, ce qui a plus d’une fois fait douter de leur impartialité”.
Et la Süddeutsche Zeitung de conclure : Cette condamnation donne non seulement des sueurs froides à l’ensemble de la classe politique française, mais elle ébranle aussi l’élitisme et l’absolutisme qui caractérisent l’appareil politique et les rapports de force dans la société en général. Deux ans après l’apparition des ‘gilets jaunes’ et un an avant la prochaine élection présidentielle, la pression monte dans la République.” Vu d’Allemagne. La condamnation de Sarkozy, une révolution dans une France “monarchique” et élitiste
(4) D’après une prédication de Gilles Boucomont, le 30/07/06 http://1001questions.fr/aunomdejesus/pardonner-3-le-non-pardon/
(5) Déclaration faite dans un certain contexte : Dans son tout premier discours de président élu, au soir de l’élection, le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy déclarait vouloir « en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi », dénonçant lors de sa campagne « la repentance, mode exécrable à laquelle (il demandait) de tourner le dos », fustigeant la « concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres ». https://www.vie-publique.fr/discours/166432-declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-lump-et-candidat-lel ; https://www.challenges.fr/monde/memoire-repentance-quatre-presidents-quatre-postures_255175
De là ce commentaire de l’époque d’un lecteur de La Croix : « comment peut-on être à la fois sarkozyste et adepte du Christ dès lors que, selon Marc (1-15), « Jésus proclamait en Galilée en ces termes la Bonne Nouvelle venue de Dieu : (…) Repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » ? Le Catéchisme de l’Église catholique, quant à lui, utilise expressément le terme de repentance. Il précise que « par le baptême, le chrétien est sacramentellement assimilé à Jésus. (…) Il doit entrer dans ce mystère d’abaissement humble et de repentance. » Enfin, Jean-Paul II, l’un des principaux adeptes de cette « mode exécrable » de la repentance, proclamait en 1994 que « reconnaître les fléchissements d’hier est un acte de loyauté et de courage qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d’aujourd’hui et nous prépare à les affronter. »https://www.la-croix.com/Archives/2007-06-07/Au-soir-des-elections-dans-son-tout-premier-discours-de-president-elu-Nicolas-Sarkozy-a-ete-tres-clair-Je-veux-en-finir-avec-la-repentance-qui-est-une-forme-de-haine-de-soi.-Deja-au-cours-de-la-campagne-il-avait-denonce-la-repentance-mode-execrable-a-laquelle-je-vous-demande-de-tourner-le-dos.-_NP_-2007-06-07-293230