
« Je ne peux pas vous porter à moi tout seul [rappelle Moïse au peuple] : le SEIGNEUR votre Dieu vous a rendus nombreux, et voici que vous êtes aujourd’hui aussi nombreux que les étoiles du ciel. Que le SEIGNEUR, le Dieu de vos pères, vous multiplie encore mille fois plus, et qu’il vous bénisse comme il vous l’a promis : comment, à moi tout seul, porterais-je vos rancœurs, vos réclamations et vos contestations ? Amenez ici, pour vos tribus, des hommes sages, intelligents et éprouvés ; je les mettrai à votre tête. » Et vous m’avez répondu : « Cette chose que tu nous dis de faire est bonne. » J’ai donc pris vos chefs de tribu, des hommes sages et éprouvés, et j’en ai fait vos chefs : des chefs de millier, de centaine, de cinquantaine, de dizaine, et des scribes, pour vos tribus. Alors j’ai donné des ordres à vos juges : « Vous entendrez les causes de vos frères, et vous trancherez avec justice les affaires de chacun avec son frère, ou avec l’émigré qu’il a chez lui. Vous n’aurez pas de partialité dans le jugement : entendez donc le petit comme le grand, n’ayez peur de personne, car le jugement appartient à Dieu. Si une affaire vous paraît trop difficile, soumettez-la-moi, et je l’entendrai. » Et alors, je vous ai donné des ordres sur tout ce que vous aviez à faire. (Deut.1v9-18)
« Un pays où les juges sortent dans la rue pour manifester est un pays où toutes les lignes ont été franchies ».
Ce pays est Israël au XXIe siècle et la personne qui tient ces propos connaît bien la question puisqu’il s’agit d’Ayala Procaccia, ancien juge de la cour suprême.
Ce dernier était présent parmi les 80 000 personnes rassemblées sur la place Habima, à Tel Aviv, samedi soir dernier, pour manifester contre le controversé projet de réforme de la justice voulu par le gouvernement de Benyamin Netanyahou.
Un événement que vous avez peut-être « vu passer », à moins qu’il ne vous ait complètement échappé.
En effet, depuis son investiture il y a deux semaines, le gouvernement de coalition très marqué à (l’extrême-)droite de Netanyahou (il rassemble son parti, le Likoud, et ses alliés suprémacistes juifs et ultraorthodoxes) “s’est embarqué dans une série d’initiatives législatives”, note le Washington Post cité dans Courrier international(1). « Le camp au pouvoir parle de corriger des déséquilibres dans les trois branches du gouvernement »(sic). Mais, précise le quotidien américain, « les critiques disent que ces mesures s’apparentent à un coup d’État qui détruira le système de séparation des pouvoirs, sauvera Netanyahou de l’inculpation dans trois cas de corruption et encouragera ses partenaires extrémistes religieux à mettre en avant des législations soutenant l’expansion de colonies juives en Cisjordanie ».
La réforme comprend entre autres, indique le quotidien israélien Haaretz, autre source de Courrier international(1), l’introduction d’une clause « dérogatoire » permettant au Parlement, de passer outre une décision de la Cour suprême avec un vote à la majorité simple, et la modification du processus de nomination des juges, qui devront entre autres être désignés par des responsables politiques. D’où les manifestations pour dénoncer ce projet, car, en l’absence de Constitution, la Cour suprême, plus haute juridiction israélienne, fait office de garde-fou du pouvoir politique et se pose en garant des libertés individuelles. Son rôle est d’autant plus important lorsqu’un bloc politique détient une majorité nette au Parlement, comme c’est le cas à la suite des dernières élections(1).
A ce sujet, qu’en dit la Bible ?
Le premier chapitre du livre du Deutéronome, cité en en-tête de cet article, nous révèle que la première instruction, de ce qui peut être considéré comme le testament de Moïse, concerne l’instauration d’un système judiciaire. La condition la plus importante d’une vie en société est que les différends puissent être réglés, non pas selon « la loi du plus fort », mais selon les critères de la justice.
Pour rendre une justice équitable, prévoit Moïse, ces juges doivent être « sages, intelligents et éprouvés (ou « connus ») cf le v15.
« Etre sage », c’est savoir que l’on ne sait pas et reconnaître lorsqu’une affaire est hors de sa compétence (à l’instar de Moïse lui-même en Nombres 27v5); c’est aussi ne pas se laisser guider par la passion et toujours rechercher l’intérêt général.
« Etre intelligent », c’est être capable de lire entre les lignes (d’un discours ou d’un événement).
« Etre éprouvé » (ou « connu »), c’est avoir bonne réputation auprès de ses proches et de ses voisins, témoigner de son intégrité et de sa fiabilité.
Autre exigence : Les juges ne doivent pas faire preuve « de partialité dans le jugement » (à l’instar de Dieu lui-même en Deutéronome 10v17. Comp. avec Jacques 2), entendant « le petit comme le grand » (cf Lévitique 19v15) et sans avoir « peur de personne, car le jugement appartient à Dieu ». Au moment de juger et à mille lieux du « juge inique » de la parabole des Evangiles, le juge doit avoir conscience qu’il se tient devant le Dieu de la justice. Et qui craint Dieu ne peut craindre autre chose.
Au final, nommer de tels juges est tout « ce qui reste à faire » au peuple (Deut.1v18).
La nomination des juges (voir aussi Exode 18v13-27), ainsi que des prêtres (Exode 29 et Lévitique 8) et des anciens (Nombres 11v16), correspond à une première séparation des pouvoirs entre le judiciaire, le religieux, et le politique.
C’est ainsi qu’un peuple libre est un peuple qui honore la justice et dont les institutions reposent sur cette claire séparation (et distinction) des pouvoirs.
Pour Montesquieu « le bon régime » n’est pas nécessairement républicain ni monarchique, il est nécessairement modéré, c’est-à-dire qu’il est partagé, à la différence du tyran qui concentre tous les pouvoirs entre ses mains. Ce n’est pas un hasard si la démocratie au sens moderne du terme s’est d’abord développée dans les pays de tradition judéo-chrétienne(2).
Notes :
(1) Voir https://www.courrierinternational.com/article/israel-80-000-personnes-contre-la-reforme-de-la-justice-en-israel-un-pays-ou-meme-les-juges-manifestent et Israël: une réforme de la justice à venir qui bouscule l’équilibre des pouvoirs
(2) D’après La Bible. Le Pentateuque/1. Commentaire intégral verset par verset, par Antoine Nouis. Olivétan/Salvator, 2021, pp 527, 618-620.
Voir aussi :