Depuis mercredi 26/02, François Fillon, son épouse Pénélope, ainsi que son ancien suppléant parlementaire Marc Joulaud, sont jugés jusqu’au 11 mars, à des degrés divers, pour détournement de fonds publics [un million d’euros] par personne chargée d’une mission de service public, complicité et recel de ce même délit, complicité et recel d’abus de bien sociaux et déclaration mensongère aux obligations déclaratives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Des faits révélés par Le Canard enchaîné le 25 janvier 2017.
François Fillon est accusé d’avoir rémunéré son épouse comme collaboratrice parlementaire alors qu’elle n’exerçait pas de réelles fonctions, selon l’accusation. Voilà pour ce premier scandale.
Mais en marge du procès Fillon, « l’autre scandale [ce qui est une occasion de chute], celui qui est avéré ». selon Patrice de Plunkett, est le « soutien de (dizaines de) milliers d’électeurs catholiques (1) – et en tant que catholiques ! – à la candidature Fillon….». Un tel soutien dénote d’une « pathologie intellectuelle et morale qu’il serait urgent de soigner », tacle sévèrement le journaliste catholique.
Et du côté protestant-évangélique ?
A l’époque, « il n’y a pas eu de rejet massif de Fillon chez les protestants (20 % des votes), qui ont voté dans la même proportion que le vote national….» mais dans une proportion moindre que le vote catholique, comme l’analyse l’historien Sébastien Fath sur son blogue. Comme tente de m’en persuader un mail très orienté de la part d’une connaissance, reçu le 21 avril 2017, Fillon est même LE candidat censé « se rapprocher le plus de ce que recommande la Parole de Dieu », soit disant parce qu’il ne faut pas « lui jeter la première pierre » et parce que « les choses compliquées finissent par être simplifiées par la Parole de Dieu et le désir de s’y conformer ».
Mais en quoi ce vote était-il aberrant de la part de chrétiens, qu’ils soient catholiques ou protestants, me demanderez-vous, en écho à la question que pose Patrice de Plunkett ?
Le vote Fillon est déjà en soi aberrant pour les chrétiens protestants et catholiques, du fait premièrement des positions et votes du candidat Fillon sur le plan de « l’éthique privée ». Nous en avions alors parlé le 10 mars 2017 sur pep’s café. Si François Fillon s’est déclaré personnellement hostile à l’IVG, il a assuré ne pas vouloir remettre en cause ce droit ; et s’il a toujours assumé son opposition au mariage pour tous et à l’adoption par les couples de même sexe, il ne souhaite pas non plus remettre en cause la légalisation du « mariage pour tous »(2).
Sur le plan économique et social, le programme du candidat Fillon – par ailleurs qualifié par Sébastien Fath de « robuste et très travaillé », placé sous la « bannière réformiste du courage politique »– est d’inspiration « Thatchérienne », comme me l’a expliqué un abonné à notre blogue : « Fillon est un libéral qui veut mener une politique axée sur l’offre qui dégonfle le poids de l’État dans l’économie, diminue la pression fiscale sur le patronat et les grandes entreprises qu’il compense avec la taxation indirecte (TVA) et la flexibilité du travail, lesquelles n’améliorent pas le pouvoir d’achat des ménages, consacrent la précarisation de l’emploi (en visant moins de chômeurs mais plus de travailleurs pauvres) ni ne protègent assez les travailleurs des catégories populaires contre les licenciements abusifs. Sa base électorale est restreinte puisqu’il a visé durant les primaires de la droite et du centre les seniors de la bourgeoisie d’affaire et les CSP+ ». D’autre part, le même internaute précise que, « en rupture avec le gaullisme social », Fillon est aussi « un européiste qui prend opportunément une posture gaullienne et défend des idées chrétiennes conservatrices (“la manif pour tous”) ». Sauf qu’ « il a négligé pour l’instant le volet social, pourtant décisif pour espérer l’emporter en 2017, et qu’une partie de son électorat catholique, en théorie attaché aux valeurs de partage et de justice, a, semble-t-il, curieusement – et l’on peut espérer momentanément – perdu de vue ». Signalons enfin que le candidat Fillon souhaitait « supprimer de notre Constitution » le principe de précaution (pourtant intégré en 2005, par Jacques Chirac alors que la droite était majoritaire au Parlement) estimé « dévoyé et arbitraire », pour mieux, selon lui « emprunter les voies de l’innovation et du progrès scientifique, ne pas renoncer aux projets d’avenir au nom du principe de précaution, qui sert aujourd’hui de prétexte à l’inaction ».
Il est en effet curieux de voir « perdu de vue » ces valeurs bibliques de partage et de justice, du côté des chrétiens, au moment du vote. Etonnement partagé dans cet article du 12 février 2017 signé d’Eve Charrin, et paru dans un journal non chrétien : Programme du « chrétien » Fillon : Jésus était-il ultralibéral ? « Posons une question candide, une question de fond qui survivra aux soubresauts de la campagne présidentielle : comment le catholicisme bon teint d’une bonne part de l’élite française peut-il s’accommoder de tant d’enthousiasme pour une réforme libérale “radicale” ? Comment croire avec une égale ferveur au Christ et au marché ? Par quelles voies impénétrables concilier les valeurs de l’Evangile avec celles du Medef, la doctrine sociale de l’Eglise et le catéchisme néo-thatchérien de la dérégulation ? La contradiction reste solidement enracinée (….) en vérité, le programme de Fillon ne paraît pas très catholique ! [et même plus généralement bien peu chrétien] Car, face à la détérioration de l’environnement, face au creusement des inégalités, « il faut éviter une conception magique du marché qui fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par l’accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus ». Les lignes qui précèdent n’ont pas été écrites par Jean-Luc Mélenchon, mais bien par le pape François dans sa dernière encyclique Laudato Si’ publiée en juin 2015. De fait, «le principe de la maximalisation du gain, qui tend à s’isoler de toute autre considération, est une distorsion conceptuelle de l’économie», insiste le souverain pontife, qui dénonce à l’envi « l’argent idole », ce « fumier du diable », et fustige «l’emprise absolue des finances». Des propos révolutionnaires de la part du jésuite argentin… », dont « les propos développaient une position magistérielle (constante et croissante) de l’Eglise catholique depuis Léon XIII », souligne Patrice de Plunkett : « position actualisée, et exprimée de façon plus percutante, par le “jésuite argentin”.(….) Alors la question est : pourquoi cette position reste-t-elle théorique ? Autrement dit : de quel droit les catholiques de la droite libérale (nombreux parmi les catholiques français) se permettent-ils de tourner le dos à la position socio-économique du Magistère ? » (3)
Du côté protestant-évangélique, le décalage sera avec la pensée biblique, pour ne pas parler de la doctrine sociale de l’Eglise (catholique), sachant que plus de 2000 versets traitent des questions d’équité et de justice.
A ce scandale de la contradiction avec la pensée biblique, s’ajoute le scandale du « deux poids deux mesures » (en horreur à l’Eternel) et de la justice à deux vitesses, tout aussi contradictoire avec la pensée biblique : en témoignent Prov.11v1, 20v10, 23 ; Lévit.19v35-36 et Deut.25v13-16.
En guise d’illustration, ce fait éloquent : en mars 2017, une connaissance me transmet par mail ce qui m’est présenté comme étant « une analyse claire, pragmatique et…spirituelle ». Si « je suis d’accord », je suis « encouragé » à faire ce que l’auteur « préconise » et, bien sûr….. « à partager cet article à (tous) mes contacts ». Mais en lieu et place d’une « analyse claire et spirituelle » [on y cherche en vain une seule citation/référence biblique pour justifier si ladite action est « spirituelle » ou non], ce texte stupéfiant aux accents de panique du blogueur évangélique Nicolas Ciarapica, publié le 3 mars 2017 sur le site « Infochrétienne », se voulant « un appel solennel aux chrétiens de France, ainsi qu’aux amis de la France », tente de justifier « pourquoi (il) estime qu’il est URGENT de prier »…..non pas pour que la justice et la vérité éclatent, mais « pour que le candidat François Fillon [alors en pleine tourmente judiciaire] reste en lice [coûte que coûte] – quelles que soient nos opinions politiques – et pour qu’il puisse poursuivre sa campagne en vue du premier tour de l’élection présidentielle du 23 avril prochain ». Pour l’auteur de ce manifeste, il serait donc légitime de faire pression sur la justice et de remettre en question son indépendance, en faisant entrave au bon déroulement d’une enquête, au nom de considérations partisanes. Il est stupéfiant de lire un tel appel à la compromission avec la vérité et la justice.
Au final, les « prêtres de l’Eternel » que sont les chrétiens seront donc bien inspirés de se souvenir constamment que « la justice et la droit » constituent « la base du trône » de l’Eternel et que « marchent devant Lui l’amour/la fidélité et la vérité » (Ps.89v15).
En toute logique, le chrétien « biblique » laissera tomber toutes les postures identitaires et partisanes pour suivre ce commandement divin : « Tu ne commettras point d’iniquité dans tes jugements : tu n’auras point égard à la personne du pauvre, et tu ne favoriseras point la personne du grand, mais tu jugeras ton prochain selon la justice » (Lévit.19v15) ; « Vous ne commettrez point d’iniquité ni dans les jugements, ni dans les mesures de dimension, ni dans les poids, ni dans les mesures de capacité. Vous aurez des balances justes, des poids justes, des épha justes et des hin justes. Je suis l’Éternel, votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d’Égypte. »(v35-36) « L’Eternel est juste dans toutes ses voies et bienveillants dans toutes ses oeuvres »(Ps.145v17) ; Il « fait droit aux opprimés »(Ps.146v7)-c’est à dire qu’Il entend leurs cris et considère que leurs plaintes « pèsent » suffisamment pour être intervenir en leur faveur. De là cette exhortation – adressée à un roi – dans Proverbes 31v8-9 : « ouvre ta bouche pour le muet, pour la cause de tous les délaissés. Ouvre ta bouche, juge avec justice et défends le malheureux et l’indigent. »
Sans oublier que la « culture de vie » ne se limite pas à condamner l’avortement et l’euthanasie. Etre « pro-vie » n’est pas insister davantage et seulement sur les deux extrémités de l’existence terrestre au point d’occulter tout ce qu’il y a entre deux, c’est-à-dire, en l’occurrence, des millions de citoyens vivants, comme le souligne Philippe Malidor, journaliste à Réforme, auteur et traducteur (4) : « Quid de la justice, de l’équité, de l’honnêteté en affaires, de la santé, de l’emploi, de l’éducation, de la morale publique, du droit d’opinion et de religion ? »
Notes :
(1) Plus de la moitié des catholiques pratiquants réguliers (55%) ont voté pour le candidat Les Républicains au premier tour de l’élection présidentielle, dimanche 23 avril.
(2) François Fillon, qui se dit catholique bien qu’« à la pratique irrégulière », déclare croire au « caractère sacré de la vie » (Faire, Albin Michel, 2015, p. 269) tout en défendant la légalisation de l’avortement : « J’ai voté tous les textes qui voulaient améliorer l’accès pour les femmes à l’IVG, y compris le dernier qui était proposé par la gauche. » (Europe 1, 23/11/16) Plus exactement, il a voté contre le remboursement par l’Assurance maladie (1982), la création du délit d’entrave (1993), l’allongement du délai à douze semaines de grossesse (2001), la suppression du délai de réflexion (2016), mais s’est abstenu sur la suppression de la notion de détresse (2014) et a voté pour la résolution réaffirmant le droit fondamental à l’IVG en France et en Europe (26 novembre 2014) alors que la majorité des députés n’a pas pris part au vote (151 votants sur 577 députés). Et il ne s’est par ailleurs pas opposé au projet de loi « pour l’égalité entre les hommes et les femmes » (28 janvier 2014), qui a renforcé le droit à l’avortement, en créant notamment un déli d’entrave tant « matérielle » que «psychologique». M. Fillon n’en est pas excommunié pour autant, mais ses positions le placent dans une situation problématique.
(3) Voir aussi https://pepscafeleblogue.wordpress.com/2016/11/23/pourquoi-la-question-des-valeurs-comme-critere-de-vote-est-une-notion-piegee/
(4) Paru dans « Si j’étais président… – Le sel du scrutin présidentiel », Publié le 16/02/2012. Voir aussi ces pistes pour étudier l’économie sous un angle chrétien.