Des nouveaux dégâts de lectures « en diagonale » et idéologiques

Incroyable mais vrai : fin mai, une école élémentaire de Miami Lakes, en Floride, a limité l’accès des élèves à un poème d’Amanda GormanThe Hill We Climb [« La colline que nous gravissons », Fayard, 2021. Edition biblingue), texte lu par son auteure lors de l’investiture du président américain Joe Biden, le 20 janvier 2021.

Selon le Miami Herald, le texte avait fait l’objet d’une plainte déposée par une certaine Madame Daily Salinas, mère de deux élèves de l’école, en mars dernier, sous prétexte qu’il ne serait « pas pédagogique » et contiendrait « un message de haine indirect», engendrant « de la confusion et (endoctrinant) les élèves », dans un État, la Floride, où les retraits et censures d’ouvrages dans les bibliothèques publiques et scolaires se multiplient.

Pourtant, Madame Salinas reconnaît ne pas avoir lu dans son intégralité l’ouvrage d’Amanda Gormanpas plus qu’elle n’a sérieusement lu d’autres livres incriminés de la même manière (des livres pour enfants sur le poète noir Langston Hughes et sur l’histoire des Noirs et des Cubains), sous prétexte que d’autres « doivent les lire à (sa) place parce (qu’elle n’est) pas une experte », qu’elle n’est « pas une lectrice » et « pas une personne qui aime les livres. Je suis une mère qui s’occupe de l’éducation de ses enfants. »

Et puisque l’on parle d’éducation, plusieurs mois avant qu’elle ne persuade une école locale de restreindre l’accès à ce poème d’Amanda Gorman, cette mère de famille publiait des mèmes antisémites sur sa page Facebook.

Le Miami Herald n’a pas mentionné l’activité de Daily Salinas sur les réseaux sociaux. Mais après la publication de l’article à son sujet, le groupe « Miami Against Fascism » a attiré l’attention sur un compte Facebook qu’il a identifié comme étant le sien. Le compte, que la Jewish Telegraphic Agency (JTA) a examiné, contient un flot de messages politiques reflétant les idéologies d’extrême-droite – et un résumé des Protocoles des Sages de Sion, le célèbre manifeste antisémite écrit il y a plus d’un siècle en Russie. Un texte que cette maman, pourtant soucieuse de l’éducation de ses enfants, n’avait pas estimé « non pédagogique », contenant « un message de haine direct», de nature à engendrer « de la confusion et à endoctriner ». En réalité, comme elle l’a reconnu, elle ne l’avait pas lu (décidemment !) au-delà du mot « communisme » mentionné dans le texte. « J’ai vu le mot ‘communisme’ et j’ai pensé qu’il s’agissait de quelque chose à propos du communisme », a-t-elle déclaré. « Je n’ai pas lu le reste. »

Non, ce n’est pas là un gag du Gorafi. Verra-t-on bientôt l’appel à la censure de la Bible, sous prétexte d’y lire le passage suivant «  aucun d’eux ne disait que ses biens étaient à lui seul, mais ils mettaient en commun tout ce qu’ils avaient » (Actes 4v32) et de penser qu’il s’agit « de quelque chose à propos du communisme », sans avoir lu le reste ?

Contactée par la JTA mercredi 24 mai, Daily Salinas a confirmé que la publication sur les « Protocoles » était bien la sienne et a tenu « à (s)’excuser auprès de la communauté juive », « Je ne suis pas ce que dit le message. J’aime la communauté juive », a-t-elle alors déclaré  à la Jewish Telegraphic Agency. Sauf que Salinas s’excuse pour l’une de ces choses (la publication et le partage d’un manifeste antisémite) – mais pas de l’autre (l’appel à la censure d’un livre mal lu). Mais « s’excuser » n’est pas se repentir. « S’excuser », c’est se justifier.

Madame Salinas a beau s’émouvoir à la pensée d’être cataloguée « antisémite » pour avoir partagé l’article sur les « Protocoles », et se justifier de ne pas l’être, puisque « chrétienne », ayant des amis juifs, étant « fan d’une série israélienne Netflix » (sic), avant de supprimer le message litigieux après son entretien à la JTA, le mal est fait. Car pour un post Facebook supprimé, combien de partages ?

Le fil d’actualité de son compte Facebook reflète le type de mèmes de droite qui continuent à largement circuler, bien que Madame Salinas ait déclaré à la JTA qu’elle ne postait pas tout ce qui s’y trouvait. Le groupe « Miami Against Fascism » a également partagé une vidéo de Dailly Salinas avec les Proud Boys, un groupe d’extrême-droite ayant des liens avec des activistes antisémites, ainsi qu’une vidéo de sa participation à une manifestation du conseil scolaire l’an dernier avec « Moms For Liberty », un groupe de « droits des parents » actif dans la promotion des suppressions de livres à travers le pays. Ces groupes ont joué un rôle déterminant dans l’application des lois signées par le gouverneur de Floride, Ron DeSantis (candidat à la prochaine élection présidentielle américaine), qui permettent aux parents de contester la présence de n’importe quel livre dans les bibliothèques scolaires, sur la base d’un seul signalement. Dans certains cas, ces contestations ont conduit au retrait de livres sur la Shoah dans les établissements scolaires [tel le roman graphique d’Ari Folman et David Polonsky, adaptée du Journal d’Anne Frank ou « Maus », d’Art Spiegelman] et la culture juive. Au cours de ce mois de mai, un manuel et un cours en ligne évoquant l’Holocauste ont ainsi été retoqués par l’administration, sous prétexte qu’ils abordaient des « sujets particuliers », relatifs à la « justice sociale » et à la « théorie critique de la race », des thématiques que la loi condamne.

Une autre loi, « la HB 241 » (début 2023), offre aux parents d’élèves des possibilités d’intervention plus larges dans les programmes des établissements scolaires de l’État. Et expose les bibliothécaires comme les enseignants aux plaintes des parents d’élèves, notamment vis-à-vis de certaines lectures.

Des lois aux effets catastrophiques sur la libre circulation des idées et des opinions, voire sur la possibilité d’enseigner sereinement des événements historiques.…initiées par des groupes qui déclarent militer…pour la liberté !

Lire en diagonale, une solution de facilité qui mène dans l’impasse ! (Source image : public domain pictures)

Dans ce contexte – qui rappelle celui propre au Brésil – s’inscrit ce « cas d’école » instructif quant aux motifs de publication et de diffusion d’un texte, comme d’un appel au retrait d’un autre – dans notre cas, l’un et l’autre sans rapport avec leur contenu qui n’a pas été lu (ou alors mal lu – c’est tout comme). La faute à une « lecture en diagonale », avec des lunettes idéologiques, assortie de la promesse suivante : celui qui cherche trouve toujours.

L’on peut certes comprendre toute la légitimité des préoccupations des parents, soucieux du respect de la liberté de conscience de l’élève et de l’éducation qu’ils donnent à leurs enfantsAlors oui, il est aussi légitime de concevoir qu’en éducation et lecture, tout n’est pas approprié pour tout le monde et pour tous les âges. L’équilibre est délicat. Sauf qu’une bonne intention de départ peut s’avérer pervertie et perverse une fois radicalisée et poussée à l’extrême dans un mouvement digne d’une nouvelle « police de la pensée » obsédée par « la souillure ».

Ce mouvement provoque en effet une judiciarisation des rapports enseignants-bibliothécaires-parents, nourrissant un climat de peur et de méfiance mutuelle, et porte atteinte à l’autorité des enseignants, remettant en question leur droit constitutionnel à exercer leur liberté pédagogique. En conséquence, du fait de l’interdiction d’aborder certains sujets en classe [tels que liberté et orientation sexuelle, « genre »], justifiée pour protéger les enfants, et pour mieux combattre certaines idéologies sous-jacentes, il devient impossible de parler d’autres sujets, tels les droits des minorités et des femmes, le racisme, la Shoah, la violence, les inégalités/injustices.

Enfin, sous couvert de garantir le respect de tous dans l’enseignement, ce mouvement de censure favorise en réalité un nouvel endoctrinement à l’école [allant jusqu’à réécrire l’histoire et les manuels scolaires], sous prétexte d’en extirper un autre. D’autant plus qu’imposer de ne pas parler de certains sujets est déjà en soi un acte politique et idéologique ! 

Or, à l’inverse d’une telle conception « autoritaire » et « régressive » de l’éducation, laquelle fait de façon contradictoire « la promotion de l’endoctrinement à l’envers », l’école devrait être le lieu où l’on apprend à aimer la vérité et où l’on apprend à penser, pour penser par soi-même. Non seulement pour devenir un être responsable et autonome, mais aussi pour ne pas être fataliste face aux « horreurs » de notre histoire passée ou présente, que le petit d’homme va découvrir peu à peu en s’ouvrant au monde réel. Et non en s’enfermant dans un univers clos, fantasmé et idéalisé. L’école devrait aussi être un lieu de vie et d’apprentissage, où enfants et adultes apprennent à vivre réconciliés – avec eux-mêmes, les autres et leur environnement – bâtissant des relations de confiance, dans la paix et le respect.

Violences sexuelles et spirituelles, écologie : des ressources protestantes pour mieux prendre conscience des enjeux et agir

Violences sexuelles, écologie : des outils pour que chacun, au sein du protestantisme, se sente concerné par ces enjeux spirituels

Des réflexions et ressources utiles à partager dans deux domaines particuliers :

1) Violences spirituelles et sexuelles

Après le CNEF (Conseil National des Évangéliques de France), qui a mis en place quatre outils pour lutter contre les abus sexuels (1), la Fédération protestante de France (FPF) livre son analyse et ses propositions pour lutter contre les violences spirituelles et sexuelles dans le protestantisme, dans un rapport de la commission Ethique & Société, présenté lors de son Assemblée Générale des 28-29 janvier 2023.

Le rapport, intitulé « Les violences sexuelles et spirituelles. Constats, analyses, engagements et recommandations », part d’une réalité alarmante, dans un contexte où la parole des victimes se libère de plus en plus : les violences sexuelles touchent tous les milieux de la société et sont bien plus nombreuses qu’on ne le pensait. « Oui, il y a des victimes de violences sexuelles et spirituelles dans les Églises et associations protestantes » affirme Valérie Duval-Poujol, vice-présidente de la Fédération protestante de France.

C’est pour cette raison que le rapport s’ouvre sur quatre témoignages de victimes issues du monde protestant et dont les agresseurs sont tour à tour pasteur, conseiller presbytéral et responsable scout. Le texte se veut une aide pour les Églises locales, de sorte qu’elles appréhendent mieux ces violences et qu’elles puissent prendre des dispositions pour les prévenir et les traiter le cas échéant. 

La particularité du rapport de la FPF est de poser sur les violences sexuelles un regard biblique, théologique et éthique, d’autant plus que les viols sont très fréquents dans les récits de l’Ancien Testament. Quoique dans certains textes, il soit possible d’y « discerner une éthique narrative incitant à plus d’humanité ». C’est le cas de Juges 19 où le narrateur dénonce la cruauté des pervers, qualifiant l’agression « d’infamie » ; un terme aussi utilisé pour qualifier le viol de Dina en Genèse 34. Cette éthique narrative se retrouve également en 2 Samuel 13 racontant le viol de Tamar par son frère Amon. Le texte « constitue un avertissement : la doucereuse sphère familiale est un univers dangereux ». Dans le Nouveau Testament, des textes de Paul (1 Co 1) montrent que Dieu, en Christ, est « toujours aux côtés des plus faibles, des victimes de la cruauté et de la barbarie ». La FPF souligne que ce geste de Dieu est à entendre comme « un appel à écouter et protéger les victimes des violences sexuelles ». D’autres textes des épîtres « posent quelques jalons d’une éthique sexuelle » : la réciprocité dans les relations corporelles s’oppose par exemple au viol conjugal, tant fréquent aujourd’hui encore. De même, Éphésiens 5 « exige de l’homme un amour interdisant toute forme de harcèlement, d’agression ou de violence ».

L’Église doit se rappeler qu’il n’y a pas de profil-type pour un agresseur et que celui-ci niera toujours et jusqu’au bout les actes dont il est l’auteur. Ensuite, il faut éviter le plus possible les « situations à risque », par exemple quand un adulte se retrouve seul avec un enfant (ou un adulte) dont il a acquis la confiance, ou quand des enfants d’âges différents se côtoient – les plus jeunes pouvant être des victimes de plus grands.

Dans tous les cas, l’Église, et tout particulièrement son organe directeur, doit être attentif à certains « signes » : repli sur soi, mine triste, enfermement dans le silence, voire attitudes agressives contre soi (mutilations, anorexie, boulimie) ou contre les autres. Dans tous les cas, les victimes doivent pouvoir bénéficier d’une écoute bienveillante et montrant la confiance sans conditions que l’Église porte à leurs paroles.

La FPF « s’engage à travailler à la création d’une instance indépendante d’écoute et d’accompagnement des personnes victimes de violences en son sein ». Mais les Églises locales auront encore des mesures à prendre : encourager les parents de la victime (ou la victime elle-même) à porter plainte, demander à la personne mise en cause de s’abstenir de toute présence aux activités de l’Église pendant la durée de l’enquête. Si la culpabilité est avérée, le pasteur ou le cadre de l’Église doit être démis de ses fonctions et accompagné vers une reconversion.

Les victimes et leurs proches doivent être accompagnées tant psychologiquement que spirituellement. Le pasteur veillera à rester dans son champ : celui de la relation à Dieu, pour renouer avec la confiance en Lui, en soi et aux autres.

Mais l’agresseur doit être aussi accompagné : « l’affirmation, fondée sur la théologie de la justification, qu’il faut distinguer entre l’acte et la personne, s’applique aussi » à l’agresseur. Il doit donc pouvoir lui aussi bénéficier d’un accompagnement psychologique, social et pastoral(2). L’accompagnement pastoral vise la restauration de l’individu, et cela passe par un chemin de repentance et par une demande de pardon à la victime. 

Il est essentiel de rappeler que le pardon étant toujours un don, de Dieu à l’homme, ou d’un humain à un autre, il ne peut être ni exigé ni imposé. Mais le pardon étant don, il peut être donné à la victime de le poser alors même qu’elle pensait cela impossible, au-delà de ses forces. Et il est certain que la reconnaissance de la culpabilité de l’agresseur, par la justice d’une part et par l’agresseur lui-même, peut faciliter l’avènement de ce don.

D’après Éthique : les violences sexuelles dans le protestantisme – Regards protestants

Voir aussi https://www.protestants.org/articles/114663-la-fpf-sengage-contre-les-violences-sexuelles-et-spirituelles

Le rapport et les recommandations.

2) Sobriété énergétique : un guide pratique pour l’immobilier des paroisses et Églises locales

Autre ressource mise gratuitement à disposition par l’EPUDF : une brochure de 40 pages sur la sobriété énergétique des paroisses. Valable pour toutes les églises, ce document permet de mieux s’approprier les enjeux spirituels et écologiques pour agir à partir d’un cahier d’auto évaluation et de suivi. 

Ceci dit, certains objecteront peut-être : «Mais pourquoi l’Église s’occupe-t-elle de cela ? » Une question fréquente lorsque l’on aborde en Église les sujets de l’écologie, des changements climatiques, de la sobriété énergétique… Quoique sur la sobriété énergétique, le prix de l’énergie rende le sujet immédiatement pertinent pour tout trésorier ou trésorière de paroisse/d’église qui se respecte ! Mais si le moteur économique est légitime – puisque nous devons veiller à utiliser avec justesse les dons des membres de l’église – il n’est largement pas le seul à être pertinent. En effet, cette question – et les autres thématiques liées à l’environnement naturel dans lequel nous vivons – ont une dimension spirituelle importante, ce qui fait que les Églises ont quelque chose de spécifique à penser, à dire et à faire à ce propos.

Autre « question qui fâche » : Église « verte », conversion « écologique »… S’agit-il d’une démarche politique ? Certes, puisqu’elle concerne notre manière de vivre dans la « cité » (la racine « polis » de « politique »), mais elle est bien entendu non partisane. L’écologie, c’est avant tout l’oïkos, la « maison commune » ; elle n’appartient à aucun parti politique en particulier. Chacun peut et doit se sentir concerné par ces enjeux spirituels, quels que soient ses affinités, son engagement ou son non-engagement politique.

Découvrir la brochure ici.

Notes :

(1)Il s’agit d’un livret « Bonnes pratiques pour lutter contre les abus sexuels », disponible depuis 2021; d’une charte d’engagement pour lutter contre les abus sexuels ; d’une affiche « Ici nous luttons contre les abus sexuels », et d’une plateforme d’écouteStop abus

Sur la page d’accueil de son site internet, le service d’écoute se présente ainsi : « Stop abus est un service d’écoute créé à l’initiative des membres du Conseil National des Évangéliques de France (CNEF), à la disposition de toute personne, victime ou témoin de violences sexuelles au sein d’une structure, Église, union ou œuvre protestante évangélique. 

(2) Des structures spécialisées existent, telles les CRIAVS, pour accompagner les agresseurs sur le plan thérapeutique. Aux États-Unis, un mennonite a initié des cercles de soutien et de responsabilité (CSR), qui « ont montré leur efficacité, tant dans la lutte contre la récidive que dans la réintégration de l’agresseur dans une vie sociale et communautaire ». De tels CSR existent en France mais sont méconnus. La FPF pourrait contribuer à leur promotion.

Cahier biblique de Foi & vie : la métaphore pastorale revisitée

« Le pasteur ne peut être un bon berger que dans la mesure où, dominant son troupeau du regard, tout en assurant sa nourriture, il maintient l’ordre et l’harmonie, et veille à la sécurité«  (Source image : « le lapin bleu » de Coolus)

Dans un contexte de réflexion des Églises sur l’évolution des ministères (Pour une Église de Témoins, synode national ÉPUdF 2022), soulevant notamment la question de l’autorité dans les communautés, l’équipe de ce Cahier biblique de « Foi & vie »*, la revue protestante de culture, propose de soumettre à la réflexion la métaphore pastorale telle qu’elle est mobilisée dans l’Ancien et le Nouveau Testament, mais aussi telle qu’elle a pu se déployer par la suite.

Le Cahier parcourt ainsi une vaste fresque : avec l’origine nomade des premiers patriarches en filigrane, et non sans un rappel de David comme archétype du berger devenu roi, il dessine un parcours des interpellations des prophètes (Ézéchiel 34) aux ministres avec lesquels Paul s’entretient dans ses lettres pastorales, en passant naturellement par la réappropriation par Jésus de la métaphore telle qu’elle est mise en exergue dans la littérature johannique, mais présente différemment dans les synoptiques. Il n’oublie pas que, du livre des Juges aux « veuves » chargées d’enseignement dans les premières communautés chrétiennes, l’autorité a pu être reconnue aussi (mais bientôt contestée) à des femmes.

 Le pasteur ne peut être un bon berger que dans la mesure où, dominant son troupeau du regard (cf. en grec episur, et skopein, regarder, d’où le terme épiscopat), tout en assurant sa nourriture, il maintient l’ordre et l’harmonie, et veille à la sécurité. C’est en ce sens que la métaphore du berger a pu, au Proche-Orient ancien, symboliser une autorité royale légitime parce que bienfaisante, comme celle de David, par opposition aux mauvais rois qui malmènent leur peuple (André Wénin, Elena Di Pede). Quand la métaphore s’applique à Jésus, l’accent se déplace vers le troupeau en désarroi, les moutons, les « brebis perdues de la maison d’Israël » qui attendent un guide et un sauveur, et qu’à la fin de l’évangile johannique Pierre sera chargé de continuer à « paître » (Céline Rohmer).

Cette sémantique du berger permet alors d’étendre le regard au-delà de la métaphore pastorale, vers d’autres images qui combinent autorité et protection : ce sera la « mère en Israël » qu’est Déborah au livre des Juges, une femme capable de rendre la justice et de mener des guerres (Anne Létourneau) ; ou la paternité douloureuse de Paul, qui décrit son apostolat comme un accouchement de ses enfants, les membres des communautés qu’a suscitées son ministère (Mauro Belcastro).

Il est permis, à partir de là, de poursuivre la transhumance à laquelle invitent les bergers : ne sont-ils pas, chez Luc, à la fois les plus humbles et les premiers à adorer le Christ nouveau-né ? Dès lors, serait-il interdit aux enfants de s’identifier au berger plutôt qu’au mouton, désobéissant ou non (David Veldhuizen et Caron Vibert) ? On se rappelle aussi que des femmes qui adhérèrent à la foi de Paul, sous le nom de « veuves », semblent bien s’être elles aussi investies dans l’enseignement et la conduite des âmes, avant de se voir ramenées aux conventions sociales ordinaires, dès le second siècle de notre ère semble-t-il (Nicolas Cochand). Les ministres du culte eux-mêmes ne témoignent-ils pas, dès qu’ils livrent leurs doutes et leurs difficultés, qu’il leur arrive de se sentir autant brebis que bergers, confondus avec la communauté qu’ils desservent, sous la seule conduite du Maître (Natacha Cros-Ancey) ?

De là cette conclusion, qu’être en Église, quelque ministère qu’on assume, cela reste toujours une manière d’être en débat, tant au sein de la communauté que lors des discussions synodales de l’institution ecclésiale elle-même.

Un numéro à télécharger ci-dessus ou sur le site de Foi & Vie, ou article par article.

Bonne lecture édifiante !

*La revue « Foi & Vie. Revue protestante de culture » est devenue une revue numérique et gratuite. Elle comprend six numéros par an, dont trois numéros thématiques (cinq ou six articles sur le thème, deux ou trois varia, et une revue des livres), un « Cahier Biblique », un « Cahier du Christianisme social » et un « Cahier d’études juives ». Il est possible de recevoir gratuitement cette revue : il suffit de se rendre sur son site, de cliquer en haut à droite et « S’inscrire » puis « Je m’abonne gratuitement » pour chaque numéro en PDF par mail.

L’action du mois : (re)découvrir que nous sommes censés (re)penser « le discipulat évangélique » à la lumière de Jésus-Christ (et non de ChatGPT)

Hier, les disciples de Jésus lui demandaient de leur apprendre à prier. Les disciples d’aujourd’hui oseront-ils lui demander – plutôt qu’à ChatGPT – de leur apprendre à Le suivre et à faire des disciples ? (Source : convergence bolcho-catholiques)

Un article stupéfiant,  découvert via le compte twitter de Romain Choisnet, Directeur de la communication du CNEF, dans lequel Jason Watson, son auteur, nous partage une découverte personnelle. Celui-ci, testant l’IA et ChatGPT pour comprendre ce qu’on peut attendre de cet outil sur le plan spirituel, lui demande « ce qu’il doit faire (sic) pour devenir disciple de Jésus ». La réponse immédiate de l’IA lui fait prendre conscience que « si le transfert d’informations est tout ce que nos fidèles retirent de nos sermons, de nos conférences, de nos cours, de nos petits groupes, de nos études bibliques et de nos réunions individuelles de formation de disciples, ou de notre [insérez votre stratégie de formation de disciples], alors nous devons sérieusement repenser la manière dont nous formons nos fidèles », vu qu' »une IA comme ChatGPT pourrait facilement produire un transfert d’informations comme celui-là, rendant superflus les faiseurs de disciples humains ».  Et de conclure que « la formation spirituelle implique d’aller au-delà de la simple consommation de contenu à propos de l’Évangile afin d’intentionnellement permettre à la vérité de l’Évangile de changer notre façon de vivre ».

En réalité, ce n’est pas une machine, mais plutôt le Seigneur Jésus-Christ Lui-même, qui est censé nous inspirer à repenser ce que veut dire la formation de disciples.

En effet, de même que la façon dont Jésus prêche l’Evangile de Dieu a de quoi changer notre regard sur le marketing de l’Évangile : Quand Jésus prêche l’Evangile de Dieu, il veut que la lettre morte devienne vivante, que l’information devienne bonne nouvelle, et que la Parole ancienne devienne nouveauté de vie. 

Or, trop souvent nous considérons l’évangélisation – comme la formation de disciple – comme une forme de campagne d’information. Nous informons sur la perdition, nous informons sur le salut, nous informons sur Dieu et son Fils. Mais pour Jésus, il s’agit d’incarner la Parole. Et sa façon de se réapproprier le texte, c’est pour que la Bonne nouvelle ne soit pas une information mais une puissance de transformation. Ce que Paul dit quand il exprime en 1 Corinthiens 2,4-5 : « Ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d’Esprit et de puissance, afin que votre foi fût fondée, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. »

Ce qui nous donne à penser que l’évangélisation ne doit pas être d’abord une campagne d’information, mais une puissance de transformation. Il ne suffit pas de dire des choses justes, mais il faut les acter. Il ne suffit pas de promettre le changement de vie et le renouvellement, il faut l’offrir, comme le Dieu qui offrait la lumière au monde en disant « Que la lumière soit ! ».

(Re)découvrir l’Episode « pilote » de notre série Pep’s café, d’après Luc 4, publié sur Pep’s café! le 02 novembre 2022.

Et, dans la série des « read it (again) : notre entretien avec Raphaël Anzenberger sur le discipulat et « la transition ecclésiologique ». Celui-ci soulignait notamment que « nos structures ecclésiastiques ne sont pas neutres. Elles racontent une histoire. Dans certaines traditions historiques, la formation de disciples est systémique, le plus souvent au travers du schéma baptême, catéchèse, confirmation/communion. Dans d’autres traditions, la formation de disciples relève du mandat pastoral. Dans d’autres encore, chaque disciple est appelé à former d’autres disciples. Nous partons du principe qu’une bonne transition ecclésiologique vise à faire converger ces trois approches : systémique, pastorale et de chaque membre. C’est à la rencontre de ces trois réalités que nous voyons une formation de disciples féconde ».

Sinon, « ça y est : l’intelligence artificielle nous parle(rait) de la part de Dieu ». Cela s’appelle « HelloBible » ! Découvrir cette analyse sur le sujet, parue sur le blog Le Sarment.

 « Fondamentalement, ce souffle est créateur, il n’est pas conservateur » ou comment vivre l’esprit de la Pentecôte aujourd’hui

« Il est avantageux pour vous que, moi, je m’en aille ; car si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai » (Jean 16v7), dit Jésus aux siens, avant de les quitter.

Il était en effet « plus avantageux » pour eux qu’il s’en aille car ils pourront alors recevoir le Saint-Esprit, qui les « conduira dans toute la vérité ». Dans la suite du Nouveau Testament, quand les disciples ont reçu l’Esprit, ils se sont levés pour devenir des témoins de l’Évangile.

C’est ainsi que la Pentecôte à Jérusalem, Chavouot, fêtant le don de la loi par Moïse, est devenue pour les disciples de Jésus l’événement de l’irruption de l’Esprit Saint, inaugurant la nouvelle alliance de Dieu avec un Israël élargi à tous les peuples de la terre. 

La Pentecôte, fête inscrite dans nos calendriers, commence donc par un retrait, une distanciation entre Dieu et l’homme, à l’image d’un parent qui se retire pour laisser son enfant prendre son envol. 


La Pentecôte se présente comme une naissance, elle est au commencement du temps de l’Église. Elle s’offre à nous sous le signe de la communication et de la liberté.  


Que s’est-il passé à la Pentecôte d’après ce que nous raconte le livre des Actes des Apôtres (ch.2v1-11) ? 

Il y avait foule à Jérusalem ce jour-là, comme lors de toutes les fêtes du judaïsme. Lorsque Pierre s’est mis à parler, des hommes de tous les pays l’ont écouté. Il y avait des Parthes, des Mèdes, des Élamites, des habitants de la Mésopotamie, de la Judée, de la Cappadoce, du Pont, d’Asie… et tous ont entendu la parole de l’apôtre dans leur langue maternelle. Qu’est-ce qu’une langue maternelle ? C’est la langue de leur mère, celle de leur intimité. Tous les auditeurs ont entendu l’Évangile comme une parole qui leur était adressée personnellement… et 3 000 se sont convertis !  

Le vrai miracle de ce jour-là, la vraie marque de l’Esprit, ce n’est pas que des langues étrangères aient été parlées, mais que 3 000 personnes se sont converties en écoutant une prédication expliquant simplement que Jésus de Nazareth était le Messie attendu par Israël (Actes 2v41). L’apôtre Paul dit de l’Esprit qu’il n’est pas un esprit de servitude, mais un esprit d’adoption permettant d’appeler Dieu : « Abba, Père ! » L’Esprit nous permet de dépasser l’image d’un Dieu lointain, celui des philosophes et des savants, pour le comprendre comme un Dieu proche, qui s’adresse à notre intimité. 

 Il y a une pentecôte chaque fois qu’une personne entend l’Évangile comme une parole personnelle, qui s’adresse à son histoire, à son intimité.  

Le mot « Esprit » veut aussi dire souffle et vent, en grec comme en hébreu. Le propre du vent est qu’il ne se laisse pas emprisonner. Si je sors par un jour de grand vent et que j’essaye de l’enfermer dans une boîte afin de le garder en conserve pour le libérer le jour où il manquera, mon entreprise est vaine. On ne peut pas capturer le vent, on peut juste hisser sa voile pour se laisser pousser, se laisser rafraîchir, se laisser inspirer par son souffle.  

Lorsqu’ils ont reçu l’Esprit, les apôtres étaient enfermés dans une maison. La première chose qu’ils ont faite fut de sortir pour parler à la foule. La pentecôte est le mouvement qui les a conduits à quitter leurs enfermements, à ouvrir leurs fenêtres, à sortir de leurs espaces confinés, à se laisser décoiffer par le souffle de Dieu.  Fondamentalement, ce souffle est créateur, il n’est pas conservateur. Comme l’air que l’on respire permet à notre corps de vivre, l’Esprit est la respiration de la foi et de la vie en Église. L’Église de la Pentecôte est une Église qui respire, libre, créatrice, et qui laisse la Parole circuler pour qu’elle puisse se dire dans la langue maternelle de chacun. 

Le Patriarche maronite Hazim a écrit : « Sans l’Esprit Saint, le Christ reste dans le passé, l’Évangile une simple lettre morte, l’Église une simple organisation, l’autorité une domination, la mission une propagande, la prière personnelle un monologue stérile et l’agir chrétien une morale d’esclave. En revanche, avec l’Esprit saint, le Christ Ressuscité est là, et son Évangile est vraiment puissance de vie. L’Église est communion, l’autorité un service libérateur, la mission une Pentecôte. En un mot, d’un pauvre arbuste dans le désert, l’Esprit du Seigneur fait un buisson ardent capable d’enflammer, de proche en proche, tout l’univers. » 

De même que s’il n’y avait pas de vents, le monde serait une fournaise. Sans souffle, la flûte n’émettrait aucun son ; et sans respiration, il n’y aurait pas de vie. 

Enfin, le Saint-Esprit occupe une place facile à identifier dans le quatrième évangile, celui de Jean. 

Il est essentiellement évoqué à trois moments. 

Lors du baptême de Jésus, Jean le baptiste confesse : « J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. » (Jean 1v32). Il ajoute que celui qui a reçu l’Esprit est celui qui baptise d’Esprit saint.  Après cet épisode, on n’entend presque plus parler de l’Esprit jusqu’au moment où Jésus l’évoque comme une promesse dans ses derniers entretiens avec ses disciples, juste avant son arrestation(Jean 16v7 et ss). Il annonce que son départ n’est pas un échec pour eux car ils recevront le Saint-Esprit qui sera un esprit de consolation, les conduisant tout au long de leur chemin. Le Consolateur, autre nom pour l’Esprit, est lié au départ du Christ.  La promesse du don de l’Esprit se réalise après la résurrection. Le soir du premier jour de la semaine, alors que les disciples sont réunis, Jésus leur apparaît et dit : « La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit saint » (Jean 20v19-22).  Pour Jean, l’Esprit saint remplace le Christ après son départ. Il dit aux disciples la Parole de Dieu, il les accompagne sur leur chemin, et il les pousse à rendre témoignage à la vérité.

(D’après Antoine Nouis, P comme…Pentecôte IN Réforme, 06/06/22, et La Pentecôte IN Découvrir la Bible en 100 pages. Editions Bibli’O, 2021, pp 80-81)

« Ce livre se veut être un réel encouragement pour oser se lancer » : entretien avec Marc Kuhn, auteur de « Lance-toi ! »

« La jeunesse a besoin d’être accompagnée à renoncer sereinement et avec intentionnalité pour s’engager avec enthousiasme et pleine conviction » (Marc Kuhn). Source image : éditions Bibli’O.

« Lance-toi ! » Car « s’engager » est « un défi » et « une chance » !

C’est le message d’un livre éponyme récent, pour les jeunes (et les moins jeunes), qui aborde les freins qui nous empêchent parfois d’agir, mais aussi les forces qui nous mettent en mouvement, sans oublier l’incroyable dynamique que Dieu verse en celui et celle qui comptent sur Lui. 

Son auteur est le pasteur Marc Kuhn, que je remercie d’avoir pris le temps de jouer le jeu des questions-réponses pour Pep’s café!, au sujet de son livre sorti le 12 mai aux éditions Scriptura. Ce qui suit est le résultat de notre entretien : bonne lecture édifiante !

1) « Votre grande passion est d’encourager les autres à s’engager », nous est-il précisé à votre sujet à la fin de l’ouvrage. Vous-même, qui vous a encouragé…à vous engager ? D’abord pendant 10 ans auprès des jeunes en difficulté comme enseignant spécialisé, puis comme pasteur jeunesse dans différentes églises et aujourd’hui pasteur dans l’église évangélique mennonite du Geisberg (Alsace), pour finir dans l’écriture de ce livre ?

Je pense à plein de personnes qui m’ont encouragé tout au long de mon parcours : ma famille, des pasteurs, des amis…Après ce qui a été décisif dans ma vie, c’est lorsque j’ai décidé de suivre Jésus. J’avais 14 ans et j’ai tout simplement saisi tout l’amour que Dieu avait pour moi alors que je ne le méritais pas. Et cette foi, de savoir que j’étais enfant de Dieu et que je n’étais pas seul, a clairement fait la différence dans mes engagements. Même si ce n’est pas toujours facile, je suis convaincu que Dieu veut et peut me rendre capable d’affronter tous les défis que, lui, il met sur ma route.

2)« Lance-toi ! » C’est une interpellation ou une invitation ? A qui s’adressent l’une et l’autre ?

Bien plus qu’une invitation, c’est une interpellation adressée plutôt à un public jeune.
Je ne sais pas si aujourd’hui la jeunesse est moins engagée que ne l’étaient les générations précédentes. J’ai plutôt l’impression qu’elle a davantage besoin d’être convaincue de ce qu’elle fait. Les jeunes se posent peut-être plus de questions sur la pertinence de son engagement. Ce livre se veut être un réel encouragement pour oser se lancer.

3) En quoi « s’engager », à l’heure où « l’indécis est à la mode »comme le chante Meak dans un texte cité en exergue de votre livre, est-il tout à la fois « un défi » et « une chance » ?

S’engager est un réel défi, parce qu’il y a plein de « freins » à prendre en considération. Quelles sont ces hésitations qui peuvent nous passer par la tête : je suis trop jeune, j’ai peur, je ne me sens pas capable, je ne trouve pas ma place, je n’ai pas le temps, est-ce que j’en ai vraiment envie…Ces défis sont tous abordés dans ce livre.
Mais s’engager est aussi tout simplement une chance de réaliser qu’il est possible de surmonter ces défis. Quand je m’engage, cela me donne l’occasion d’apprendre beaucoup de choses sur la vie, d’apprendre sur moi-même, d’apprendre des autres et je crois aussi d’apprendre sur Dieu et de son projet d’engagement pour le monde.

4)Le premier défi que vous lancez à vos jeunes lecteurs potentiels est d’aller au bout de votre livre, mais aussi « de mettre de côté quelques a priori pour se laisser bousculer et interpeller par » Le Livre des livres, la Bible ! Vous citez celle-ci régulièrement dans votre livre, estimant qu’elle a beaucoup de choses à nous dire aujourd’hui sur l’engagement. Vous concernant, qu’est-ce que la Bible vous a personnellement appris à ce sujet ?

La Bible me parle d’un Dieu qui s’est engagé le premier. Son engagement est toujours d’actualité : il offre une solution à l’humanité pour une pleine réconciliation avec lui. Cette solution s’appelle Jésus. Et ce qui est merveilleux, c’est qu’il veut m’associer, nous associer à cette grande mission. Il nous fait le privilège d’être ses collaborateurs.
La Bible m’a appris que s’engager, c’est quelque part une occasion pour chacun de nous de prendre une place dans la grande mission de Dieu. Et voir nos engagements sous cet angle leur donne un tout autre sens.

5)En quoi les textes bibliques cités dans votre livre vous paraissent-ils pertinents et inspirants, pour alimenter une réflexion et interpeller votre lecteur sur l’engagement ?

Chaque texte biblique a été choisi pour répondre à une question que pose l’engagement. La grande majorité des livres bibliques sont représentés. Cela permet au lecteur d’avoir un aperçu global du message biblique et de sa pertinence.

Les extraits proposés sont aussi accompagnés de questions de réflexion et d’appropriation, à aborder individuellement ou en groupe.
La Bible est un livre qui a presque plus de deux mille ans, et pourtant encore pleinement actuel. Les hommes et les femmes dont elle parle étaient eux aussi confrontés aux défis et aux remises en question qu’entraînaient leurs engagements. Aujourd’hui encore, je crois qu’il est tout à fait possible qu’un jeune s’identifie à eux à travers les textes bibliques cités.

6) Les fins de chapitres comprennent des questions de réflexion, mais aussi des propositions de ressources (ouvrages, sites web, vidéos…) « pour aller plus loin » et accessibles via un code QR. Quel a été leur critère de choix ? Comment exploiter au mieux ces ressources ainsi que les questions ?

Le critère de choix a été tout simple : est-ce qu’une bonne ressource existe en lien avec chaque chapitre abordé ? Les ressources pour la jeunesse sont rares en francophonie chrétienne.
Et puis nous avons aussi voulu proposer des pistes représentatives de différentes confessions : il y a donc des ressources catholiques, mais aussi protestantes évangéliques.
Il faut voir ces pistes de réflexion mais aussi d’actions, comme des occasions d’aller plus loin. Les chapitres sont courts et forcément avec quelques raccourcis. Ces ressources sont donc des occasions de creuser les sujets abordés. On peut bien sûr les exploiter individuellement, mais là aussi il est possible de les vivre en groupe, d’en discuter avec une personne de confiance, d’en parler autour de soi.

7)Pâques est derrière nous : cette fête est l’occasion de se souvenir que Dieu est avant tout le Dieu libérateur, qui a libéré et élargit de l’étroitesse et de l’angoisse son peuple, jusque-là trop occupé à travailler sans cesse à des « projets pharaoniques », au profit d’un souverain-« dieu vivant », au point qu’ils n’avaient jamais le temps de le rencontrer pour être avec lui…Or, dites-vous dans un chapitre que j’ai trouvé particulièrement marquant [Chap. 4 : « je ne trouve pas ma place », partie 1 du livre], notre premier engagement – et notre première place – n’est pas de savoir « où », mais « avec qui être ». C’est d’ailleurs la priorité de Jésus, avant même « le faire », lorsqu’il appelle ses disciples dans les Evangiles (Marc 3v13-14)….En quoi est-ce une clé pour un engagement libérateur, plein de sens et porteur de fruits?

Jésus veut nous libérer de notre engagement solo : je sais bien mieux que quiconque ce qui est bon pour moi et ce que je peux faire de ma vie.
Vivre mon engagement seul dans mon coin et rien que pour moi : voilà ce qui a causé la chute de l’humanité.

La clé en effet qu’offre Jésus est d’être avec nous, voilà ce qu’il nous promet.

Dans la Bible, nous trouvons plusieurs promesses de Jésus pour nourrir nos engagements :
– Il nous rend capable par son Esprit, il nous a donné des dons.
– Il est à nos côtés, quand tout va bien, et aussi quand c’est la tempête.
– Il nous place dans une équipe. Et on a besoin des autres et de leurs dons pour se compléter mutuellement.
– il nous donne le repos quand c’est nécessaire.
– il nous encourage quand c’est difficile…

8) De même, à la suite de Jésus et en Son Nom (lequel signifie « Dieu sauve » mais aussi « Dieu élargit »), comment avez-vous souhaité, dans votre livre, relever Son défi inclusif face à nos tentations exclusives, en élargissant les horizons de vos « frères en Jésus » et de ton prochain ?

Ce livre s’adresse à des jeunes déjà engagés dans la foi jusqu’aux jeunes plutôt éloignés de Dieu. Nous avons voulu aussi viser un public très large, appartenant à toutes les confessions chrétiennes.
Je crois aussi qu’il faut voir l’engagement pour Dieu de manière très large : il nous appelle à nous investir pour lui :
– à l’intérieur tout autant qu’en dehors des murs d’une Église
– avec les « frères en Jésus » tout comme avec son prochain

9) Vous êtes pasteur, et pourtant vous rappelez régulièrement que l’engagement ne saurait se limiter (ou s’enfermer) dans les « quatre murs » d’une église, comme si celle-ci était un bâtiment….Et ce, d’autant plus que ceux qui ont été appelé par Jésus à le suivre ne se trouvaient pas dans un lieu de culte, en train d’effectuer « une pratique religieuse », tel que prier, lire la Bible, louer Dieu….

Jésus en est un bel exemple : il n’est pas resté cantonné aux murs des synagogues, ou à la ville de Jérusalem. Il a parcouru les villes, les villages et la campagne d’Israël. Toutes les rencontres faites sur son chemin comptaient pour lui.

S’engager pour Dieu ne signifie pas donc (seulement) s’engager dans une Église ou s’engager dans les ordres (en devenant pasteur, prêtre ou religieux…).
Notre métier, nos relations avec nos voisins, notre rôle de parents peuvent être vus et vécus comme des engagements pour Dieu et avec Dieu.

10)La première partie de votre livre est consacrée aux « oui, mais… » [je suis trop jeune, j’ai peur, je ne me sens pas capable…] susceptibles de nous faire hésiter à nous engager, expliquant comment lever ses freins ou « faire avec ». Le « oui, mais…je suis une femme » vous tient particulièrement à cœur. Pourquoi ?

Je constate que ce « oui, mais… » pose encore problème aujourd’hui. Et pourtant, que seraient le monde et nos Églises sans l’engagement des femmes.
Ce chapitre en effet me tient à cœur parce que je rêve que ce frein-là disparaisse et devienne une chance pour tous et toutes. J’espère faire partie de la dernière génération à avoir besoin d’inclure un tel chapitre dans un livre sur l’engagement.

11) « Choisir, c’est renoncer », répétez-vous sans cesse dans le livre. En quoi « renoncer » s’harmonise-t-il avec l’engagement ?

Je ne peux pas répondre oui à tous les engagements qui me sont proposés. Je suis donc obligé de choisir : pourquoi cet engagement, cette personne, cette direction et pas un/une autre ?

Aujourd’hui, peut-être encore plus qu’hier, un jeune rencontre une plus grande possibilité d’engagements. C’est peut-être pour cette raison aussi que beaucoup de jeunes ont plus de difficultés à s’engager, parce qu’ils doivent tout simplement renoncer à plus de choses qu’avant.

Si je suis convaincu du pourquoi et du pour quoi je m’engage, je pourrais plus facilement gérer la frustration d’abandonner toutes les autres options.

La jeunesse a besoin d’être accompagnée à renoncer sereinement et avec intentionnalité pour s’engager avec enthousiasme et pleine conviction.

12)Votre prière, partagez-vous au lecteur, est que celui-ci puisse se réjouir des effets positifs que ses propres engagements produiront à la fois sur lui-même et son entourage, mais surtout qu’il puisse « aller plus loin avec celui qui s’engage pour toi et avec toi : Dieu en personne ».  Une prière ou un défi lancé à votre lecteur

Ce défi lancé ne peut pas se limiter seulement à de belles paroles. Les cœurs doivent être touchés et transformés pour cela. Seul Dieu peut le faire.
Cette invitation doit donc se transformer en prière.
Jésus a dit en Luc 10,2 : « La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. »

Nos encouragements envoyés à la jeunesse doivent se transformer en prière : Finalement ce n’est que Dieu seul qui peut appeler et faire lever une nouvelle génération de jeunes pour le servir. À nous tous d’être présents à leurs côtés pour vivre ces engagements avec eux.

13) En fin d’ouvrage, vous précisez que l’engagement ne saurait être « un exploit en solo », mais un travail d’équipe. L’Eglise avec « un grand E » (distincte de l’église avec « un petit e ») est d’ailleurs « cette équipe que Dieu a voulu pour toi et pour le monde », dites-vous même encore. C’est-à-dire ? 

Pour paraphraser le pasteur et « théologeek » Olivier Keshavjee, en quoi « l’Eglise fait-elle partie de la Bonne Nouvelle » que nous sommes chargés de transmettre, et pourquoi « non ce n’est pas décevant » ?

L’Église est à la fois une formidable école pour se former, un lieu pour s’essayer dans ses engagements et une équipe pour s’encourager, se stimuler à sortir justement de ses murs.
L’Église est à la fois au bénéfice de la Bonne Nouvelle de Jésus et à la fois le moyen qu’il utilise pour la partager au monde. Donc à la fois bien faible, bien limitée, et à la fois capable de faire de grandes choses.
J’ai besoin de l’Église pour vivre pleinement mes engagements pour Dieu, parce que j’en fais tout simplement partie et parce que l’Église fait tout simplement partie du projet d’engagement de Dieu pour le monde.

14) Dans « la parole contraire » (Gallimard, 2015), Erri de Luca, lui-même auteur engagé et lecteur de la Bible, écrit que « notre liberté ne se mesure pas à des horizons dégagés, mais à la cohérence entre mots et actions ». Qu’en dites-vous ? 

Je rajouterais tout simplement à cette citation l’idée suivante : « notre liberté se mesure à la cohérence que Jésus peut mettre entre nos mots et nos actions »

Le dernier mot est pour vous !

Je terminerai par les derniers mots qui concluent mon livre :
Je te souhaite de vivre tous tes engagements avec une joie simple ou un enthousiasme débordant, les pieds bien ancrés dans ton présent et les yeux tournés vers l’éternité. Mais je te souhaite surtout de les vivre comme de merveilleuses occasions d’être en relation avec Jésus, conscient de participer à la plus belle des missions, sa mission !

Merci, Marc !

En bref : 

« Lance-toi ! S’engager, un défi, une chance », de Marc Kuhn. Editions Scriptura, 2023.

Disponible depuis le 12 mai dans toutes les bonnes librairies et sur le site de l’éditeur

Ouvrage reçu gracieusement « en service presse » de la part de Laurène de La Chapelle, chargée de communication pour l’Alliance Biblique Française, que je remercie !

« La justice de Dieu est une justice restaurative et qui veut sauver » : une interview du SEL avec le Pasteur Gilles Boucomont

Dans cette série du SEL France, « la justice, ça se pratique », Gilles Boucomont, pasteur à Paris-Belleville et président de la Mission Évangélique parmi les Sans-Logis, nous partage sa définition de la justice. Il nous explique en particulier pourquoi il est important de garder les yeux fixés sur Jésus pour pratiquer la justice.
Et comme on en apprend tous les jours, une pépite (à la 6ème minute et des poussières) sur le découragement, après un enseignement donné sur le sujet, lors du dernier culte de consolation au temple de Paris-Belleville !

Bonne écoute édifiante !

Gérer nos lectures différentes de la Bible : discerner entre « Adiaphora », « status confessionis » et « hérésie éthique »

Source image : BLF éditions.

 « Sacrés désaccords ! » Dans l’Eglise comme dans la société, les idées s’expriment de manière toujours plus radicale. Les chrétiens font souvent face à des désaccords entre eux et cela entraîne des conflits, qu’il s’agisse de la louange, du parler en langues, du baptême, du divorce et du remariage, de la Sainte Cène, de la place de la femme dans l’Eglise, et plus récemment encore, du covid, des vaccins, du pass sanitaire….sans oublier les options socio-politiques.

« Les églises semblent se déchirer plus que jamais ! Et qui plus est, « sur des questions mineures de goût et de personnalité », alors qu' »ils ne sont souvent pas prêts à défendre l’Evangile », constate avec tristesse James Hely Hutchinson, l’auteur d’un prochain livre à paraître le 24 mai chez BLF. Cet ouvrage a pour but d’aider les chrétiens à mieux gérer et mieux vivre leurs désaccords théologiques et éthiques à la gloire de Dieu, comme à faire preuve de discernement dans le choix de leurs propres combats. Il y a donc bien des alternatives !

Un livre utile, sur un sujet peu courant, et susceptible de nous permettre de mieux évaluer et hiérarchiser nos propres convictions. Merci à BLF pour me l’avoir gracieusement transmis en service presse !

En parallèle, nous notons que nous ne sommes pas non plus toujours d’accord par rapport à l’interprétation concrète des Écritures bibliques, et également par rapport aux arguments que nous devons avancer. 

Dans son intervention au forum annuel des Attestants [courant confessant protestant], le 02 février 2018 à Paris, sur le thème « Qui parle ? Quand nous lisons la Bible…. », Karsten Lehmkühler, professeur de théologie systématique à Strasbourg, estime « qu’il nous faut, tout d’abord, faire tout simplement face à cette situation, et en parler ouvertement. On peut souffrir de ce manque d’unité, on peut le regretter, mais il ne faut pas le taire. Il faut jouer cartes sur table. Face à ce constat, comment avancer ? » Et l’orateur de « souligner trois points : 

Dans un premier temps, nous devons bien évidemment décrire et analyser ces divergences, c’est-à-dire les formuler et en chercher les raisons. Il faut donc lire ensemble les textes en question, et mentionner tous les arguments qui sont importants pour les uns et pour les autres. On ne peut pas exclure qu’un débat approfondi sur ces questions permettra un nouveau consensus inattendu. On peut toujours espérer qu’une écoute commune et fraternelle des Ecritures, de la tradition et des arguments des uns et des autres débouche, de façon étonnante, sur un nouveau consensus. Si tel est le cas, on ne peut que se réjouir en en remercier Dieu. 

Mais nous devons aussi continuer la réflexion sur une différence constatée et non résolue. Face à une telle situation, comment pourrions-nous avancer ensemble ? Je pense que nous pouvons endurer ce désaccord entre nous, en tout cas jusqu’à un certain degrée », explique Karsten Lehmkühler. « Certes, il y a toujours eu, dans l’histoire de l’église, des moments où un désaccord est devenu si lourd et si pesant qu’une Eglise s’est divisée. La naissance de nos églises de la Réforme en est le meilleur exemple. Ici, le désaccord avait le caractère d’un « status confessionis », et la séparation semblait être inévitable. Mais une Eglise est aussi capable de réunir des frères et sœurs ayant des points de vue différents. Si tel est le cas, il faut en parler ouvertement, entre nous et aussi publiquement ». 

Karsten Lehmkühler donne « un exemple intéressant, tiré de la bioéthique, à savoir le texte de la FPF, à l’occasion des « États généraux de bioéthique », qui se sont déroulés (…) en 2009, intitulé « États généraux de la bioéthique 2009 : Éléments de réflexion proposés par la Commission Église et Société de la FPF ».  (…..) La démarche de ce texte est intéressante. Il commence par une parole que les auteurs peuvent dire ensemble : les aspects corporels et relationnels de l’être humain sont inséparablement liés. Dans un deuxième temps, on décrit des positions différentes que les uns et les autres tirent de cette affirmation fondamentale commune : une position qui tient l’utilisation d’un embryon surnuméraire à des fins de recherche pour acceptable, faute de relation dans laquelle il pourrait s’inscrire, et une autre, qui avance qu’un embryon s’inscrit toujours dans des relations et qu’il faut aussi parler de la relation divine. Cette dernière position tient cette utilisation de l’embryon pour une chosification inadmissible. Ces deux options sont clairement mentionnées, dans un texte commun » jugé « bien plus utile » par l’orateur − « pour le lecteur croyant comme aussi pour une personne qui veut tout simplement prendre acte des postions au sein d’une église – de lire une telle description honnête d’un désaccord que de lire simplement l’affirmation que l’Eglise ne souhaite pas prendre position. Puis, de façon étonnante, les auteurs parviennent – après avoir formulé le point de désaccord − à formuler, malgré ce désaccord, des recommandations communes.(…..)

Mais il peut y avoir des cas encore plus difficiles. Il se peut que la lecture et l’interprétation des textes bibliques soient si différentes que l’unité de la communauté est en danger : Adiaphora, status confessionis et « hérésie éthique »

On pourrait mentionner ici l’ancienne différence entre les soi-disant « adiaphora » et les données fondamentales de la foi qui relèvent d’un « status confessionis ». La notion des « adiaphora » apparait dans les traditions luthérienne et réformée. Le mot vient du grec ἀδιάφορα, ce qui signifie « les choses qui ne sont pas différentes », donc : les choses indifférentes. L’idée centrale est donc qu’il peut y avoir des différences légitimes sur le plan des usages, des rites, des pratiques. Calvin parle explicitement des « adiaphoroi » dans son « Institution chrétienne », livre III, chapitre 19, à partir du paragraphe 7. Dans la version française, il parle des « choses indifférentes ». Les exemples qu’il donne concernent des questions de nourriture et d’habillage (viande, vin, lin en draps, etc.). Il souligne, en se basant sur le texte de Rom 14, que Paul « soumet toutes choses externes à notre liberté, pourvu que l’assurance de cette liberté soit certaine à nos consciences envers Dieu ». Il inclut également « toutes les cérémonies dont l’observation est libre, pour que les consciences ne soient point astreintes à les observer par nécessité, mais qu’elle sachent que l’usage en est soumis à leur discrétion ». 

Les luthériens en parlent dans leurs écrits symboliques, dans la Formule de Concorde. Déjà la Confession d’Augsbourg disait, dans son article 7, qu’il « n’est pas nécessaire pour l’unité véritable de l’Église chrétienne qu’on observe partout des cérémonies uniformes, instituées par les hommes », mais que les marques décisives de l’Eglise sont la prédication pure de l’Évangile et l’administration des sacrements conforme à l’Évangile. Dans la Formule de Concorde, paragraphe 10, intitulé « Des cérémonies ecclésiastiques que l’on appelle adiaphora ou choses indifférentes », les adiaphora sont définis comme « des cérémonies ou des rites ecclésiastiques qui ne sont ni prescrits ni interdits par la Parole de Dieu, mais qui ont été introduits dans l’Eglise pour cause de bon ordre et de convenance », et qu’ainsi le principe scripturaire figure, une fois de plus, comme critère. Cette dernière observation indique que la différence entre adiaphora et enjeux qui relèvent d’un status confessionis dépend, selon les auteurs du texte, elle-même des textes bibliques.

Mais il est parfois difficile de faire la différence entre adiaphora et choses essentielles. On peut par exemple dire, déjà pour le siècle de la Réforme, que les questions éthiques n’appartiennent pas automatiquement aux adiaphora. Il y a des questions de rites et de pratiques qui sont en effet des adiaphora, mais il y a d’autres questions de la vie chrétienne qui ne le sont pas. Ainsi on lit aussi dans le Catéchisme de Heidelberg, question 85, qu’il faut exclure de la communion « ceux qui sous couvert du nom de chrétiens enseignent ou se conduisent d’une manière qui n’est pas chrétienne et qui en dépit de plusieurs avertissements fraternels ne renoncent pas à leurs erreurs ou à leurs vices ». Cette importance des questions éthiques sera soulignée davantage en 20ème siècle : Certains textes théologiques avancent la notion d’une « hérésie éthique » qui représenterait un « status confessionis », donc une situation où le centre du message chrétien est en danger. Un exemple important est l’antisémitisme du 3ème Reich, une situation dans laquelle Karl Barth parlait du « status confessionis », notamment en ce qui concerne le comportement des chrétiens vis-à-vis des juifs et le problème de l’idéologie au sein des « chrétiens allemands »(1). 

Cet exemple (comme d’autres encore) montre que la différence entre les adiaphora et les données fondamentales n’est pas facile à établir. 

Prenons comme exemple la question de la bénédiction des couples du même sexe : ici, les adeptes comme les opposants d’une telle solution pourraient dire qu’il s’agit d’une question essentielle : les adeptes, en soulignant que l’évangile plaide pour l’accueil sans réserves de tous, et que cet accueil doit nécessairement déboucher sur une telle bénédiction ; les opposants, en soulignant les textes bibliques sur l’anthropologie en générale et sur l’homosexualité en particulier, et en affirmant que l’acceptation de la personne homosexuelle ne conduit pas à l’acceptation d’une nouvelle institution d’un mariage de personnes du même sexe. 

De cette manière, la réflexion sur les notions des « adiaphora », du « status confessionis » et de « l’hérésie éthique » ne nous conduit pas à une relativisation de l’importance des questions éthiques ; elle semble au contraire indiquer que ces questions peuvent tout-à-fait avoir une importance essentielle pour les fidèles ». 

 Karsten Lehmkühler cite le texte de la FPF sur le statut de l’embryon, dans lequel « on a pu se contenter à décrire les différents points de vue et de permettre ainsi au lecteur qu’il se forge une opinion en fonction des différents arguments présentés. Mais il y a d’autres questions qui nécessitent une décision concrète de la part de l’Eglise elle-même, en vue d’un changement éventuel de sa constitution ou de sa discipline. C’était le cas pour la question de la bénédiction des couples du même sexe où l’église a dû se décider : voulons-nous ou non bénir, au sein de nos Eglises, des couples du même sexe ? 

Pour de telles questions qui concernent directement notre lecture de la Bible et ensuite des décisions concrètes, sur le plan de la direction de l’Église, [l’orateur termine son propos, en soulignant] différents points de repères 

1. L’Eglise est la communauté où on lit la Bible. Il y a un livre qui a profondément marqué cette communauté de foi ; c’est pour elle un livre pour vivre. Naturellement, ce livre s’impose comme critère de doctrine et d’éthique. Cet aspect communautaire est essentiel : en tant que chrétiens, nous vivons dans une communauté qui se laisse former par ces textes ; ces textes forgent le caractère des chrétiens. La lecture commune des textes et le fait qu’une communauté se réunit autour d’eux est un don précieux. 

2. Cette pratique et ce statut des textes bibliques dans la communauté chrétienne implique une quête permanente de la claritas scripturae (la clarté de l’Écriture) : rester ensemble pour chercher des interprétations qui émanent de la Bible elle-même : sacra scriptura sui ipsius interpres (l’Écriture sainte est son propre interprète). Ici, il faut faire attention à l’interprétation à l’intérieure de la Bible : comment le NT explique-t-il l’AT ? Comment un texte clair interprète-t-il un texte sombre ?

3. Une aide importante est la notion d’une clé de lecture, si chère aux protestants. Luther a toujours pratiqué cette lecture qui se base sur un principe de base, une clé qui ouvre les Écritures. Pour lui, c’était le « was Christum treibet », ce qui promeut le Christ. De cette manière, nos interprétations des Écritures doivent être vérifiées en fonction de l’évangile, de la justification par la foi, du salut donné en Christ – mais aussi en fonction de la « nouvelle vie en Christ », c’est-à-dire en fonction des valeurs et des points de repère qui marquent la vie chrétienne et la prédication de l’Église (« sanctification » ; « troisième usage de la loi ») : justification et sanctification vont de pair, et la justification par la foi ne doit pas occulter la possibilité d’un enseignement éthique concret au sein de l’Église. Comme Paul le dit en 1 Cor 1,30 : « …le Christ Jésus, qui est devenu pour nous (…) justice [et] sanctification ».

4. Pour les interprétations qui nous séparent, il faut, cas par cas, lutter ensemble pour une interprétation qui ne trahit pas l’évangile. Ce qui nous faut ici, c’est le précieux charisme de « discerner les esprits » dont Paul parle en 1 Cor 12,10 (χάρισμα διακρίσεις πνευμάτων). Il est possible, dans la communion chrétienne, d’endurer des différences graves, dans la mesure où l’évangile de la grâce en Christ ne soit pas occulté. Ici, chacun est appelé à suivre sa conscience.

Et de citer, en guise de conclusion, la dernière thèse de la déclaration de Barmen de 1934(2) : « La mission de l’Eglise, en quoi s’enracine sa liberté, consiste à communiquer à tout le peuple, à la place du Christ, donc au service de sa parole et de son œuvre, attestées par la prédication et les sacrements, le message de la libre grâce de Dieu. Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Eglise pourrait, en vertu d’un acte d’autonomie humaine, mettre la Parole et l’œuvre du Seigneur au service de désirs, de buts et de plans quelconques choisis de sa propre autorité. »

L’intervention complète de Karsten Lehmkühler : le texte et la vidéo sur la page Facebook des Attestants.

Notes : 

(1) Un article, paru dans l’ancêtre de Vivre – Semailles et moisson – en 1995 (no 6, juin-juillet, p. 20-23) et relayé sur le site de La free.ch, rappelle la compromission des protestants allemands à l’époque des IIe et IIIe Reich – une époque où les chrétiens se croyaient tenus à un programme national chrétien – et face à Hitler, qui se présentait comme « chrétien », avec « le devoir d’être un combattant pour la vérité et la justice »une période rêvée pour les protestants qui ont su bénéficier comme jamais auparavant d’un « ordre social chrétien », et des libertés désirées pour annoncer l’Evangile. Avec les conséquences que l’on connaît. Autant de compromissions complexes à assumer pour les générations futures, et particulièrement ravageuses si elles sont assumées et promues en tant que telles par la génération actuelle. Or, regarder en face (plutôt que fuir ou nier) ces compromissions, pour s’en repentir et y renoncer, sera source de libération et de guérison.

(2) La déclaration de Barmen, principalement écrite par Karl Barth (avec la participation d’autres protestants allemands) en 1934, laquelle affirmait la position de l’Église confessante face à Hitler « Jésus-Christ, selon le témoignage de l’Ecriture sainte est l’unique Parole de Dieu. C’est elle seule que nous devons écouter ; c’est à elle seule que nous devons confiance et obéissance, dans la vie et dans la mort. Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle, en plus et à côté de cette Parole de Dieu, l’Eglise pourrait et devrait reconnaître d’autres événements et d’autres pouvoirs, d’autres personnalités et d’autres vérités comme Révélation de Dieu et source de sa prédication » et (…)« Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Eglise pourrait, en dehors de ce ministère, se donner ou se laisser donner un Chef muni de pouvoirs dictatoriaux ».

Voir aussi : Le pouvoir est-il une tentation pour tous les évangéliques ? « Oui », déclare Christanity Today, le magazine fondé par Billy Graham. Un regard honnête « de l’intérieur » et une saine auto-critique qui explique comment et pourquoi le directeur non-chrétien du FBI Edgar Hoover s’est quelques fois retrouvé dans les pages du magazine fondé par Billy Graham.

Un article à lire en français qui entre en résonance avec la série d’ARTE consacrée aux « Evangéliques à la conquête du pouvoir », de Philippe Gonzalèz et Thomas Johnson, visible – depuis le 28 mars – sur le site de la chaîne jusqu’au 09 juin, et dont nous avons parlé ici.

L’Ascension : la fête de la liberté de Dieu

Jésus n’a pas décollé comme une fusée, il s’est dérobé du regard de ses disciples dans la présence de Dieu (Source image : album Tintin « Objectif Lune » d’Hergé)

Le saviez-vous ? Le récit de l’Ascension est raconté deux fois dans les Écritures Bibliques : à la fin de l’évangile de Luc et au commencement des Actes des Apôtres. Le fait est d’autant plus troublant qu’à l’origine ces deux livres [écrits par le même auteur] n’en faisaient qu’un. Pourquoi Luc a-t-il raconté deux fois le même épisode de deux façons différentes ?

Dans le troisième évangile, l’Ascension a lieu le soir de la résurrection. Après s’être révélé aux pèlerins d’Emmaüs et aux apôtres, Jésus se sépara d’eux. La plupart des manuscrits ajoutent et il fut enlevé au ciel [Luc 24v51].

Dans le livre des Actes, après la résurrection, Jésus est apparu pendant quarante jours à ses apôtres pour leur parler du royaume de Dieu, puis il fut élevé… et une nuée le déroba à leurs yeux [Actes 1v9]. Le récit est suivi de celui de la Pentecôte.

La présence de deux récits différents dans le même ensemble littéraire nous oblige à [davantage] nous mettre à l’écoute de ce que [le récit] signifie. Ça tombe bien parce que si on essaye de se représenter la scène, on est un peu gêné. On veut bien croire aux miracles de l’évangile, mais l’ascension de Jésus se heurte à des questions absurdes du style : À quelle vitesse est-il allé ? Où s’est-il arrêté ? Le récit le plus connu, celui des Actes, ne dit pas que Jésus s’est envolé, mais qu’il fut élevé et qu’une nuée le déroba à leurs yeux. L’expression être élevé signifie que Jésus s’est retrouvé totalement en Dieu et la nuée est une image pour évoquer la présence divine. Jésus n’a pas décollé comme une fusée, il s’est dérobé du regard de ses disciples dans la présence de Dieu.

Si l’Ascension est racontée deux fois, c’est que les deux récits sont vrais. Elle se situe à une charnière en étant l’accomplissement de la résurrection et le commencement de l’histoire de l’Église. Où est le Christ ? Au ciel, c’est-à-dire en Dieu. Il n’est plus physiquement au milieu de ses disciples pour leur montrer le chemin, il est par son esprit à leurs côtés dans leur marche à la suite de l’Évangile.

Depuis que Jésus est au ciel, il n’est plus sur terre et ne se laisse enfermer dans aucun des lieux dans lesquels on veut l’enclore. Il n’est enfermé ni dans l’Église comme institution, ni dans le pain et le vin, ni dans notre expérience spirituelle, ni dans les systèmes théologiques, fussent-ils les plus justes et les plus intelligents.

L’Ascension est donc la fête de la liberté de Dieu qui échappe à notre mainmise. Les disciples ne sont pas les possesseurs du Christ, ils en sont les témoins.

[D’après L’Ascension, par Antoine Nouis IN Découvrir la Bible en 100 pages. Editions Bibli’O, 2021]

Découvrir notre autre article sur l’Ascension

« Chrétien Chant » : une émission radio pour « rester sur la bonne longueur d’onde » avec Jésus

Source image : Rdbfm

Une émission où Eric nous partage avec générosité et humilité « amour, espérance, joie et foi » en Jésus-Christ, à travers des témoignages, des chants et des prédications. Qu’il soit remercié pour avoir spontanément accepté de jouer le jeu des questions-réponses !

Bonjour Eric, peux-tu te présenter ?

Ardéchois, je suis né en 1959 à Vernoux, dans une famille protestante. J’ai eu une enfance heureuse. Mon papa était meunier. A 17 ans, j’ai repris l’exploitation avec mon frère aîné jusque dans les années 2000. Ensuite, j’ai enchaîné plusieurs emplois, notamment à l’ADMR [Aide à Domicile en Milieu Rural : Réseau national associatif de service à la personne] où j’aime le contact avec les personnes âgées ou handicapées.

Il existe « rires et chansons ». Tu nous proposes « chrétien chant » sur RDB [Radio Des Boutières, une radio associative locale de proximité fondée en 1982, dont les locaux se situent au Cheylard en Ardèche. Le stream est accessible depuis le site rdbfm.com]. Par « quel miracle » es-tu devenu animateur de cette émission sur cette radio ?

Notre Seigneur conduit tout. Je n’ai pas de formation d’animateur. Il y a quelques années, ma fille Anne-Lou, animatrice sur RDB, m’a présenté une personne qui proposait des émissions religieuses sur cette radio. [NDLR : « Mike » Chanut]. Je devais intervenir dans l’une d’elles, mais rien ne se passa.

Quelques temps plus tard, cette personne arrêta les émissions, vu son âge. Sa petite-fille reprit le flambeau, mais avec son travail et ses enfants, la tâche s’en trouva compliquée. RDB m’a alors contacté pour alléger l’animatrice et partager les émissions. Notre Seigneur conduit tout !

 Quel est ton rapport avec ce qui est « chrétien » et « le chant » ?

J’ai toujours aimé la musique et c’est une belle façon de louer notre Dieu.

Je ne te demande pas « comment tu as trouvé Jésus », à moins de penser qu’Il était perdu, mais plutôt « comment Jésus t’a-t-il trouvé ? »

Comment Jésus m’a trouvé….Né dans une famille chrétienne, j’ai eu une « overdose » de Jésus à l’adolescence. Je décide de vivre ma vie : « copains, copines, mobylette, mauvaises rencontres, etc… ». Mais notre Seigneur est plein d’amour et de patience. Ma conversion a été beaucoup plus tardive : je suis comme un apprenti qui apprend un job. J’avance de jour en jour, en essayant d’être meilleur : tâche délicate, mais Jésus me fortifie et m’accompagne.

Quelles sont tes chansons et tes artistes/styles musicaux préférés ? 

Je suis très bon public. J’écoute un peu de tout, mais le plus important, ce sont les textes de ces chants qui me touchent.

Lorsqu’on s’est rencontré pour la première fois, dans un contexte particulier, tu as chanté (de façon habitée) « A tous ceux qu’on aime », de Frédéric François, un auteur-compositeur qui n’est pourtant pas chrétien…..

Le choix d’une « chanson du monde » [NDLR : « non chrétienne »] n’était pas innocent. Comme je l’ai dit, les textes ont beaucoup d’importance pour moi. Même dans les « chants du monde », nous trouvons des pépites comme celle de Frédéric François, qui nous rappelle le commandement de Jésus « aimez-vous les uns les autres ».

Parlons de « Chrétien chant » : c’est une « émission religieuse » ? Pour qui est-elle ? 

Je suis heureux que cette émission soit diffusée sur une radio non chrétienne. La Parole [de Dieu] peut être écoutée par tous. Cette émission tente modestement de toucher des âmes. C’est notre ministère.  

Comment se prépare chaque émission ? Comment t’y prépares-tu ?

Ce n’est pas facile. C’est la partie la plus laborieuse et, bien souvent, je suis devant la page blanche. Mais le Seigneur m’inspire : là où je pense ne pas y arriver, Il me dirige vers un sujet. Merci Seigneur !

Sinon, je dors mal la nuit. Tout et rien me vient en tête. J’essaie de contacter des artistes chrétiens, mais tous ne sont pas disponibles. Comme je l’ai dit, je me laisse guider par Notre Seigneur.

Le 03 février 2021, tu m’envoyais par mail un lien vers ta première émission, laquelle date du 16 janvier 2021 : on peut notamment écouter Kenji Girac chanter « ô mon âme », mais aussi Philippe Decourroux, Gil Bernard….pourquoi un tel choix artistique en guise d’ouverture ? 

Le choix n’était pas évident pour moi. Cette première émission s’est voulue « jeune », en faisant découvrir aux auditeurs et auditrices des chants plus modernes, et en essayant de capter un public un peu plus large. Mettre du Kenji me permet de faire prendre conscience que la foi est aussi dans le cœur de personnes célèbres. Une mission compliquée pour un amateur comme moi, mais j’ai la certitude que Jésus m’accompagne et veut que, tous ensemble, nous puissions écouter Sa Parole.

Tes choix artistiques sont très « incarnés », puisque tu nous partages ce qui te lie avec la plupart – par exemple, ta première rencontre avec Gil Bernard et le disque dédicacé…. 

Comment ne pas parler de cette première rencontre avec Gil ? J’avais 8 ans et pour le gosse que j’étais, ce fut une belle rencontre ! J’ai eu aussi le bonheur de rencontrer d’autres artistes, de discuter – et même prier – avec eux. Ce sont des moments de bonheur que j’aime partager.

Si tu devais retenir un moment marquant, depuis que l’émission existe, quel serait-il ?

L’émission la plus marquante est celle du 25 janvier 2022, en hommage à mon cousin, ami et frère en Jésus-Christ, Jean-François qui a rejoint le Seigneur. Nous avions fait des concerts ensemble et aussi la première partie de concerts de Gil Bernard.

Parle-nous de cette photo, où l’on voit une main ouverte, tendue vers le soleil couchant, et qui sert de logo à ton émission.

Cette belle photo a été choisie par RDB. Elle peut faire penser à l’espérance et à la lumière de Dieu, qui est pour tous ceux qui la cherchent.

Tu nous donnes rendez-vous « un dimanche sur deux, dès 7h00 » : comment trouver la bonne longueur d’onde de « Chrétien Chant » sur RDB ? 

Oui, c’est un rendez-vous tous les 15 jours [l’horaire me paraît un peu trop tôt, mais bon…]. Le créneau est partagé avec une autre équipe qui propose une émission religieuse [« Croire aujourd’hui »] tous les premiers dimanches du mois.

Il est possible de nous retrouver sur le site de RDB, ainsi que sur le compte youtube de CHRETIENCHANT, dans la partie « communauté ».

Et le plus important ! Comment rester « sur la bonne longueur d’onde » avec Jésus ?

Comme le dit cet ancien cantique : « lis ta Bible et prie chaque jour, si tu veux grandir » !  

Merci Eric !