Par Yannick, que je remercie pour avoir joyeusement relevé le défi d’écriture sur le thème « The Chosen est-il un produit casher » ?
The Chosen est certainement une surprise. Beaucoup ont déjà noté la qualité globale de la série, et c’est vrai. Comparé à de nombreuses autres productions chrétiennes, The Chosen est vastement au-dessus. Les acteurs, le montage, la musique, mais aussi l’esthétique générale des épisodes me laissent une impression très positive de cette série. J’apprécie en particulier le traitement des chefs religieux, en tête desquels Nicodème. La série porte aussi attention aux conditions sociales et économiques du monde de Jésus, ce qui l’aide à s’incarner dans un temps, un lieu… une histoire.
Une question m’a été posée quand même : The Chosen est-il casher ? Merci Pep’s de la question !
Je donne ma conclusion en avant-première : The Chosen, c’est le Jésus qui correspond à notre société. C’est le Jésus, pour nous, au début du 21e siècle. Je précise un peu par crainte d’être mal compris. Dit ainsi, cela ne veut pas dire que c’est une bonne chose, ni que c’est une mauvaise chose. C’est simplement une observation générale. Le Jésus de Chosen est le Jésus d’une société qui nous correspond.
En soi c’est déjà quelque chose de fascinant à noter ! Il y a quelque chose de profond à l’incarnation culturelle de notre humanité. Que nous le voulions ou non, nous incarnons toujours notre humanité dans une société. D’une certaine manière, et jusqu’à un certain degré, nous ne pouvons que refléter notre société. Nous vivons, pensons… imaginons et créons, les pieds bien plantés dans un lieu et un temps, la tête levée vers les cieux que nous observons dans ce ciel qui est le notre.
Je ne suis pas en train de dire que nous sommes toujours l’image de notre société, comme si nous en étions esclaves ou si nous étions déterminés par celle-ci. Certainement pas ! Par contre, cela veut dire que nous ne pouvons que faire écho aux soucis, priorités, et dangers du monde dans lequel nous vivons. Ce n’est pas en soi un problème. Après tout, notre foi ne doit-elle pas répondre, engagée, aux défis du monde dans lequel Dieu a voulu nous placer ? Que The Chosen reflète nécessairement notre société ne signifie pas que la série est le reflet de « l’esprit du monde » !
Je suis par exemple frappé que The Chosen ait choisit de sur-accentuer la vie d’équipe des disciples. J’ai trituré cette phrase dans tous les sens avant de l’écrire. Au début je voulais écrire que The Chose avait sur-accentué la « vie communautaire » de Jésus et ses disciples. Mais ce n’est pas tout à fait cela. Ce qui est mis en avant c’est plus que simplement la communauté que forment Jésus et ses disciples : c’est leur vie d’équipe. L’un des exemples les plus clairs, c’est le sermon sur la montagne. The Chosen choisit de présenter l’un des plus grands discours de Jésus comme une œuvre d’équipe entre Jésus et Matthieu. Alors… je ne veux pas sur-estimer ce que fait la série dans ce dernier épisode de la saison 2. Jésus est bien présenté comme celui qui est au cœur du Sermon sur la montagne. Et cependant… tout respire la vie d’équipe. Or, à la lecture des Evangiles, je ne suis pas certain que ce soit tout à fait le cas. Possible… pas certain… justement parce que les Evangiles ne disent pas tout, et que la lecture de The Chosen est marquée par notre contexte social. Bien sûr, nous sommes dans une société qui recherche et valorise la vie d’équipe. Voir Jésus comme l’un des plus grands leaders, chefs d’équipe, c’est précisément une image de notre société.
Mon problème n’est pas avec la liberté créative de la série. Du moment qu’il y a adaptation, il y a liberté… ou alors il faut refuser le don de la créativité. Ma gène principale ici, c’est qu’en faisant du Sermon sur la montagne une œuvre de collaboration, The Chosen ne peut que sous-estimer la portée radicale de ce que Jésus enseigne. Dans les Evangiles, les signes et enseignements de Jésus sont bien plus que des enseignements marqués par l’amour, la compassion, et la sagesse. Signes et enseignements sont l’annonce que Dieu introduit une nouvelle réalité dans l’histoire du monde. En accentuant une cette vie d’équipe, The Chosen doit faire du ministère de Jésus quelque chose de plus collaboratif que ce que la radicalité de son message pouvait produire. Je ne suis même pas certain de trouver les bons mots pour expliquer ce que j’ai dans la tête alors que j’écris ces lignes.
Si une nouvelle réalité s’était approchée dans les pas de Jésus, au point où même les mort ressuscitent avant le « dernier jour »… devons-nous comprendre la communauté des disciples comme une vie d’équipe au sens contemporain ? N’y a-t-il pas plus que cela et aussi… beaucoup moins que cela ? Dans une sens peut-être mystérieux, le message et les signes de Jésus étaient-ils saisis, appréhendés, par ses disciples ? – disciples que les Evangiles nous présentent souvent comme devant se rappeler de ce que Jésus avait fait et dit.
Une deuxième impression que me laisse The Chosen, c’est que Jésus est venu pour faire de nous ce que nous devrions être. Ce n’est pas une impression que j’ai avec tous les épisodes mais ici et là, l’attitude de Jésus me semble très proche du « coach personnel » qui vient nous guérir de ce qui nous a brisés. C’est peut-être d’ailleurs l’image qui me vient le plus naturellement quand je pense à The Chosen. Nous sommes des êtres que les conditions de la vie ont brisé… Jésus vient nous reconstruire.
Dans un sens, oui bien sûr. Cette femme, atteinte de perte de sang depuis douze ans (Mt 9.20 s.), ces lépreux mis au ban de la société, et même Matthieu, collecteur d’impôt mi-traître mi-collabo… ils sont tous affectés par des circonstances qu’ils n’ont pas choisies. Nous le sommes tous. Et oui, ces circonstances sont la manifestation de la marque profonde du péché. Nous sommes souvent, très littéralement, brisés par ce que la vie nous lance à la figure. Nous sommes des êtres brisés.
Mais ce qui me manque c’est une proclamation beaucoup plus directe et radicale du péché qui nous habite. Entendre une parole restauratrice et libératrice : « Va, tes péchés te sont pardonnés ! » Voilà ce qui est le plus radical. L’accent de The Chosen n’efface pas cela, mais l’amoindrit plus que nécessaire.
J’ai choisi ici une approche qui discute certains points, disons théologiques, de The Chosen. On pourrait me répondre que la série n’est pas un commentaire approfondit de l’Evangile. C’est vrai. Et c’est d’ailleurs pour cela que je ne l’utiliserai pas en évangélisation : c’est déjà une certaine interprétation du texte !
Et c’est là mon dernier souci, et le plus théologique, voir philosophique. Les images ont un pouvoir sur notre compréhension et notre imagination que nous sous-estimions toujours. Certains théologiens, y compris dans la période médiévale, étaient convaincus que la connaissance commençait avec des images et des représentations. On pourrait dire que l’image est le début de notre connaissance. Si c’est le cas, alors l’image de Jésus ne peut qu’impacter notre connaissance de lui. Il est très difficile de nous séparer du visuel. Lorsque nous avons vu l’adaptation cinématographique de notre livre préféré, nous avons du mal à faire abstraction de ce que nous aurons vu. Nous aurons tendance à interpréter et lire le livre en fonction des images.
C’est la même chose pour les Evangiles. C’est la raison principale de mon hésitation à propose de The Chosen. Mon souci principal vient donc de ce que nous pouvons appeler la philosophie de la connaissance. C’est aussi un souci qui concerne notre lecture de la Bible. Plus nous avons d’images de Jésus en tête… plus il nous sera difficile de lire et entendre le texte pour lui-même. Parfois ce sera de « petites touches » que nous oublierons, comme la répartie un poil plus directe de Jésus à sa mère lors du mariage à Cana : « Que me veux-tu, femme ? ». Parfois ce sera peut-être plus important. De toute façon, il faut encore attendre la conclusion de la série.
The Chosen… à regarder ou pas ? Franchement, ce n’est pas mon rôle de dire ce qu’il convient de regarder ou non. Du point de vue purement technique, je remarque la grande avancée que The Chosen représente par rapport à d’autres productions chrétiennes. Pour le reste ? Il y a quand même plusieurs choses qui me font hésiter à faire de The Chosen le véhicule évangélisateur ou apologétique que certains (je trouve) en font.
Dans tous les cas, que nous regardions ou pas… restons nourris de cette Parole que Dieu lui-même a voulu nous laisser. Prenons, lisons, écoutons… et soyons transformés !
« The Chosen » est disponible gratuitement sur le site de la production Angel Studios, sans entrelardage publicitaire et sans qu’il soit nécessaire de créer un compte, en version originale anglaise sous-titrées dans toutes les autres langues (dont le Français) pour les deux premières saisons. Pour la saison 3, la VF n’est disponible que pour les épisodes 1-2, 5-8.