Qui sont les évangéliques ? Sont-ils « à la conquête du monde » ? Un documentaire sur Arte

Surtout ne pas condamner d’emblée, sans l’avoir vu, sur la base du seul titre (que l’on pourra juger racoleur) ou de simples « ouï dire ».

Surtout ne pas céder au réflexe victimaire/du repli identitaire, en mode « encore un film sur les Evangéliques ! », « c’est signé ! », « pauvres de nous », etc…

Mais avant tout, prendre le temps de le regarder avec « un coeur loyal, honnête et bon » (Luc 8v15), et avec la noblesse des Béréens (Actes 17v11), pour apprécier la démarche historique et sociologique de ce documentaire fort bien réalisé et documenté, susceptible de nourrir toute une série de questionnements, comme d’ouvrir un débat nécessaire sur des points que l’on ne peut éluder.

En trois volets et intitulé “Les évangéliques à la conquête du monde”, il est accessible en ligne sur le site d’Arte depuis le 28 mars et visible jusqu’au 09 juin 2023, et sera diffusé en direct sur la chaîne mardi soir 4 avril, à 20h55.

Si « les évangéliques à la conquête du monde » est susceptible d’en attrister plusieurs, puisse cette tristesse être celle « selon Dieu », laquelle « produit un repentir qui conduit au salut et ne laisse pas place au regret », alors que « la tristesse selon ce monde produit la mort » (2 Cor.7v10). Ainsi, en nous laissant éclairer par le Saint-Esprit, dont le premier travail est de nous « convaincre de péché, de justice et de jugement », nous serons en mesure de discerner si notre témoignage est fidèle et véritable, ou si nous sommes en décalage avec la pensée et le projet de Dieu.

Et si le documentaire est de nature à en mettre d’autres en colère, susceptibles de qualifier cette démarche de « trahison », puisse cette colère être mieux ajustée, du fait de la description du « processus d’une véritable trahison de l’identité évangélique, par une recherche de pouvoir et une collusion coupable avec le monde politique, souvent accompagnées d’une prospérité financière indécente »(pour reprendre la formule de Vincent Mieville dans sa note de blogue sur le documentaire).  Et comment les disciples de Jésus-Christ ne pourraient-il pas considérer « comme une trahison » une telle collusion, vu que c’est justement la collusion entre le religieux et le politique qui a conduit à la condamnation à mort de leur Seigneur ? (Marc 3v6)

Puisse cette colère être aussi celle de Jésus, constatant à quel point le temple, « la maison de son père » et « maison de prière pour tous les peuples », a été détourné en « caverne de voleurs ». Cette colère l’ayant conduit au grand ménage décrit dans les Evangiles, il nous invite aujourd’hui à nous positionner clairement, vu qu’il est impossible de servir « dans le même temps » Dieu et Mamon – la seule divinité que Jésus appelle par son nom (Matt.6v24).

Une mise en garde utile contre un mouvement idéologique qui menace, non seulement les fondements démocratiques, mais aussi ce qui fait le coeur et le sens de la foi chrétienne biblique. Car les chrétiens, qu’ils soient d’expression évangélique ou autres, ne sauraient « se vendre » ou être « achetés » par une puissance, qu’elle soit politique, religieuse ou économique (ou les trois à la fois !), car « c’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés. Tenez donc ferme et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l’esclavage » (Gal.5v1) et « quelqu’un a payé le prix de votre rachat : ne devenez pas esclaves des hommes » (1 Corinthiens 7v23). 

Les 3 épisodes, avec quelques commentaires :

L’Episode 1, intitulé « La grande croisade », raconte comment, de la guerre froide à nos jours, l’expansion de l’évangélisme a favorisé l’émergence d’un fondamentalisme chrétien.

Sont présentés les évangéliques et leurs origines, non pas en Amérique, mais en Europe, dès la Réforme au XVIe siècle et leurs principales caractéristiques. Une partie historiquement intéressante – quoique trop courte à mon goût – défend la thèse selon laquelle il y a, dès le début de son histoire, deux évangélismes. Comme l’explique l’un des co-auteurs et sociologue des religions Philippe Gonzalèz à l’hebdo Réforme (N°3988, 30/03/23) : « tout part d’un constat : l’évangélisme est l’un des courants religieux les plus dynamiques à travers le monde. Si les évangéliques ne constituent pas un bloc homogène, une frange importante, majoritaire aux États-Unis, a fait de la défense de certaines « valeurs » un combat social, politique, qui dépasse de très loin le seul cadre religieux. Pour tenter d’y voir plus clair, nous avons essayé de mettre en regard deux traditions distinctes au sein de l’évangélisme. L’une remonte à Roger Williams (1603-1683), chantre de la tolérance religieuse, qui a toujours prôné une stricte séparation entre l’Église et l’État. L’autre puise son inspiration chez les puritains, à la même époque : c’est une tradition davantage hégémonique, qui a profondément imprégné le fondamentalisme américain du début du siècle dernier. Nous avons souhaité décrypter comment ce dernier s’est attaché à politiser la religion, notamment à partir de la création en 1942 de la National Association of Evangelicals américaine (NAE), qui va populariser la nouvelle acceptation du terme évangélique ».

Lire l’article de Réforme :

Puis, le documentaire montre comment, avec la guerre froide, le prédicateur et évangéliste Billy Graham donne à cet objectif un formidable élan. Sillonnant le globe au fil de « croisades » anticommunistes d’évangélisation, il galvanise des meetings géants au service des présidents conservateurs, d’Eisenhower à Nixon. Opposé à la ségrégation, il se tient pourtant à l’écart du mouvement pour les droits civiques emmené par Martin Luther King, « manquant d’entrer dans l’histoire », selon l’analyse des auteurs du documentaire. Après le scandale du Watergate ayant conduit à la démission de Richard Nixon, il s’estime trahi et se retire de la politique intérieure pour se consacrer au reste du monde, visitant au total 185 pays. Dans son sillage, la dynamique d’expansion se poursuit et les « méga-églises » se multiplient en Corée du Sud, au Brésil ou au Nigeria

Le deuxième épisode« Les évangéliques au pouvoir » – raconte comment, dans les années 1970, le retrait de Billy Graham laisse la place à des figures américaines plus radicales, comme le télévangéliste Jerry Falwell ou le théologien Francis Schaeffer. Sous leur égide, l’influence d’une droite chrétienne centrée sur la défense des valeurs familiales favorise en 1980 l’élection de Ronald Reagan.  La lutte contre l’avortement devient le fer de lance du combat évangélique contre la sécularisation de la société. Quarante ans après, les élections de Trump et Bolsonaro, en 2016 et 2018, illustrent la puissance du mouvement, notamment au Brésil, qui fut longtemps la plus grande nation catholique au monde.

L’on apprend notamment (ce qui sera peut-être une surprise pour certains) l’origine de l’engagement politique des évangéliques américains, lequel n’est pas l’avortement, mais…..la ségrégation(1). 

Tout aussi édifiants dans cet épisode, les témoignage de quelques évangéliques d’alors, ayant pris aujourd’hui leur distance, voir même étant entrés en résistance. C’est le cas de Frank Schaeffer (fils de Francis Schaeffer, théologien évangélique bien connu) qui revient sur son implication dans la réalisation de films pour les campagnes anti-avortement de la fin des années 70, qu’il décrit aujourd’hui comme des films de propagande à visée politique. Ou encore le docteur Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes » et prix Nobel de la Paix en 2018. Ou encore Robert Schenk, pasteur activiste de la majorité morale dans les années 80-90, évoquant les méthodes manipulatrices qu’il utilisait alors, jouant sur les peurs [NDLR : et qui apparaît notamment dans le documentaire « les armes de lumière »]

Le troisième épisode« Dieu au-dessus de tout ? » – se focalise sur le nationalisme évangélique américain, teinté de suprémacisme blanc, et veut montrer les liens entre ce dernier et l’extrême-droite identitaire et nationaliste en Europe (notamment en France, avec Eric Zemmour et Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen, et en Hongrie, avec son premier ministre Viktor Orban) agitant l’épouvantail du mythe du « grand remplacement »(2).

Une partie qui pose question : Quel impact de cette idéologie nationaliste identitaire sur l’évangélisme français en particulier et européen en général ? Que cherchent à démontrer les auteurs du documentaire ? [Philippe Gonzalez, l’un des co-auteurs, s’en explique heureusement dans cette interview à lire sur le site reformes.ch, découverte grâce au pasteur suisse Philippe Golaz, que je remercie]

Malheureusement, ce dernier tiers nous a paru expéditif, au risque de généralisation et d’amalgame avec les évangéliques français, comme le pointe la Fédération Protestante de France dans un communiqué du 30/03/23, même s’il convient d’être aussi lucide sur certaines réalités, et aurait mérité un quatrième épisode à lui tout seul pour un meilleur traitement (3).

Conclusion :

Enfin, sachant que dans « évangélique », il y a « évangile », le documentaire nous invite à réfléchir aux conséquences, pour notre foi, de la voir vidée de son sens, en étant accaparée, confisquée et instrumentalisée à des fins idéologiques et partisanes.

Comment manier « l’épée de l’Esprit, qui est la Parole de Dieu » (Eph.6v17), pour couper tout lien inapproprié, amalgamant « évangélique » avec politique et nationalisme ?

Faut-il, comme certains s’interrogent, promouvoir un évangélisme dit « progressiste, d’ouverture et de liberté » [qui existe, partout dans le monde, y compris en France], tout en assumant pleinement une proclamation de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ ?  En clair, croire possible de passer d’une idéologie politique et sociale à une autre, censée être beaucoup plus « évangélico-compatible » ?

A moins que celles et ceux qui reconnaissent Jésus-Christ comme seul Sauveur et Seigneur, décident de se positionner uniquement là où Christ les attend : soit, à Sa suite et en Son Nom (= « Dieu sauve » et « Dieu élargit »), relever Son défi inclusif face à nos tentations exclusives en élargissant les horizons de nos frères et de notre prochain.

En bref : « Les évangéliques à la conquête du monde »,  un documentaire réalisé par Thomas Johnson, écrit par Thomas Johnson et Philippe Gonzalez Trois épisodes de 52 minutes, diffusé le 4 avril à partir de 20h55 sur Arte et disponible en ligne sur le site de la chaîne. Avec les interventions, entre autres, de Robert Jeffress (Pasteur de First Baptist Dallas et trumpolâtre ardent), Paula White (ex-conseillère de Donald Trump, prêchant la théologie dite « de la prospérité »), Franklin Graham (fils de Billy Graham et partisan de Trump), Randall Balmer (historien des religions, Dartmouth college), Darren Dochuk (professeur d’histoire à l’université Notre Dame), Shane Clairborn (co-fondateur des « Red Letter Christians » et auteur de « Vivre comme un simple radical » (Ed. Première Partie, 2010), Jerushah Duford (petite-fille de Billy Graham, qui dénonce la politisation de la figure de son grand-père)……..

Mise à jour le 07/04/23

Notes :

(1) Dans son livre « Bad Faith : Race and the Rise of the Religious Right » (« Mauvaise foi : race et émergence de la droite religieuse »), l’historien Randall Balmer repousse l’idée que l’arrêt Roe v. Wade concernant l’avortement soit à l’origine de l’engagement des évangéliques dans l’action politique, la décrivant comme un mythe. Balmer affirme que le facteur déterminant était, en fait, la réaction des conservateurs religieux aux initiatives de l’administration visant à supprimer les exonérations fiscales accordées à des écoles privées perpétuant la ségrégation raciale et gérées par des groupes religieux. (Cf https://www.politico.com/magazine/story/2014/05/religious-right-real-origins-107133/ ; https://www.thedailybeast.com/segregation-is-still-alive-at-these-christian-schools et https://www.christianitytoday.com/ct/2022/may-web-only/russell-moore-avortement-roe-rechercher-evangelique-fr.html). Parmi ces écoles, la Lynchburg Christian Academy de Jerry Falwell et l’université Bob Jones de Greenville. Voir l’arrêt Green versus Connally de 1971, dans lequel la Cour suprême des États-Unis décida de refuser l’exonération fiscale à toutes les écoles privées de l’État du Massachusetts pratiquant la ségrégation raciale, et ordonna, par la même occasion, au fisc (Internal Revenue Service) d’appliquer cette mesure à tous les établissements privés ségrégationnistes du pays.  Balmer n’est pas le seul à défendre cette thèse. Il y a près de 30 ans, l’historien Godfrey Hodgson citait le pasteur Ed Dobson, un fidèle collaborateur du chef de file évangélique Jerry Falwell père, affirmant : « La nouvelle droite religieuse n’est pas née d’une préoccupation pour l’avortement. J’étais assis dans l’arrière-salle sans fumée de la Majorité morale, et je ne me souviens franchement pas que l’avortement ait jamais été mentionné comme une raison pour laquelle nous devrions faire quelque chose. »

Un fait également évoqué dans cette édition de l’émission « Hautes Fréquences », sur la RTS suisse, avec les co-auteurs du documentaire « Les Evangéliques à la conquête du monde » et le pasteur évangélique Philippe Henchoz.

(2) Cf https://www.20minutes.fr/monde/3131195-20210923-hongrie-eric-zemmour-marion-marechal-invites-viktor-orban-sommet-anti-immigration ; https://www.lejdd.fr/Politique/le-discours-tres-politique-de-marion-marechal-le-pen-aux-etats-unis-3582542 ; https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/conservatisme-budapest-un-sommet-sur-la-famille-avec-eric-zemmour-marion-marechal-et

(3) Ainsi un segment avec le pasteur Ivan Carluer, dont on ne comprend pas trop ce qui a pu motiver la démarche d’inviter Christine Kelly [ex-membre du CSA et animatrice, depuis 2019, de l’émission controversée « Face à l’info », sur la non moins controversée CNews, aux côtés du polémiste d’inspiration maurassienne Éric Zemmour] à venir sur la scène de l’église évangélique MLK de Créteil. Et surtout, dont on ne comprend guère la pertinence avec ce qui précède [concernant le nationalisme chrétien américain] faute d’éléments de contexte suffisants. Je reviens sur cet événement ici pour expliquer ce qui m’a paru problématique à l’époque.

4 réflexions sur “Qui sont les évangéliques ? Sont-ils « à la conquête du monde » ? Un documentaire sur Arte

  1. Cher frère Comme d’habitude très bon article, équilibré avec les soucis de nous faire réfléchir, soyez béni ! Denis Cognet

    Envoyé de mon iPhone

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