Réforme des retraites : Quelques rappels utiles pour comprendre la décision du Conseil Constitutionnel

Le Jugement de Salomon, par Nicolas Poussin (1649). Musée du Louvre. Richelieu, 2ème étage, salle 14.

Comme annoncé et attendu, le Conseil constitutionnel a rendu, le 14 avril, ses deux décisions relatives à la loi réformant le système des retraites [texte adopté lundi 20 mars par l’Assemblée nationale, sans vote, après recours à l’article 49-3], ainsi que la recevabilité de la demande de référendum d’initiative partagée (RIP). Validée – partiellement – par le Conseil constitutionnel le 14 avril, la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (LFRSS) a été promulguée et publiée le 15 avril au Journal officiel.

Ceci dit, voici quelques rappels utiles pour comprendre cette décision du Conseil constitutionnel – rappels valables quelle que soit sa décision – par le juriste blogueur Maître Eolas dans un « thread » posté le 14/04/23 (avant la décision du CC) sur son compte twitter : 

« Le Conseil Constitutionnel, même s’il est composé de ce que les journalistes appellent des « sages », ne substitue pas son appréciation à celle du législateur (et ce même si celui-ci n’a jamais voté la loi comme ici). Il juge de la conformité de la loi à la Constitution, que ce soit sur la forme (le processus d’adoption) ou le fond (sa conformité avec le bloc de constitutionnalité que sont la Constitution et les textes visés par son préambule, dont la déclaration des droits de l’homme. 

Oui, il juge. Quel que soit le ou les bords mécontents ce [fameux] soir, vous allez immanquablement entendre des attaques contre le Conseil sur le fait « qu’il est politique » et n’est pas une juridiction. Ce n’est pas vrai. C’est une tarte à la crème, qui a l’avantage d’être toujours prête. Nous avons plus de 50 années de jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui montre une certaine cohérence dans ses prises de position indépendamment des membres qui le composent. Assez pour que des universitaires prennent la peine d’étudier et enseigner ces décisions, et écrire des traités là-dessus. On peut ne pas être d’accord avec ses décisions, mais leur respect (=leur application) s’impose, c’est la Constitution qui le dit. 

Les mécontents de ce soir rappelleront le mode de désignation des membres : trois désignés par le président de la république, dont le président du conseil, trois par le président de l’assemblée, et trois par le président du Sénat. Outre que ces nominations sont désormais contrôlées par le parlement, c’est oublier que ces désignations sont pour neuf ans, que le conseiller est inamovible, et son mandat n’est pas renouvelable. Donc pas de moyens de pression. 

La décision qui sera rendue sera motivée en droit, c’est à dire que le Conseil va expliquer ce qui était reproché au texte, ce qu’il pense de ces critiques, et les conséquences qu’il en tire, en se référant à ses décisions antérieures pour être cohérent. Les revirements sont possibles mais ils sont rares.  De manière générale, le Conseil a toujours, depuis son émancipation de 1971, protégé la souveraineté du parlement. Le législateur a un pouvoir d’appréciation sur le contenu de la loi, et le Conseil a toujours refusé de substituer son appréciation à celle du parlement. Ca ne changera pas aujourd’hui. Même si les 9 membres étaient contre la réforme Macron, ils pourraient quand même la valider. Toute lecture politique, du genre règlement de compte de Laurent Fabius [le Président du Conseil Constitutionnel] qui n’aime pas Macron, sera immanquablement inexacte. On fait du droit rue Montpensier, pas de la télé réalité. 

Le Conseil a un tropisme profondément conservateur. En témoigne son invention des droits de l’homme à retardement, quand il juge qu’une loi viole des droits fondamentaux, mais que ce n’est pas grave, pendant un an on va continuer car sinon c’est le (bazar). Allant jusqu’à interdire aux victimes de cette violation de leurs droits de s’en prévaloir. Il protège l’ordre et l’autorité de l’Etat avant les droits individuels. Jamais la Cour Suprême des Etats-Unis n’aurait osé faire ça. Donc pour que le Conseil censure dans le cadre d’un recours avant promulgation, comme c’est le cas ici, il faut une violation assez flagrante des règles constitutionnelles qu’il applique régulièrement ».  

C’est ainsi que Maître Eolas ne voit « pas comment le Conseil pourrait ainsi censurer le passage de la retraite à 64 ans en raison du contenu de cette disposition. Ce d’autant que cet âge était de 65 ans jusqu’en 1981. 

Le fait de ne pas être d’accord, ou même s’il était démontré l’inutilité ou l’inefficacité de la mesure, ne sont pas des motifs de censure, car c’est une critique politique, pas juridique.  La contrepartie est que quand le Conseil Constitutionnel dit qu’un texte est conforme à la Constitution, ça ne veut pas dire qu’il l’approuve, qu’il est d’accord, « que le texte est bien », ou que son contenu repose sur des prémices exactes. Le Conseil Constitutionnel (s’en moque) : ça c’est (le travail) du parlement. 

Donc, et j’en finis là, quelle que soit la décision ce soir, ignorez aussi bien les critiques qui diront que le Conseil constitutionnel « fait de la politique et pas du droit », et ignorez les déclarations du gouvernement qui dira que le Conseil constitutionnel, s’il ne censure pas l’intégralité du texte (et c’est probablement le cas), a confirmé que le gouvernement avait eu raison de procéder comme il a procédé. 

Ah, et non, il n’y a pas de censure sur des points de détail : toute déclaration de non conformité devrait faire monter le rouge au front de celui ou celle qui a écrit le texte censuré et imposer de profondes et sincères excuses au peuple de sa part.

Enfin, Non, le Conseil n’a pas validé la réforme. Il n’a pas validé tout ce qu’il n’a pas censuré. Il n’a validé que ce dont il était saisi. Voici les articles qu’il a validés :

Tout le reste peut être attaqué par voie de QPC [Question prioritaire de constitutionnalité] ».

Aller plus loin : Pour comprendre pourquoi « un peuple libre est un peuple qui honore la justice », lire notre méditation biblique de Deutéronome 1v9-18.

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