Rire d’un roi

La leçon sur le rire qui va suivre n’est pas celle de Bergson.

 

Le rire est une forme d'humilité

Le rire est une forme d’humilité

Napolitain né en 1950, ancien ouvrier-maçon, poète et romancier, Erri De Luca est un bien singulier personnage, qui entretient avec le judaïsme et le christianisme des rapports tout aussi singuliers et paradoxaux : ancien militant d’extrême gauche, il est fasciné par la Bible au point d’avoir appris l’hébreu en autodidacte et pratiqué l’herméneutique biblique depuis une vingtaine d’années(travail que l’on peut découvrir dans “Noyau d’olive”, “première heure”, “Et il dit”, “les saintes du scandale”….disponibles en poche, collection Folio)*.
Néanmoins, et c’est le paradoxe, le lecteur assidu des Ecritures Saintes “dans le texte” se considère, non comme un « athée », mais comme « quelqu’un qui ne croit pas »(cf “Première heure”, Folio, pp11-12). La faute à ces deux verrous : l’incapacité « à s’adresser à Dieu » et à  pardonner(“Noyau d’olive”, Folio, pp9-12)**.

Ceci dit, il reste mon auteur préféré***. Et il est absolument à découvrir.

Le 4 mai dernier, au cours de ma lecture de “Noyau d’olive”, je tombe sur ce texte sobrement intitulé “Rire”(op cit, p 81). Le rire de la joie. Cela tombe bien, car je suis particulièrement attiré par ce thème de la joie.

Le rire de la joie, celui du roi David, dansant devant l’arche et adorant Dieu “de toute sa force”(2 Sam.6v14-23). Voici ce qu’écrit à ce sujet Erri de Luca : David “rit : tel est le verbe joyeux et effronté qu’on ne peut contourner ni réduire à un divertissement. C’est un rire prolongé et déchaîné de la part d’un roi qui, le premier à avoir conquis la ville sainte, y conduit la plus précieuse fabrication sacrée, la caisse de bois d’acacia contenant les Tables de la Loi(…)Mikal, la fille du défunt roi Saül et femme de David, voit la scène de sa fenêtre et a honte de lui, de son attitude inconvenante de bouffon, de saltimbanque de Dieu. Elle va à sa rencontre avec tristesse et lui fait ouvertement le reproche de s’être rabaissé, d’avoir perdu toute majesté devant ses sujets. Elle a reçu l’éducation d’une princesse et veut donner une leçon de tenue à son époux qui, lui, en revanche, était un simple berger. David revendique le fait d’avoir ri devant Dieu(2 Sam.6v22)….en s’abaissant encore plus, et il ne sera pas méprisé pour cela, il n’en sera de même que plus respecté. David enseigne ici à Mikal que le rire**** est une forme d’humilité(…)celui qui s’en prive pour garder une contenance est un orgueilleux qui se retranche dans une présomptueuse dignité. La magnifique leçon de David sur le rire se termine par une dure conclusion(pour Mikal cf 2 Sam.6v23). Son royal mépris devient un étau qui serre ses entrailles. Pour faire des enfants, pour être féconde, il faut des ris. On jette des grains de riz aux mariés en signe de fécondité.

David s’est tordu de rire en face de Dieu(…)Ce n’était pas un manque de respect, mais une intensité d’adhésion physique, summum de participation totale de toutes ses fibres à la prière. Le corps loue le créateur en exultant. En récompense de cette dévotion, il est permis à David d’entendre, lui et pas un autre, le rire de Dieu. Dieu rit : avec le même verbe que celui de son serviteur, celui des hommes. David parle de cette expérience dans certains psaumes[Dieu rit des rois de la terre dans le Ps.2v4 ; de l’impie dans le Ps.37 ; des peuples entiers dans le Ps.59]…..Le plus beau rire de toute l’Ecriture Sainte [dans l’Ancien Testament]se trouve dans le livre des Proverbes, au chant de la sagesse, où la sagesse elle-même dit avoir été aux côtés de Dieu pendant la création : “et moi je fus ses joies jour après jour, riant devant lui en tout lieu. Riant dans le monde sur la terre”(Prov.8v30-31).

Albert Einstein, tirant la langue à ceux qui lui tirent le portrait...

« …Le savant qui ne rit pas ne peut découvrir, ni imaginer le monde »(Portrait d’Albert Einstein en 1951, tirant la langue à ceux qui lui tirent le portrait…)

La fabrication fondamentale de l’univers s’est accompagnée d’une sagesse souriante. Le renfrogné, le savant qui ne rit pas, ne peut découvrir, ni imaginer le monde”.(op cit pp 81-84)

Vérité proclamée par le Seigneur Jésus-Christ Lui-même, lequel, nous dit l’Ecriture[dans le Nouveau Testament], “tressaillit de joie[ou exulta] par le Saint Esprit, et il dit : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. Oui, Père, je te loue de ce que tu l’as voulu ainsi. »(Luc 10v21).

Le propre de l'enfant, c'est l'émerveillement

Le propre de l’enfant, c’est l’émerveillement

 

“Je te loue, Père…” : le propre de l’enfant est l’émerveillement. Soyons donc “sage dans l’entendement”, purs comme des enfants(1 Cor.14v20) et émerveillons-nous.

“Livrons-nous entièrement à la joie” : l’Eternel nous le commande(Deut.16v15). Adorons-le « de toute notre force ».

“La joie de l’Eternel sera(notre)force”(Neh.8v10)

 

 

Notes :

* Il est également l’auteur de traductions de la Bible: Kohèlet (1996), Il libro di Rut (1999), Vita di Sansone dal libro Giudio/Shoftim (2002), Vita di Noé/Nòa (2004)…Voir à ce sujet, dans “Comme une langue au palais”, Arcade, Gallimard, recueil de onze préfaces à ses traductions de la Bible, dans lesquelles il commente certains passages et les met en parallèle avec l’histoire contemporaine.

**Sur Erri de Luca, voir http://cei.revues.org/200 et http://legrand8.wordpress.com/2007/06/25/interview-erri-de-luca/

*** Auteur dont nous avons déjà parlé ici ou , sur ce blogue.

**** Le rire, et non pas la moquerie. Si le rire est une forme d’humilité, la moquerie est une arme au service des puissants, et au mépris du faible, de celui qui est différent.