« Tricho » ou « dicho » : « bullshit débat » ?

Dans une perspective pastorale, l’approche « trichotomiste » permet un traitement holistique, ainsi qu’un vrai discernement de ce qui est l’ordre du « psy » et du « spi »….

A l’instar des « bullshits jobs », mis en lumière par l’anthropologue David Graeber (1961-2020) dans son célèbre ouvrage éponyme(1), il existe des « bullshits débats » (ou « débats vains »). La définition est à peu près la même : un débat à ce point inutile, absurde, stérile, voire néfaste, qu’il n’est pas possible d’en justifier l’existence, et dont l’absence ne nous priverait pas, bien au contraire !

Ainsi, « à titre d’exemple », ce type de questionnement – « L’être humain est-il « corps, âme et esprit » ou « corps et âme/esprit » ? Faut-il privilégier les représentations « Tricho » ou « dicho » tomistes de l’homme ? » – serait-il typique de ces nouveaux débats stériles, qui n’auraient aucune conséquence sur notre relation à Dieu ?, comme se le demande Michaël Demange, pasteur baptiste, en introduction à son article consacré sur ce sujet et publié sur Point théo(2).

Effectivement, il s’agit bien là d’un nouveau « débat stérile » ou de « débat vain ». Et Michaël, pour qui l’approche « dichotomiste » répondrait mieux aux données bibliques, aurait pu s’en tenir là.

Malheureusement, il ne s’en tient pas là, souhaitant évoquer dans son argumentaire « quelques incidences » lui paraissant « loin d’être anodines sur la spiritualité chrétienne et sur la pratique de l’accompagnement pastoral ».

« Penser l’être humain en trois parties (le corps matériel, l’âme et l’esprit immatériels) est considéré comme assez naturel », constate-t-il. Avant d’opposer une anthropologie trichotomiste dite « irrationnaliste » [parce que cette anthropologie, « dans sa version contemporaine »(sic), réserve à l’âme les activités psychiques (intelligence, émotions, volonté…) et à l’esprit la dimension spirituelle, la relation avec Dieu] à une trichotomie dite « rationaliste » (« représentée par quelques Pères de l’Église »), parce qu’elle place « l’intelligence dans l’esprit, au cœur donc de la relation au divin ».

D’autre part, persuadé que l’approche « trichotomiste » impliquerait « un rapport dualiste au monde »(sic)(3), et que « la trichotomie irrationaliste » entraînerait une rupture de l’unité en l’être humain », il cite « à titre d’exemple » de cette trichotomie irrationnaliste la pratique d’accompagnement spirituel mise en place par le Pasteur Gilles Boucomont au sein de l’Eglise réformée du Marais à Paris[mais aussi à Belleville, où il exerce actuellement], et relatée dans son ouvrage « au nom de Jésus : libérer le corps, l’âme, l’esprit » (Editions Première Partie). Cette pratique d’accompagnement, d’abord « maison », est aujourd’hui enseignée via le ministère Libérer!, dont nous avons déjà parlé sur ce blogue (4).

Au final, pour avoir lu et relu les ouvrages de Gilles Boucomont depuis 2014 et pour avoir suivi les trois modules de la formation Libérer depuis 2016 [Je bénéficie actuellement depuis juillet 2020 de la formation continue « Libé + zoom »], je peux dire que nous avons là un article plutôt réducteur des propos de Gilles Boucomont [Michaël a certainement dû lire en diagonal « Au Nom de Jésus : libérer le corps, l’âme, l’esprit »], manifestant une incompréhension totale de la représentation trichotomiste (ou tripartite) défendue dans le ministère Libérer! Par ailleurs, le type de classification, telle qu’effectuée par Michaël, dénote d’une méconnaissance flagrante de l’existence d’une vision trichotomiste ou tripartite judéo-hellénistique (notamment présente dans les écrits de l’apôtre Paul).

Quoiqu’en dise Michaël, la vision tripartite de l’être humain (corps, âme, esprit), finalement assez répandue en Occident depuis 2000 ans [et non purement « contemporaine »], a tout de même eu la faveur des courants majoritaires du judéo-christianisme [les 5 derniers siècles av JC et le Christianisme naissant jusque dans les années 1200’s]. D’autre part, l’approche de Michaël passe sous silence que, dans la Bible, certains textes sont manifestement plutôt « bipartites », considérant que l’homme est corps et souffle (âme et/ou esprit), quand d’autres sont « tripartites » (corps, âme, esprit : par ex, « Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même tout entiers, et que tout votre être, l’esprit, l’âme et le corps, soit conservé irrépréhensible, lors de l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ ! » dans 1 Thessaloniciens 5v23).

Ensuite, il conviendra de discerner si les termes que nous utilisons pour « âme » et « esprit » sont tirés des représentations gréco-romaines ou de la représentation sémitique et hébraïque, et si notre français rend bien justice au bon sens des termes « âme » et « esprit ». Mais l’important reste la représentation qui avait cours à l’époque de Jésus-Christ, laquelle est à la charnière entre nos deux racines hébraïque et grecque.

Enfin, si l’on se place dans une perspective pastorale,  l’approche trichotomiste ou tripartite – qui considère que Dieu nous a fait corps, âme, esprit – me paraît pertinente, en ce qu’elle nous aide à discerner si nous avons à faire à du somatique, du psychique ou du spirituel, comme à un « traitement holistique », et permet un vrai discernement/distinction de ce qui est l’ordre du « psy » et du « spi », sachant qu’aucun de ces domaines n’est véritablement étanche. Confondre l’un et l’autre me paraît compliquer la tâche d’accompagnement pastoral et de libération.

Au final, si le ministère Libérer! privilégie l’anthropologie tripartite à partir d’une pratique de délivrance, c’est parce qu’elle correspond parfaitement à ce que ce qui est expérimenté dans ce cadre. Des milliers de gens libérés sur cette base peuvent en témoigner. Il serait donc plus sage de ne pas se tromper de combat et de ne pas renverser leur expérience, par ailleurs bibliquement fondée, au risque de décrédibiliser une œuvre de Dieu(5).

 

« Jean lui dit: Maître, nous avons vu un homme qui chasse des démons en ton nom; et nous l’en avons empêché, parce qu’il ne nous suit pas. Ne l’en empêchez pas, répondit Jésus, car il n’est personne qui, faisant un miracle en mon nom, puisse aussitôt après parler mal de moi. Qui n’est pas contre nous est pour nous.… »(Marc 9v38-40)

 

Notes :

(1)Voir https://phileosophiablog.wordpress.com/2019/09/10/de-vacivae-industriae-des-jobs-vains/

(2) Voir https://point-theo.com/letre-humain-corps-et-ame-un-debat-sterile/

(3) Face à une logique d’affrontement d’un monde « binaire » (« bon/mauvais »), la vision biblique me paraît privilégier une approche « ternaire ». L’on constate que, dès qu’un tiers intervient, la parole peut circuler, de sorte qu’il y a dialogue et échange. Et n’y-a-t-il pas « circulation » entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit ? L’Eglise (un minimum de « deux ou trois » réunis au nom de Jésus) n’est-elle pas une sorte de « pile » (composée d’un minimum de trois éléments reliés et chargés), où le Saint-Esprit peut circuler ?

(4) Voir notre article https://pepscafeleblogue.wordpress.com/2017/11/24/laction-du-mois-suivre-la-formation-liberer/

(5) Voir cette vidéo introductive au module 1 de la formation Libérer!

4 réflexions sur “« Tricho » ou « dicho » : « bullshit débat » ?

  1. Parce que j’ai envie de badiner un peu…^^

    J’ai aussi fréquenté un ministère de délivrance semblable à Libérer! où ils ont une anthropologie trichotomiste. Mais elle ne m’a jamais convaincu, je trouve même ça plus confus que véridique.

    La trichotomie actuelle (âme= intellect/émotions/volonté ; esprit = partie spirituelle) est réellement contemporaine. La trichotomie des premiers siècles, mettant dans l’âme le simple souffle de vie (à la limite les émotions en tant qu’appétits), et dans l’esprit intellect et volonté. Les ministères de délivrance actuels auraient horreur d’utiliser ce modèle platonique qui dégrade à ce point les émotions.^^

    Par ailleurs, je doute que le modèle trichotomiste que l’on dit « tiré de la Bible » puisse être vraiment celui de Paul: la définition de l’intellect date des Lumières, et celle des émotions date de Freud et compagnie. Un homme du premier siècle n’aurait jamais imaginé un tel modèle.

    Et ironie dernière: c’est la vision dichotomiste qui est la plus holistique: dans ce modèle la vie du corps c’est l’âme, et il n’y a pas de module distinct qui contiendrait la pure spiritualité. La moindre contraction de sphyncter est déjà opéré par notre esprit. L’appétit le plus bas est déjà dans l’esprit. La vie spirituelle n’est pas à part de la vie consciente et matérielle. C’est vraiment la dichotomie qui est la plus holistique, et la trichotomie qui invente sans raison des modules spirituels. Avec toujours cette question: comment un truc immatériel peut-il être différent d’un autre truc immatériel et être quand même uni? Si âme et esprit sont de deux natures différentes, alors ce sont tout simplement deux objets différents.

  2. Bonjour Etienne,

    merci de venir nous partager ton badinage par ici.^^
    Sinon, tu as fréquenté un ministère de délivrance « semblable à » Libérer!, mais qui est bien spécifique et donc distinct de Libérer!.
    Il est essentiel de ne pas généraliser. Car généraliser, c’est toujours stigmatiser.

    Ceci dit, si on vient à Libérer!, c’est d’abord pour soi, et ensuite, si nous sommes appelés à cela, pour se former à l’accompagnement, dans le but d’en conduire d’autres à la libération en Christ, en étant soucieux de rendre ceux que l’on accompagne participants à leur propre libération. C’est la seule bonne raison, fructueuse, qui pourrait inciter à suivre cette formation.

    Bien à toi et bien fraternellement en Jésus-Christ,
    Pep’s

  3. Merci Peps. On m’a dit le plus grand bien de cette formation. J’étais un peu dubitatif mais je me suis laissé convaincre et je me suis inscrit à la prochaine session 1.
    Je te dirai ce que j’en pense 😉
    Fraternellement

    • Bonjour Anthon et merci à toi.
      Je te souhaite de vivre le meilleur lors de cette formation, et suis intéressé parce que tu en auras retiré personnellement.

      Bénédictions
      Fraternellement,
      Pep’s

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