Robin Reeve (HET PRO) : « interdire l’avortement est absurde et criminel, tant que ses causes ne sont pas traitées »

Avortement : comment traiter les causes plutôt que ses effets ultimes (Source image : public domain pictures)

La très conservatrice Cour suprême des États-Unis a enterré vendredi 24 juin un arrêt qui, depuis près d’un demi-siècle, garantissait le droit des Américaines à avorter mais n’avait jamais été accepté par la droite religieuse. Dans la foulée de la décision, plusieurs États américains ont déjà annoncé prendre des mesures pour interdire les interruptions volontaires de grossesse sur leur territoire.

En France, la décision a fait réagir de nombreux responsables politiques, de la gauche à la droite. Emmanuel Macron a regretté la « remise en cause » des libertés des femmes, soulignant que « l’avortement est un droit fondamental pour toutes les femmes ».

Le groupe Renaissance (majorité) à l’Assemblée nationale déposera une proposition de loi constitutionnelle visant à sanctuariser le droit à l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), a annoncé samedi 25 juin sa cheffe de file à l’Assemblée nationale, Aurore Bergé. La cheffe des députés LFI a fait une déclaration dans le même sens dès vendredi soir.

Une initiative qui répond à une question qui ne se pose pas en France, selon le juriste Bertrand Mathieu, constitutionnaliste et professeur à l’École de droit de la Sorbonne Paris 1, vu que la possibilité pour une femme de recourir à l’avortement est déjà garantie par les juges.

Dans ce contexte, il me paraît utile d’inviter à la lecture de l’intervention sur ce sujet de Robin Reeve, professeur en Ancien Testament à la HET PRO, Haute Ecole de Théologie, publiée le 25 juin sur son compte twitter :
« De l’interdiction de l’IVG… Je crains que, tant les intégristes que les progressistes vont me lancer des pierres, mais je prends le risque de dire l’état de mes réflexions. En bref : interdire l’avortement est absurde et criminel, tant que ses causes ne sont pas traitées.
Voici mes prémisses :
– une IVG ôte la vie à un être humain (il n’y a aucun moyen scientifique de déterminer quand un embryon « devient » humain).
– une IVG n’est pas un acte banal
– une IVG n’est pas une « bonne » solution et ne règle pas la problématique d’une grossesse non désirée
– une IVG est l’effet d’une chaîne de causes : contraception défaillante, chantage du père, détresse financière, …
– les femmes ont été opprimées par une domination masculine leur ôtant leur liberté de choix : refuser de voir l’horreur de cette domination est coupable
– un enfant à naître n’est pas le « corps » de la femme qui le porte ; mais une IVG concerne évidemment le corps de la femme qui y recourt
– le père de l’enfant devrait pouvoir participer à la réflexion au sujet d’une grossesse non désirée – mais dans des conditions de respect
– l’interdiction de l’IVG entraîne inévitablement une discrimination entre femmes riches – qui peuvent avorter ailleurs – et pauvres – qui vont recourir à des IVG clandestines
– les IVG clandestines génèrent une forte mortalité (500 femmes par an en France avant la loi Veil)

Tous ces éléments m’amènent aux conclusions suivantes :
– Interdire l’IVG, c’est hypocritement vouloir invisibiliser un effet, sans s’attaquer ses causes
– Promouvoir l’IVG sans restriction, comme la bonne solution, est aussi très problématique sur le plan éthique

Donc, bien que je pense que l’IVG ne soit pas une bonne solution, je crois qu’il faut d’abord traiter les causes plutôt que leur effet ultime :
1) promouvoir les diverses formes de contraception, les rendre gratuites et accessibles à toutes et à tous
2) développer des mesures sociales efficaces pour que les motifs financiers soient éliminés
3) éduquer l’ensemble de la société, contre l’oppression envers les femmes et pour la responsabilisation des géniteurs
4) en attendant que ces mesures (qui n’ont jamais été sérieusement mises en place) portent leur fruit, autoriser l’IVG comme un mal nécessaire (et donc la rendre accessible à toutes)
5) garder à l’esprit qu’une IVG n’est pas la réponse définitive à un problème complexe
6) ne pas croire qu’interdire l’IVG soit une réponse valable à un problème complexe
7) ne jamais déshumaniser l’enfant à naître, car c’est un premier pas – que certains franchissent – vers des formes d’élimination de personnes nées (handicapés, vieux, grands malades, etc.).

Vu que mes attaches spirituelles sont plutôt du côté des « pro-life », je propose ici une auto-critique. Il est formidablement hypocrite d’inverser les priorités : interdire d’abord, puis se proposer vaguement de mettre en place un accompagnement des femmes tentées par l’IVG.
C’est une tartufferie (« Cachez-moi ce sein que je ne saurais voir »), qui veut mettre la poussière sur le tapis. Ça fait des décennies que la société aurait pu mettre en place des mesures qui réduiraient significativement le recours à l’IVG.
Les pro-life ont en majorité décidé de culpabiliser les femmes et de juger de leurs situations sous un angle purement moraliste, sans compassion. Les pro-choix, de leur côté, considèrent que la légalisation de l’IVG a tout réglé.
Bon, je pense avoir donné aux deux bords du débat les armes pour me flinguer. Mais j’espère « contre toute espérance » que les gens raisonnables pourront me rejoindre sur certains points, en s’extirpant de la sclérose d’une polémique mortelle (pour les femmes, pour les enfants) ».

[En clair, le piège d’opposer la mère et l’enfant]

Robin Reeve se dit « rester en tension » et être « prêt à revoir certains des aspects de (sa) compréhension de la problématique ».

Voir aussi une proposition de réponse à cette question : « suffit-il pour un chrétien – se voulant « biblique » – que l’avortement soit interdit pour s’en réjouir ?

Enfin, le saviez-vous ?  Dans son livre Bad Faith : Race and the Rise of the Religious Right (« Mauvaise foi : race et émergence de la droite religieuse »), l’historien Randall Balmer repousse l’idée que l’arrêt Roe v. Wade concernant l’avortement soit à l’origine de l’engagement des évangéliques dans l’action politique, la décrivant comme un mythe. Balmer affirme que le facteur déterminant était, en fait, la réaction des conservateurs religieux aux initiatives de l’administration visant à supprimer les exonérations fiscales accordées à des écoles privées perpétuant la ségrégation raciale et gérées par des groupes religieux. 

Parmi ces écoles, la Lynchburg Christian Academy de Jerry Falwell et l’université Bob Jones de Greenville. Voir l’arrêt Green versus Connally de 1971, dans lequel la Cour suprême des États-Unis décida de refuser l’exonération fiscale à toutes les écoles privées de l’État du Massachusetts pratiquant la ségrégation raciale, et ordonna, par la même occasion, au fisc (Internal Revenue Service) d’appliquer cette mesure à tous les établissements privés ségrégationnistes du pays. C’est ainsi que je comprends mieux les raisons de certaines diatribes anti-impôts et anti-Etat du haut de la chaire.

 Balmer n’est pas le seul à défendre cette thèse. Il y a près de 30 ans, l’historien Godfrey Hodgson citait le pasteur Ed Dobson, un fidèle collaborateur du chef de file évangélique Jerry Falwell père, affirmant : « La nouvelle droite religieuse n’est pas née d’une préoccupation pour l’avortement. J’étais assis dans l’arrière-salle sans fumée de la Majorité morale, et je ne me souviens franchement pas que l’avortement ait jamais été mentionné comme une raison pour laquelle nous devrions faire quelque chose. »  

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