Du risque de « filtrer le moucheron et d’avaler le chameau »

N’en rester qu’à un seul critère de vote, fût-il très important pour nous, entraîne le risque, dénoncé par Jésus dans les Evangiles, de « filtrer le moucheron et d’avaler le chameau ». Source image : Affiche du film « Super Size me » de et avec Morgan Spurlock (2004)

Dimanche, nous élirons notre Président de la république : qui, d’Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen, les deux finalistes au soir du premier tour, sera élu ?

Pour rappel, nous élirons pour cinq ans au suffrage universel direct celui qui assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État, selon la Constitution. Le Président de la république est également le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. Le président de la République dispose de pouvoirs propres, comme ceux de nommer le Premier ministre, de dissoudre l’Assemblée nationale ou de recourir au référendum. Il veille au respect de la Constitution. Chef des armées, le président ne peut pas déclarer la guerre sans l’accord du Parlement, mais il décide seul de l’emploi de la force nucléaire. Le Président de la République possède également des pouvoirs partagés, ses décisions devant alors être contresignées par le Premier ministre ou les ministres concernés. C’est le cas pour les nominations de préfets ou la signature d’ordonnances et de décrets ayant été délibérés en Conseil des ministres.

Ceci dit, comment voter, si aucun des deux finalistes de cette présidentielle, malgré leurs projets radicalement différents, ne correspond à notre vision de la société ? Les citoyens se retrouvent alors face à plusieurs dilemmes : voter, voter blanc ou ne pas voter. L’édition de La Croix l’Hebdo de la semaine du 15 avril relève même « 5 cas de conscience avant le deuxième tour ».

Dans ce cas, s’abstenir ou voter blanc, est-ce une solution ? La tentation de ne pas vouloir départager est grande, mais risquée. « S’abstenir, c’est trop facile, avance François Euvé, jésuite, rédacteur en chef de la revue Etudes, dans ce même article de La Croix l’Hebdo.

L’entre-deux tours est l’opportunité de confronter ses opinions, pour se plonger avec méthode et discernement, encore plus profondément dans les visions de chaque projet : « aucun candidat ne convient tout à fait », rappelle François Euvé. « Tout vote est un moindre mal », mais « quel est le moindre mal entre les deux est la première question à se poser, ou, à l’inverse, quel est le pire (….). Il y a un travail d’approfondissement personnel à faire. En pensant à ce que les personnes sont susceptibles de réellement mettre en œuvre au-delà de leurs propositions ». Pour cela, rien de mieux que d’élargir sa vision d’ensemble, en essayant de ne pas juger à partir d’un seul critère, qu’il soit économique, géopolitique, social ou éthique », ou même moral. « N’en rester qu’à un seul point, fût-il très important pour nous », poursuit François Euvé, « comporte le risque, dénoncé par Jésus en Matt.23v24, de « filtrer le moucheron et d’avaler le chameau ». Une boussole qui pourrait être mise en avant serait la question de la fraternité, décisive, ce qui exclue toute relation fondée sur la domination, l’infantilisation et l’attente de « chefs » charismatiques ou de personne prenant la place du Père céleste cf Matt.23v8-12.

Pour illustrer à quel point est périlleux un vote fondé sur un critère restrictif, qu’il s’agisse de « la moralité » ou de l’espérance en un supposé « défenseur de la chrétienté », voici un vieil article d’une revue évangélique, exhumé par La Free.ch en 2016 et ô combien édifiant sur les conséquences d’un tel vote.

Extrait : « Un premier indice de l’affinité de l’ensemble des protestants avec le nationalisme germanique apparaît déjà sous l’Empire allemand de 1871 à 1918 (…) Les idées sociales d’inspiration chrétienne, le pacifisme (on le taxait de blasphème), la libre-pensée et la démocratie étaient considérés comme des menaces auxquelles il fallait résolument s’opposer. La République de Weimar à partir de 1919 ne fut jamais véritablement reconnue par les chrétiens. Dans une allocution lors de la grande rencontre des Églises (Kirchentag) de 1919 à Dresde, le président de cette manifestation déclara: « La gloire de l’Empire allemand, le rêve de nos pères, c’est là que réside la fierté de chaque Allemand. » Pour cette raison de nombreux chrétiens essayèrent de défendre avec ardeur les valeurs et l’identité nationales. Ils se sentaient tenus à un programme national chrétien.  La peur de la pensée libérale naissante et du bolchevisme russe, menaçant depuis la Révolution d’octobre 1917, poussèrent de nombreux chrétiens à se rapprocher du Parti ouvrier national-socialiste allemand (NSDAP), fondé en 1920. Le programme politique du parti d’Adolf Hitler promettait un retour aux valeurs chrétiennes et la constitution d’un rempart contre le communisme et contre les idées libérales.  Les violences multiples contre ceux qui pensaient autrement, les déportations et les actes d’extermination, les Églises évangéliques ne les imputaient pas publiquement à la volonté d’Hitler, mais à des partisans dévoyés, enclins à l’exagération. Le régime national-socialiste réussit, fort bien et durablement, à éblouir les Églises évangéliques et à les abuser à son profit. En gage de reconnaissance, il octroya à ces Églises la possibilité d’évangéliser librement et de développer pleinement leurs activités chrétiennes. (…) En 1933, après la victoire du Parti national-socialiste, l’Église évangélique libre luthérienne loua cette accession au pouvoir comme un « engagement pour l’honneur et la liberté de l’Allemagne ». Elle fit l’éloge du NSDAP pour son « combat contre la saleté ». Les baptistes, dans le journal Wahrheitszeuge (Témoin de la vérité) parlèrent de l’accession d’Hitler comme de l’avènement d’un « temps nouveau » et vivement désiré. Les Communautés évangéliques libres firent l’éloge dans le journal Gärtner (Le Jardinier) du combat du NSDAP « contre la prostitution, contre l’habitude de fumer chez les femmes, contre le nudisme et contre les abus de la vie nocturne ». Lorsque des rumeurs d’exactions contre les juifs en Allemagne parvinrent à l’étranger, les Églises évangéliques allemandes les taxèrent immédiatement de « propagande scandaleuse ».

A méditer !

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