Face à ceux qui (se) disent « pourquoi pas Le Pen », comment expliquer pourquoi « pas Le Pen » (bis repetitas)

Voter Le Pen en particulier et extrême-droite en général : c’est toujours « non ! » Et même « non, non et non ! »
(Source image : public domain pictures)

Ou comment rappeler des évidences et dire des banalités qu’on oublie parfois.

Le présent article n’a pas pour but de « stigmatiser » les électeurs de Marine Le Pen (qui sont aussi nos parents, grands-parents, cousins, voisins, collègues de travail, amis, frères et sœurs en Christ…) mais de tenter de rompre le lien entre les angoisses et le mal-être quotidien (qui existeront toujours) et ce vote de la peur.

Lorsque j’étais lycéen, il était évident que Le Pen, c’était « non ! ». En 2002, lorsque Le Pen se trouve qualifié au second tour de la Présidentielle, c’était encore « non ! » et même « non, non, et non ! » pour la plupart. Aujourd’hui, cela ne semble plus évident. Je suis même interpellé par une chose, à l’annonce des résultats du premier tour de la présidentielle française du 10 avril 2022, comme au premier tour d’il y a 5 ans : Marine Le Pen est à nouveau au second tour, mais, plus encore qu’en 2017, nous sommes désormais bien loin du choc ou de la dramatisation du 21 avril 2002. 

Le RN (ex-FN), banalisé, ne fait plus du tout peur. C’est inquiétant.

Surtout quand des chrétiens (ou supposés tels) manifestent ouvertement leur vote pour ce parti, et ce, de manière décomplexée, notamment sur les réseaux @sociaux. Il est aussi sidérant de constater que d’autres, dans le milieu chrétien, aient pris la responsabilité de mettre les pieds dans le plat, appelant à l’abstention ou à voter blanc, « contre Macron », ou appelant indirectement à voter pour la candidate d’un parti xénophobe et raciste, sous prétexte de voter pour le candidat supposé être « clairement celui de la vie » ou « des valeurs chrétiennes »(sic).

Autres évidences :

NOUS SOMMES TOUS DES IMMIGRÉS : Certes, en cherchant bien, on doit pouvoir trouver parmi nous quelques citoyens à l’arbre généalogique purement mérovingien. Mais les autres ? Oui, nous sommes tous des Français enfants d’immigrés : à une, deux, trois générations derrière, que des Italiens, des Algériens, des Polonais, des Turcs, des Portugais, des Gabonais, des Vietnamiens et même des Belges… Ils sont partout : nous sommes partout. NON, il n’y a pas d’opposition entre une bonne et une mauvaise immigration : aujourd’hui il paraît que les bons immigrants seraient chrétiens, mais il y a quelques siècles, les chrétiens se déchiraient entre eux ; aujourd’hui il paraît que les bons immigrants seraient les Européens, mais dans les années 1920, les Italiens étaient victimes des chasses à l’homme ; il paraît que les bons immigrants n’auraient jamais commis aucun délit, mais quand ne pas avoir de papiers est un délit, comment faire ?

CHOISI ? “Les Français ont choisi de placer Marine Le Pen au second tour ”. Cette expression est tout simplement fausse. Au moment du vote pour le premier tour, on ne choisit pas forcément la personne qu’on souhaite voir au second tour : on exprime quelque chose. Marine Le Pen est en effet au second tour : ce n’est pas un choix conscient des Français mais la résultante de chiffres (abstention + faiblesse du vote PS et LR + dispersion des candidats de gauche). La candidate du Rassemblement national est même sortie en tête au premier tour dans plusieurs territoires ruraux qui ne sont pourtant pas particulièrement touchés par les questions d’insécurité et d’immigration.

A Bissert, village du nord-ouest du Bas-Rhin, juste à côté de la Moselle voisine, 49 des 92 bulletins de vote exprimés (52.13 %) portaient le nom de Marine Le Pen. Loin devant Emmanuel Macron (9,57 %), Eric Zemmour (8,51 %) ou Jean-Luc Mélenchon (8,51 %). Etonnant ? « A chaque élection c’est pareil (….) Quand on discute ici, certains ont parfois des propos durs sur l’immigration. Juste des mots car il y avait une famille étrangère ici et ça se passait très bien. Je pense que c’est surtout une peur de l’inconnu. » (…)« On se parle beaucoup entre nous et il n’y a pas de souci. Les gens vont peu en vacances » (…)« On est comme dans un désert médical. Pour la moindre opération, c’est minimum trente minutes (Sarreguemines), et encore, il n’y a pas tout  (…) On est de la classe moyenne mais on descend toujours plus. Les courses sont de plus en plus chères, le carburant aussi… On n’a pas trop à se plaindre car on a nos maisons mais on doit faire des choix : on ne part plus trop et on limite les restaurants », détaille (une) sexagénaire, qui cumule les emplois.

« C’est le pouvoir d’achat. Les gens votent en fonction de leur porte-monnaie. Et la hausse du carburant n’a pas arrangé les choses », tranche Marie-Pierre Guérin, maire de La Meilleraye-de-Bretagne et vice-présidente de l’association de maires ruraux de Loire-Atlantique. Pour Philippe Dugravot, conseiller départemental et maire de Villepôt – 675 habitants et 31,51 % pour Marine Le Pen –, le vote RN « traduit une difficulté de la ruralité ». Les ruraux sont confrontés à « des difficultés dans leur mode de vie, de mobilité, d’accès à l’emploi », analyse l’ancien haut fonctionnaire. « Malgré la complémentarité d’actions, à tous les échelons territoriaux, des électeurs peuvent avoir un ressentiment, l’impression que leurs besoins ne sont pas assez pris en compte. »

Alors NON, il ne faut pas dire du vote Le Pen qu’il est autre chose, en grande majorité, qu’un vote protestataire, à l’instar du vote des électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui reflète, aux dires de ce dernier au soir du premier tour, « un état d’exaspération » et « le sentiment d’être entrés dans un état d’urgence écologique, sociale ».

NE PAS DEBATTRE : L’erreur est de tenter de répondre au RN, comme le font certains politiques, économistes, éditorialistes ou même certaines associations intersyndicales, en l’attaquant sur son programme économique pour en conclure que celui-ci « est irrationnel ». Ce qui signifie que les programmes des autres grands partis, dont « La République En Marche », ne méritant pas une telle vigilance, ne le seraient donc pas, « irrationnels » ? Or – et c’est sans doute une nouvelle erreur de M. Macron, qui, comme en 2017, a à nouveau accepté de débattre avec Marine Le Pen mercredi soir 20 avril  – on ne débat pas avec l’irrationnel. Les électeurs de Le Pen n’ont pas voté pour un programme — quel programme ? On ne répond pas à quelqu’un qui vous insulte parce que votre voiture ne redémarre pas au feu vert : il n’y a pas à argumenter. Le programme du RN (ex-FN), c’est : « vous avez peur, vous avez raison d’avoir peur, on vous comprend, voici les bouc-émissaires ». Qui peut argumenter contre cela ? Tenter de démonter le programme du RN, c’est le faire entrer dans le champ du vrai et du discutable (1). 

La seule chose que l’on peut faire contre l’irrationnel, c’est de rappeler [à l’instar d’un ancien président de la république française] que chaque fois que l’extrême-droite a eu le pouvoir, “ça s’est très très très mal terminé ». Et d’ailleurs, qui voudrait d’un « ordre nouveau » basé sur l’active mise au ban de la société d’un groupe qui ne met pas en danger la santé ou la paix publique ?

BANALITÉ DU MAL
“Mais ce n’est pas pareil, mais ce n’est pas si grave, « elle n’est pas comme son père », « elle n’est pas vraiment dangereuse…” Or, c’est exactement pareil. 

Ne nous laissons pas tromper par la candidature radicale d’Eric Zemmour qui a fait apparaître Marine Le Pen, par contraste, comme « recentrée », tandis qu’elle a « lissé » son image, laissant tomber toute agressivité, privilégiant le pouvoir d’achat, ce qui fait passer au second plan ses propositions, pourtant inchangées, contre l’immigration et l’islamisme. Ne nous laissons pas non plus tromper par le tour de passe passe qui consiste, pour Marine Le Pen, à effacer son nom et même son prénom de ses affiches électorales, comme pour mieux se débarrasser de son héritage politique estimé encombrant, qui avait fait de son prénom une marque aussi célèbre que « frigidaire ».

Sinon, qu’est-ce que vous croyez ? Que Hitler a dit “je veux être dictateur et tuer des millions de personnes”, et que 37% des Allemands ont voté pour lui ? NON. Hitler, orateur de génie, s’était présenté « en tant que chrétien », dans son discours du 12 avril 1922, à Munich : « En tant que chrétien, mon sentiment me désigne mon Seigneur et mon Sauveur comme un combattant (…) En tant que chrétien, (…) j’ai le devoir d’être un combattant pour la vérité et la justice. (…) en tant que chrétien, j’ai aussi un devoir envers mon peuple ». 

En 2011, quand Mme Le Pen affirmait que « nos compatriotes juifs n’ont rien à craindre du Front national, bien au contraire”, à l’instar d’un dirigeant FN qui se voulait rassurant en 2002, en déclarant que  “Zidane n’a rien à craindre”, l’un et l’autre sous-entendent clairement que d’autres personnes ont quelque chose à craindre. Et aujourd’hui quand le chef de l’opposition RN d’un conseil municipal dit « Non, nous, on ne veut pas emmerder les musulmans », il sous-entend que d’autres seront « emmerdés ».

Et il est aisé de comprendre « que créer une différence de droit, donner des droits supplémentaires en fonction de la nationalité », comme le veut Mme Le Pen, est une façon de dire que certains seraient « plus égaux que d’autres ». Mais où commence « la différence de droit » et où s’arrête-t-elle ? La « priorité nationale », au coeur du programme RN, est-elle « christiano », « biblico », ou « évangélico-compatible », si l’on relit Jacques 2v1, qui exhorte ceux qui croient en Jésus-Christ de « ne pas faire de différences entre les gens », vu que Dieu Lui-même n’en fait pas (Deut.10v17-19) ?

D’autres disent : « Le RN, on n’a jamais essayé ».  En réalité, il est possible de voir ce que cela donne dans les municipalités RN et affiliées. 

Quant à ceux qui disent que l’on risque “d’avoir Le Pen pour cinq ans”, quelle belle naïveté ! Il n’y a pas la moindre raison pour qu’un parti autoritaire s’arrête en si bon chemin, surtout quand la réalité de son projet politique est connue.

En fin de compte, quoi faire ? Pour ma part, pour des raisons bibliques, je reste convaincu qu’il est impossible pour un chrétien de voter RN et Marine Le Pen, parce que l’accueil de l’étranger est une préoccupation transversale de l’Ancien Testament et parce que la non stigmatisation des personnes (ou des groupes de personnes) est une préoccupation permanente du Nouveau Testament. Ainsi, par exemple, comme le souligne ce commentaire d’Erri de Lucca de la généalogie de Jésus-Christ en Matt.1« le Messie qui contient en lui les semences et la concorde de peuples hostiles se déclare ainsi loin de toute pureté de sang. Dans ce message d’accueil, le Nouveau Testament colle à l’Ancien et honore notamment Tamar et Ruth, filles de l’étranger, en les nommant à l’entrée de sa maison ». (Voir notre article à ce sujet).  

Alors oui, Macron est objectivement (et explicitement) le candidat de «Mammon», ce qui a le mérite d’être clair [n’oublions toutefois pas son « quoiqu’il en coûte » du confinement 1.0 et sa reconnaissance de ce qui est « une folie »], tandis que Le Pen avance masquée, tout en séduction, alors que la réalité est autre. Mais plus largement, la vraie question est celle-ci : quelle société voulons-nous laisser à nos enfants ? Souhaitons-nous les voir grandir dans une société fermée, marquée par la peur et la haine de l’autre ? Une société marquée par un « ordre social satanique et diabolique », fondé sur l’accusation, la division et le mensonge ?

Que vaut-il mieux ? 

Pouvoir combattre certaines idées d’Emmanuel Macron ou subir l’idéologie frontiste ?

N’oublions pas que si vous estimez qu’il y a du rédhibitoire – et même du « gravement rédhibitoire », pour reprendre la formule d’un catholique naturaliste blogueur – dans chacun des deux candidats finalistes, n’oubliez pas d’inclure, parmi lesdits candidats, « monsieur Blanc » et « madame Abstention ».

Nous seuls pouvons répondre. Le mieux qui nous reste à faire, sachant que le vote est une question de choix personnel et responsable, est de 1) refuser la polarisation, les discours partisans et clivants, pour nous encourager à veiller à l’unité en Jésus-Christ 2) « lever le nez » des discours et des unes haineuses de certains périodiques brandissant la peur de « l’invasion migratoire » et du « grand remplacement » pour mieux se replonger dans les Ecritures, Parole de Dieu, 3) prier et 4) chercher à exercer notre discernement, le tout dans l’humilité.

D’après http://rdereel.free.fr/NON.pdf

Lire une réponse alternative ici.

Notes :

(1) Banaliser les discours de l’extrême droite est la meilleure façon de faire gagner Marine Le Pen. La recherche en psychologie sociale suggère que, pour la contrer, il faut cesser de reprendre ses thèmes. Lorsque nous voyons un(e) responsable politique donner de l’importance aux idées de Marine Le Pen, cela nous renseigne inconsciemment sur ce qu’il est légitime de faire. À long terme, la reprise des idées de Marine Le Pen ne sert pas celui/celle qui les reprend, mais favorise la prolifération de ces idées… et, au final, Marine Le Pen.  En donnant de l’importance à Marine Le Pen, en dialoguant avec elle, on la pose comme un interlocuteur respectable. Ce faisant, on légitime ses idées. Ce comportement, le fait simplement d’être en face d’elle dans une émission télévisée, est beaucoup plus parlant que n’importe quel discours. Parler à Marine Le Pen pour attaquer ses idées, c’est d’abord reconnaître que c’est un adversaire valable. Le Président Chirac l’avait bien compris, lui qui avait refusé un débat télévisé entre les deux tours de l’élection de 2002.

Une réflexion sur “Face à ceux qui (se) disent « pourquoi pas Le Pen », comment expliquer pourquoi « pas Le Pen » (bis repetitas)

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