« Crise », vous avez dit « crise » ?

Une situation de crise inédite, un moment de discernement, de révélation, où les choses vont être tranchées….

Du résultat des élections européennes dans les 27 états membres de l’Union, nous retenons notamment une poussée limitée de l’extrême-droite. Son progrès – surtout en Europe de l’Ouest – est déjà en soi un paradoxe. En effet, les idéologies que portent les listes d’extrême-droite se veulent légitimes aujourd’hui, alors qu’elles ont été vaincues hier, comme nous le rappellent les commémorations du 06 juin 1944 et du 08 mai 1945.

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Huit chercheurs CEVIPOF proposent un décryptage à chaud des résultats des élections européennes. Huit angles d’analyse pour mieux comprendre ce scrutin (basés sur les résultats réels du 9 juin, et les données de l’enquête électorale française 2024 Ipsos, Le Monde, Cevipof, Institut Montaigne, Fondation Jean Jaurès) : Décryptage au lendemain du 9 juin | Sciences Po CEVIPOF

En France, les résultats des Européennes ne sont pas sans conséquence pour la vie politique nationale : sans vrai bilan à défendre, le RN obtient pourtant 31,37 % des voix et 30 élus au Parlement européen, contre 14,60 % pour la liste de la majorité présidentielle, et 13,83 % pour celle du Parti socialiste et Place Publique.

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« D’élections en élections, le RN ne cesse d’élargir son audience aussi vite qu’il polit son discours. De plafond de verre, il est de moins en moins question », lit-on dans un éditorial pour La Croix, daté du 10 juin. Quelles sont les motivations de celles et ceux qui déposent un bulletin Rassemblement national ou Le Pen dans l’urne ? Le politologue Félicien Faury est allé à la rencontre de ces électeurs ordinaires de l’extrême droite, dans le Sud-Est, entre 2016 et 2022. Entretien pour Bastamag dans lequel nous apprenons notamment que « le racisme [dans le vote RN] est une force d’attraction politique qui ne doit pas être prise à la légère ». Un racisme ordinaire qui se greffe à des considérations économiques et sociales.

Ces résultats ont été quelque peu phagocytés par l’annonce surprise de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la république dans une allocution télévisée, le soir de l’élection européenne. Des élections législatives anticipées auront lieu le 30 juin (pour le premier tour) et le 07 juillet (pour le second tour).

De là ce commentaire ironique du juriste blogueur Maître Eolas, sur son compte twitter, le soir de l’élection : « Je parie que quand les députés discutaient de la loi sur la fin de vie, ils ne réalisaient pas qu’ils parlaient de celle de leur législature ».

Mais pas seulement leur législature : La dissolution surprise de l’Assemblée nationale entraîne de fait l’abandon automatique et immédiat de tous les travaux qui étaient en cours au Palais Bourbon, dont les projets de loi sur….la fin de vie et la très controversée réforme de l’audiovisuel public, sans oublier toutes les commissions d’enquête en cours, telle la Commission d’enquête parlementaire sur l’Aide Sociale à l’Enfance qui devait évaluer les manquements de l’État censé protéger ces enfants pris en charge ; ou encore la commission d’enquête sur les violences dans le milieu du cinéma, dont les travaux – débutés en mai – devaient se terminer en octobre. Autant de travaux qui devront être redéposés et examinés à nouveau par la nouvelle assemblée à l’issue des élections législatives, et suivre l’intégralité du processus législatif habituel.

De l’avis de Luc Rouban, politologue au centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), invité sur RTS, le média suisse, « l’idée d’une dissolution était dans l’air », sauf qu’elle a été plus rapide que prévu. Mais « Emmanuel Macron n’avait guère le choix », car « s’il n’avait rien fait, il est évident qu’il aurait été extrêmement vulnérable à des critiques qui auraient dénoncé son manque de sens démocratique ». Alors, certes, cette dissolution pourrait permettre une cohabitation avec le RN – en réalité, « un cadeau empoisonné » pour ce parti, selon Luc Rouban. Car « accéder au gouvernement, (…) c’est prendre des responsabilités (…), donc prendre des risques ». C’est une manière de montrer que si les membres du RN ne sont pas capables de gérer le gouvernement, ils seront encore moins capables de gérer l’Élysée.  L’idée, pour le chef d’Etat français, est de donner un avant-goût aux Français de ce à quoi ressemblerait leur pays sous la direction du RN. Le parti d’extrême droite devra en effet, s’il arrive en tête aux législatives, faire face à la réalité. En cas d’insatisfaction du peuple, il pourrait donc perdre l’élection présidentielle en 2027, mais c’est un pari risqué et un exercice périlleux. En effet, l’histoire nous montre que l’on ne saurait jouer avec l’extrême-droite, et, comme l’a rappelé un ancien Président de la république, « que chaque fois que l’extrême droite a réussi à prendre légalement le pouvoir, ça s’est très très très mal terminé ».

Cette décision de dissolution, le Président la justifie pour « redonner le choix de notre avenir parlementaire » aux Français. Une décision jugée « grave, lourde, mais c’est avant tout, un acte de confiance. Confiance (…..) en la capacité du peuple français à faire le choix le plus juste pour lui- même et pour les générations futures (….) C’est un temps de clarification indispensable ».

Et une situation de crise inédite. Or, une crise (du grec « krisis », jugement) est un moment de discernement, de révélation où les choses vont être tranchées.

Avec cette décision, commente l’édito de La Croix précité, le Président replace les électeurs français face à leurs responsabilités « et appelle chacun à sortir de sa torpeur face au péril nationaliste qui menace le pays – à commencer par la moitié d’entre eux qui n’ont pas pris part au vote de dimanche (…..)À chacun des Français de faire le choix le plus juste », face à la stratégie « de la main tendue » du RN.

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